d’abord quand on entre
on pense que c’est juste
comme d’où on vient
sauf qu’il fait un peu plus noir
mais en fait on ne pense pas
on ne peut plus s’entendre penser
c’est pour cela qu’il nous semble
que tout est plus noir qu’avant
non seulement en dehors
mais aussi en dedans de nous
comme si la lumière était en train
de s’éteindre doucement vers le noir
c’est un endroit étrange
où nous aurions préféré ne pas aller
mais il est trop tard
***
OVER THERE
at first when you enter
you think it’s just like
whence you came
except it’s much darker
that’s what you think
but in fact you are
not thinking at all
because you can
no longer hear
yourself think
that’s why it feels darker
both outside and inside of you
as if the light was slowly dimming
towards total darkness
J’ai vu de grandes eaux se répandre
sur des cercueils encore ouverts
alors
ils se changeaient en barques
et se perdaient dans une errance
inconcevable
quand les linceuls devenaient voiles
prenaient le vent et la même direction
égales dans la fuite
égales dans le temps
nul prêche à bord
nulle pêche au bord
les morts rigolaient
d’avoir encore pour un temps
un destin
mais il était beaucoup trop tard
il aurait fallu bien avant
tuer les machines
A tous mes loupés, mes ratés, mes vrais soleils
Tous les chemins qui me sont passés à côté
A tous mes bateaux manqués, mes mauvais sommeils
A tous ceux que je n’ai pas été
Aux malentendus, aux mensonges, à nos silences
A tous ces moments que j’avais cru partager
Aux phrases qu’on dit trop vite et sans qu’on les pense
A celles que je n’ai pas osées
A nos actes manqués
Aux années perdues à tenter de ressembler
A tous les murs que je n’aurais pas su briser
A tout c’que j’ai pas vu tout près, juste à côté
Tout c’que j’aurais mieux fait d’ignorer
Au monde, à ses douleurs qui ne me touchent plus
Aux notes, aux solos que je n’ai pas inventés
Tous ces mots que d’autres ont fait rimer et qui me tuent
Comme autant d’enfants jamais portés
A nos actes manqués
Aux amours échouées de s’être trop aimé
Visages et dentelles croisés justes frôlés
Aux trahisons que j’ai pas vraiment regrettées
Aux vivants qu’il aurait fallu tuer
A tout ce qui nous arrive enfin, mais trop tard
A tous les masques qu’il aura fallu porter
A nos faiblesses, à nos oublis, nos désespoirs
Aux peurs impossibles à échanger
Je suis arrivé le matin c’était trop tard
il y avait de la rouille autour de l’évier
le poids du poêle pesait sur le parquet
ça se gondolait même les tuiles il était trop tard
je n’aurais pu redresser tout ça même avec
des cabestans des poulies des objets dont je ne connais
pas le mot qui les désigne et que je ne saurais
utiliser efficacement
les champignons poussaient sur la faïence de la vaisselle
la vaisselle croupissait dans la paille des fauteuils
les fauteuils s’endormaient sur le poil des ténèbres
les ténèbres mâchaient le chouigne gueumme des morts
je suis arrivé trop tard c’était le lendemain
Arrêt du train… Plus rien… Froid nuit brouillard.
Quelle heure est-il ? Exactement trop tard.
Masques figés des passagers blafards.
Où sommes-nous ? Et pourquoi ? Nulle part.
Mais la motrice a touché au butoir.
La faim la soif la peur le désespoir.
Qui a coupé le courant ? Sabotage ?
Où sont passés les tickets les bagages ?
Silence noir… Quelle est donc cette gare ?
Déserts les quais. On se tait. On s’effare,
Chacun n’entend que les coups de son coeur.
Puis cette voix à vous glacer les sangs
Pour cette annonce au micro hululée :
— « Nous informons messieurs les voyageurs :
Toute correspondance est annulée.
Néant, Néant. Tout le monde descend ».
Sur le chemin de la Mort,
Ma mère rencontra une grande banquise ;
Elle voulut parler,
Il était déjà tard,
Une grande banquise d’ouate.
Elle nous regarda, mon frère et moi,
et puis elle pleura.
Nous lui dîmes – mensonge vraiment absurde –
que nous comprenions bien.
Elle eut alors ce si gracieux sourire de toute jeune fille,
Qui était vraiment elle,
Un si joli sourire, presque espiègle;
Ensuite, elle fut prise dans l’Opaque.
Pas un mot ne perce l’obscurcissement –
Pas un dieu ne lève la main –
Où que par ailleurs je regarde
La terre qui s’amoncelle.
Nulle forme qui se détache,
Nulle ombre en suspens.
Et sans cesse j’entends :
Trop tard, trop tard.
***
Kein Wort bricht ins Dunkel –
Kein Gott hebt die Hand –
Wohin ich auch blicke
Sich türmendes Land.
Keine Form, die sich löset,
Kein Schatten, der schwebt.
Und immer noch hör ich’s:
Zu spät, zu spät.