Comme une fleur à plaisir effeuillée
Pâlit, tombe et s’efface une brillante erreur.
Ivre de toi, je rêvais le bonheur :
Je rêvais, tu m’as éveillée.
Que ce réveil va me coûter de pleurs !
Dans le sein de l’amour pourrai-je les répandre ?
Il m’enchaînait à toi par des liens de fleurs ;
Tu me forces à les lui rendre.
Un seul mot à nos yeux découvre l’avenir ;
Un reproche souvent attriste l’espérance.
Hélas ! S’il faut rougir d’une tendre imprudence,
Toi qui la partageas, devais-tu m’en punir ?
Loin de moi va chercher un plus doux esclavage,
va ! De tout mon bonheur j’ai payé ton bonheur.
Eh bien ! Pour t’en venger, tu m’as rendu mon coeur,
Et tu me l’as rendu brûlant de ton image.
Je le reprends ce coeur blessé par toi !
Pardonne à mon imprévoyance :
Je lui dois ton indifférence ;
Que te faut-il encor pour te venger de moi ?
Je sais que c’est sans entendre
que tu parles cette langue inconnue
Mais à qui ferais-je confidence
sur ma lande sans une oreille ?
Tu deviens un moi-même de rêve
vêtu d’une cape de noire transparence
un fort géant sur un cheval
qui me vengera si je meurs.
A qui dirai-je sur ma lande
que m’attend dans la ville une infante
pétrie de mûre et de lait
à qui dirai-je que m’attend
la neige et le charbon
le gel et la brûlure
d’une gitane amoureuse.
A qui dirai-je
sinon à toi
que j’épouse demain la folie.
Je t’ai appris tout ce que j’avais.
Tu as pris ma vie et tu n’as rien compris.
Je t’ai nourri. Tu m’as tarie.
Je t’ai guéri. Tu m’as meurtrie.
Je t’ai habillé. Tu m’as dépouillée.
Je t’ai nettoyé. Tu m’as noyée.
Je t’ai lové. Tu m’as volée.
Je t’ai adulé. Tu m’as annulée.
Je t’ai déployé, tu m’as repliée.
Je t’ai blanchi. Tu m’as noircie.
J’ai été ton refuge, toi mon refus.
Je t’ai inventé et vanté Tu m’as évidée, évitée.
Je t’ai changé et tu t’en es vengé.
Je ne cesse de te chanter,
toi qui me désenchantes.
Tu te plains, petite mauvaise,
Que s’il advient que je te baise
Tout aussitôt ma langue y court.
Quoi donc, le baiser d’une fille.
Si la langue ne me frétille,
Me semble trop fade et trop court.
Baiser une bouche fermée,
Qui d’esprit n’est point animée,
Sans goût, humeur ni sentiment,
Et baiser l’image muette
Que Pygmalion s’était faite,
C’est affoler également.
Tu permets que ma lèvre touche
Le divin corail de ta bouche,
A ma langue le refusant.
Mais ne crains-tu pas qu’elle pense
Qu’on ne croit pas à son silence,
Et se venge en nous accusant?
Que la tienne, petite folle,
Avec la mienne se colle,
Et que par un si doux lien
Mon cœur avec ton cœur s’assemble ;
Puis elles jureront ensemble
Toutes deux de n’en dire rien.
Penserais-tu, bouche envieuse.
Que la manne délicieuse
D’un baiser ne fût que pour toi?
Tu n’es faite de la nature
Que pour être sa couverture
Et le receler sous ta foi.
Alors que sur tes lèvres closes
Je tâche de cueillir des roses,
J’entends, d’un murmure jaloux,
Ta langue qui te dit : Mauvaise !
Pourquoi ne serais- je bien aise
De baiser aussi bien que vous ?
Ouvre-toi donc, bouche mignarde,
Et si ma langue frétillarde
A plus d’amour que de raison,
Au retour ferme-lui la porte
Et fais si bien qu’elle n’en sorte
D’une bonne heure de prison.
