Depuis que son garçon est parti pour la guerre,
La veuve met les deux couverts comme naguère,
Sert la soupe, remplit un grand verre de vin,
Puis, sur le seuil, attend qu’un envoyé divin,
Un pauvre, passe là pour qu’elle le convie.
Il en vient tous les jours. Donc son fils est en vie,
Et la vieille maman prend sa peine en douceur.
Mais l’épicier d’en face est un libre penseur
Et songe : – » Peut-on croire à de telles grimaces ?
Les superstitions abrutissent les masses. »
(François Coppée)
Recueil: Promenades et interieurs
Traduction:
Editions:
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Aux quatre coins de moi-même,
mélancoliquement je cherche
tout ce qui me manque à l’appel!
Où, mon fluide pas
qui feuilletait pour moi les horizons
ainsi que les pages d’un livre
d’images merveilleuses ?
Où, ma main qui serrait les jours
comme un jeu coloré de cartes
dont je pouvais tirer même la bonne ?
Quel miroir me rendra
la courbe exacte du sourire ?
Quelle plume saura traduire
les cadences de quels vers ?
Veuf de tout ce qui fut,
amputé de ce qui pouvait être
et désormais ne sera plus sur cette terre,
qu’attendre donc, qu’attendre
sinon, dans la roche creusée,
le bref horizon d’une bière ?
Pourtant — grâce très grande! — il reste
le coeur : il est plein de toi :
les yeux, les joues, les lèvres, les cheveux
et la voix grave et le sourire
et cette main qui me caresse
et te transfuse peu à peu
dans mes fibres les plus secrètes,
et ton pas qui est le mien.
Puisque tu es en moi,
puisque tu es moi.
Quand j’entends un amant trahi qui se lamente,
Qui maudit le printemps pour un arbre sans nid,
Qui trouve l’amour faux puisque fausse est l’amante
Comme un soleil qu’on voit par un vitrail terni,
Quand il s’enferme seul, les longs soirs de novembre,
Brûlant tout : des cheveux, des lettres, des sachets,
Et que des rais de pluie aux vitres de sa chambre
Viennent appesantir leurs douloureux archets,
Quand, sur la trahison, la tendresse l’emporte
Et que, pour oublier ce soudain abandon,
Il s’en va dans la nuit rôder devant sa porte
Pour envoyer vers elle un essai de pardon,
Alors je songe à ceux — les plus las, les plus tristes !-
Qui n’ont jamais connu la douceur d’être amant;
Les mendiants d’amour, les mornes guitaristes
Qui sur le pont du Rêve ont chanté vainement.
Ils ont été, pleurant, par des quartiers infâmes
Où claquaient aux châssis des linges suspendus,
Ils ont été rôdant et fixant sur les femmes
Des regards suppliants comme les chiens perdus.
Parfois, dans une rue assoupie et déserte,
Rêvant des amours blancs, des échanges d’anneau.
Ils regardaient longtemps une fenêtre ouverte
D’où tombait dans la rue un chant de piano.
D’autres fois ils allaient aux saisons pluviales
Attendre, sous la flamme et l’or des magasins,
Le groupe turbulent des ouvrières pâles
Dont la bouche bleuie a le ton des raisins.
Pauvres coeurs méconnus, dédaignés par les vierges !
Où seule maintenant la bande des Désirs
S’installe. pour un soir comme dans des auberges
Et salit les murs blancs à ses mornes plaisirs.
Oh ! ceux-là je les plains, ces veufs d’épouses mortes
Qu’ils aimèrent en rêve et dont ils n’ont rien eu,
Mais qu’ils croient tous les jours voir surgir à leurs portes
Et dont partout les suit le visage inconnu.
Oh ! ceux-là je les plains, ces amants sans amante
Qui cherchent dans le vent des baisers parfumés,
Qui cherchent de l’oubli dans la nuit endormante
Et meurent du regret de n’être pas aimés
« Mes bras veulent s’ouvrir…» — Non ! Étreins les nuées
— « Je suis seul ! c’est l’hiver ! et je voudrais dormir
Sur les coussins de chair des gorges remuées ! »
— Ton âme n’aura pas ce divin souvenir.
