Sans que je puisse m’en défaire
Le temps met ses jambes à mon cou
Le temps qui part en marche arrière me fait sauter sur ses genoux
Mes parents, l’été, les vacances, mes frères et sœurs faisant les fous
J’ai dans la bouche l’innocence des confitures du mois d’août
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Les napperons et les ombrelles qu’on ouvrait à l’heure du thé
Pour rafraichir les demoiselles roses dans leurs robes d’été
Et moi le nez dans leurs dentelles, je respirais à contre-jour
Dans le parfum des mirabelles, l’odeur troublante de l’amour
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Le vent violent de l’histoire allait disperser à vau-l’eau
Notre jeunesse dérisoire, changer nos rires en sanglots
Amour orange amour amer, l’image d’un père évanoui
Qui disparut avec la guerre, renaît d’une force inouie
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Celui qui vient à disparaître, pourquoi l’a-t-on quitté des yeux ?
On fait un signe à la fenêtre sans savoir que c’est un adieu
Chacun de nous a son histoire et dans notre cœur à l’affût
Le va-et-vient de la mémoire ouvre et déchire ce qu’il fût
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Belle cruelle et tendre enfance, aujourd’hui c’est à tes genoux
Que j’en retrouve l’innocence au fil du temps qui se dénoue
Ouvre tes bras, ouvre ton âme, que j’en savoure en toi le goût
Mon amour frais, mon amour femme
Le bonheur d’être et le temps doux
Pour me guérir de mon enfance, de mon enfance
Pour me guérir de mon enfance, de mon enfance.
(Jean Ferrat)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Je trace sur le sol un trait, au bord de l’eau :
La marée ne tarde à faire table rase.
Ainsi est le poème. C’est le sort commun
Que sables et poèmes se vaillent
Au va-et-vient de la marée, vient-vient de la mort.
***
Destino
Risco no cháo um traço, à Beira água:
Não tarda que a maré o deixe raso.
Tal e quai o poema. É comum sorte
Que areias e poemas tanto valham Ao
vaivém da maré, vem-vem da morte.
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
depuis que je vis en moi à plein temps
j’ai compris que le cœur était un organe
charrié dans un sac à provisions
et déposé à la porte des voisins
ou une meute de chiens errants qui s’acharne
contre l’ennemi caché dans les poumons
une ancre employée pour faire rentrer au port
les jours égarés ou la galère d’un proche
le cœur – notre ceinture de sûreté
toujours prêt à sauter sur une mine
pour donner un coup de main
ou pour retrouver son chemin
en l’an de grâce 2020
nous jouons tout au va-et-vient :
certains s’en vont en séries
certains reviennent à la vie
La machine mangeuse alternait ses sourires et ses élans.
Chaque fois, l’énorme reflet rejetait plus loin
les pauvres gestes étriqués et ridicules des victimes
vers on ne sait quel océan de stupeur et d’espoir.
C’était comme un va-et-vient.
L’inlassable tapis-roulant (était-ce quelque affreuse langue ?)
les charriait, pèle-mêle, hébétés et peureux
jusqu’à cet entonnoir comme un gosier avide
qui les engouffrait tous dans un horrible remugle de dissection malsaine.
Et c’était là-dedans, illuminé de soufre et d’or,
plus haut que le sifflement des courroies et des vapeurs,
la clameur affolée, affolante.
C’était des roues dentées, des axes,
une machine compliquée, inquiétante, des chairs hurlantes,
froissées, dans des lueurs de cavernes.
De ce concassement fusaient des boues et des lambeaux,
tel qu’un volcan éructe.
Puis après, c’était l’immense calme,
une douceur venant d’une tendre musique,
infinie et plus haut, bien plus haut dans l’azur,
de très simples couleurs reposantes et neuves,
un ruisselet candide allant on ne sait où,
la fin comme d’un cauchemar.
Ombre et soleil
soleil et ombre
ombre et soleil
un vrai défilé de nuages blancs
depuis ce matin.
J’ai noté ça pour un poème
et le grand chêne d’à côté
les lignes droites des avions
les hirondelles en vol plané.
Et j’ai pensé que j’étais là
allongé sur l’herbe très verte
après le déjeuner
toujours vivant
toujours vivant.
J’ai eu envie de je ne sais quoi
sauf fermer les yeux
me rappeler cette phrase
autrefois de passage entre nous :
«Attraper ce qui fuit ».
Je me souviens nous regardions
le va-et-vient des mésanges bleues
qui chaque année
comme aujourd’hui
dans leur petit nichoir
– toujours intact si tu savais -—
recommencent tout
recommencent tout.
(François de Cornière)
Recueil: Anthologie Pour avoir vu un soir la beauté passer
Traduction:
Editions: Le Castor Astral