(Charles de l’Espine)
Recueil: Poètes du Baiser
Editions: Société des Éditions LOUIS-MICHAUD
Les figuiers de Barbarie nous tirent la langue ;
quant au maïs, de sa hauteur,
— avec son petit toupet mal peigné
et son cahier sous le bras —
il nous salue de ses manches brisées.
Les agaves font de la gymnastique suédoise
en colonne par cinq cents
et le soleil — de la police secrète —
(il fait son coup en douce)
dénonce notre ridicule fuite
dans la lanterne magique du pré.
Le soir venu, nous nous vengerons
en allumant nos fanaux
et en abattant les forêts.
Un arbre ou l’autre
veut enseigner la philologie.
Les nuages, inspecteurs de monuments,
secouent les maquettes des montagnes.
Qui veut jouer au tennis avec des nopals
et des figuiers de Barbarie
sur le réseau télégraphique ?
Plus tard, nous prendrons un bain russe
dans une chaumière perdue dans la montagne ;
une douche d’arc-en-ciel nous suffira.
Nous nous sécherons avec un stratus.
La poésie sauvera le monde, si rien le sauve.
Au reste, elle le sauve chaque jour de son indignité.
***
L’homme du XXIe siècle, homme distrait,
est captif des représentations dont il est assailli,
asservi à ce que la grande machinerie
des mots et des images surabondants, projettent devant lui.
Il n’a plus ni l’espace ni le temps de produire
de lui-même l’imaginaire qui les constituerait.
L’imaginaire est aujourd’hui un territoire occupé et soumis.
Et je dis que tout poème est un acte de résistance contre cette oppression.
***
Rendre la poésie populaire, la plus distinguée poésie,
c’est venger le peuple de la vulgarité à quoi on le réduit,
par le partage de la distinction.
Aie pitié de moi.
Décime mon escorte :
les orties de fer.
Ôte de mes mains
mes gants de clous.
Souffle les braises
de mes mots blessants.
Fais choir de ma tête
la corbeille en fil-de-fer
Je ne désire
briser ni mordre ni torturer
m’y installer ni la main y poser
faire la cour ni me venger
trembler de peur ni me défendre.
Aie pitié de moi.
Je suis las
de ce qu’ici tout pareil à la
même si ce n’est qu’un peu
mais tout le monde est malgré tout
un quelqu’à part.
Je suis las
de ce qu’à la fin
chacun
en soi
séparément :
Moi.
L’amour parti, je suis tout seul dans la nuit noire,
Sans fenêtre à ma prison.
Vous, vous avez gardé, dans ce mal transitoire,
L’espoir d’un autre horizon.
Vous croyez qu’il existe un ciel où vont les âmes,
Un paradis rose et bleu,
Où les anges fleuris, le front coiffé de flammes.
Font de la musique à Dieu,
Où l’on connaît enfin le mot du grand mystère,
Où les pauvres cœurs brisés
Achèvent la chanson qu’ils commençaient sur terre
Et reprennent leurs baisers.
Vous croyez que la mort n’est pas aussi cruelle
Qu’on le raconte ici-bas,
Et qu’elle est seulement l’aube spirituelle
D’un jour qui ne finit pas.
Tant mieux que vous ayez le bonheur ineffable
De croire à ce lendemain !
Elle vous servira, la foi dans cette fable,
D’étoile à votre chemin.
Elle vous servira de pôle et de boussole.
Elle sera pour vos pas
Le compagnon qui guide et l’ami qui console
Jusqu’au seuil blanc du trépas.
Vous mourrez les yeux pleins d’extase, en voyant poindre
Le soleil qui vous est dû,
Sûre que vous pourrez, quand j’irai vous rejoindre.
Retrouver l’amour perdu.
Mais moi, que la science à la tétine amère
A nourri de son lait noir,
Je crois aux vérités que m’apprend cette mère.
Et je n’ai pas votre espoir.
Je crois profondément que l’âme, au corps fidèle,
Naît, vit, et meurt avec lui.
Quand la flamme de vie a fondu la chandelle,
Je crois que plus rien ne luit.
Je ne puis concevoir le paradis ni l’ange,
Ni le bon Dieu qu’on rêva.
Je crois à la matière, à qui le ver qui mange
Rend l’être mort qui s’en va.
S’il existait pour moi, ce Dieu, c’est un blasphème
Qu’à son trône j’enverrais.
Car il n’est qu’un bourreau, s’il ordonne qu’on aime
Et qu’on se sépare après.
Oh ! oui, femme fervente, oh ! oui, je vous envie
De croire qu’il nous entend.
Car je pourrais lui dire en lui crachant ma vie :
« J’ai souffert. Es-tu content ?
J’ai souffert, et mes cris n’ont pas troublé ton somme.
Et pourtant tu m’entendis.
Tu peux t’appeler Dieu; moi, je ne suis qu’un homme
Et c’est moi qui te maudis. »
Mais je sais qu’il n’est point. Je n’aurai pas la joie
De courir ce beau danger.
Je sais qu’à des hasards sans nom je suis en proie,
Et sans pouvoir m’en venger.
La force qui m’élreint ne m’est pas vénérable.
Elle m’étreint, il suffit.
Je ne réclame rien au temps irréparable
Qui défait tout ce qu’il fit.
Mais si vous supportez la cruelle rupture
L’air serein, presque content,
En songeant que là-haut une extase future
Renaissante vous attend.
Souffrez que moi, qui n’ai de recours que sur terre,
Je songe aux anciens amours,
Et que je sois navré de me voir solitaire,
Privé de vous pour toujours.
Laissez-moi regretter cet oiseau qui s’envole,
Ce passé qui fut présent.
Laissez-moi, sans que rien au monde me console,
Pleurer des larmes de sang.
Devons-nous achever l’impossible vendange
Quand la dernière grappe au coteau déserté
Ne vole même plus ce lambeau de clarté
Qui mûrit au seul nom de l’étoile et de l’ange ?
Nous avons cru longtemps au mutuel échange :
Cette âme qui nous fuit, ce dieu déshérité,
L’avions-nous, par la chair et le sang, mérité ?
Ce bras qui nous défend désarme qui nous venge…
— Nous sommes-nous trahis quand le char du vainqueur
N’était plus que poussière au fond de sa rumeur ?
Quand, de l’arbre-à-péchés dérobant la couronne,
Nous avons au Serpent ce fruit mûr arraché ?
Mais lui, le jeune dieu qui ne croit en personne,
Succombe à cette chair qui l’a toujours caché…
L’amour est comme l’oiseau de Twitter
On est bleu de lui, seulement pour 48 heures
D’abord on s’affilie, ensuite on se follow
On en devient fêlé, et on finit solo
Prends garde à toi
Et à tous ceux qui vous like
Les sourires en plastique sont souvent des coups d’hashtag
Prends garde à toi
Ah les amis, les potes ou les followers
Vous faites erreur, vous avez juste la cote
Prends garde à toi
Si tu t’aimes
Garde à moi
Si je m’aime
Garde à nous, garde à eux, garde à vous
Et puis chacun pour soi
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
L’amour est enfant de la consommation
Il voudra toujours toujours toujours plus de choix
Voulez voulez-vous des sentiments tombés du camion ?
L’offre et la demande pour unique et seule loi
Prends garde à toi
« Mais j’en connais déjà les dangers, moi
J’ai gardé mon ticket et, s’il le faut, j’vais l’échanger, moi
Prends garde à toi
Et, s’il le faut, j’irai m’venger moi
Cet oiseau d’malheur, j’le mets en cage
J’le fais chanter, moi »
Prends garde à toi
Si tu t’aimes
Garde à moi
Si je m’aime
Garde à nous, garde à eux, garde à vous
Et puis chacun pour soi
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
Un jour t’achètes, un jour tu aimes
Un jour tu jettes, mais un jour tu payes
Un jour tu verras, on s’aimera
Mais avant on crèvera tous, comme des rats