Le Solitaire part à travers la bourrasque;
Il regarde la lune et lui demande accueil,
Mais la lune lui rit avec ses yeux de masque
Et les astres luisants sont des clous de cercueil.
Alors il intercède : « O vous, les jeunes filles,
Venez donc ! aimez-moi ! mes rêves vous feront
Des guirlandes de fleurs autant que les quadrilles… »
Elles répondent : non ! et lui part sous l’affront.
« Vous, mes soeurs, ô pitié! vous, les veuves lointaines,
Qui souffrez dans le deuil et dans l’isolement,
Mes larmes remettront de l’eau dans vos fontaines,
Et votre parc fermé fleurira brusquement… »
Non encor ! — Vous, du moins, les grandes courtisanes
Portant dans vos coeurs froids l’infini du péché,
Mes voluptés vers vous s’en vont en caravanes
Pour tarir votre vice ainsi qu’un puits caché… »
Mais leur appel se perd dans la neige et la pluie !
Et rien n’a consolé de leur tourment amer
Les martyrs d’idéal que leur grande âme ennuie
Et qui vivront plaintifs et seuls — comme la mer !
Chez nous à l’Orbrie
Les veufs se remarient
Les veufs tout vieux hier
et tout ragaillardis
aujourd’hui…
Plus de femme à la maison ?
Allons donc !
Et la popote ?
le lit bien fait ?
et la trique ?
ça manque aussi
les coups de balai !
Chez nous à l’Orbrie
les veufs se remarient…
Pas les veuves :
elles ont compris !
Les galants qui vous font la cour
font rimer amour
avec velours
Ah! Ah!
les femmes ne sont pas folles :
amour rime avec casserole
(Clod’Aria)
Recueil: Le rire en poésie
Traduction:
Editions: Gallimard
C’était au bon temps des voiles latines
Nous, on naviguait sur la Madelon
Le patron c’était Jules d’Essertines
Il était beau comme Apollon
Il fallait le voir commander sa barque
Oeil clair, torse nu, gorgé de soleil
Plein de majesté, comme un vrai monarque
Doré ma foi jusqu’aux orteils
Un tombeur de charme, et un tout bon type
Les belles partout guettaient son retour
Il aimait la vie, il aimait sa pipe
Son bateau, le vin, et l’amour
(Refrain)
Car après Dieu seul maître à bord
Comme tous les marins du monde
Il avait pour son réconfort
Une Louise dans chaque port
Par le Bouveret, c’était, grassouillette
L’Angèle une blonde aux jolis yeux pers
Qui lui tricotait maillots et chaussettes
Pour qu’il s’enrhume pas l’hiver
A Thonon l’Irma, la belle cafetière
L’abreuvait d’amour et de vin clairet
Mais il apprenait les belles manières
Avec une Anglaise à Revers
Y avait l’Amanda, la muse de Morges
Qui lui donnait tout dans sa véranda
Son corps, son esprit, sa superbe gorge
C’était lui l’amant d’Amanda
(Au refrain)
On le surnommait parfois « Fend-la-bise »
Mais le plus souvent « Jules-le-tombeur »
Pour bien bourlinguer entre les Louises
Fallait un fort navigateur
Y avait les maris, y avait les tempêtes
Le soleil, la pluie, et le calme plat
On restait des jours sans bouger en quête
D’un souffle d’air et puis voilà
Le coup de Vauder, escale à l’auberge
Douchy où l’Esther, l’ange du quartier
Lui jouait au piano « La prière d’une vierge »
Qu’il exauçait bien volontiers
(Au refrain)
Mais le vent tournait, rabattait les voiles
Et la Madelon, chargée de graviers
Mettait cap à l’ouest, et Jules en sandales
Veillait au grain sans sourciller
Le vent fraîchissait, on voyait les grèves
Défiler ma foi vite et joliment
Puis on débarquait au port de Genève
Ahuri sans savoir comment
Pour nous accueillir, toutes les grandes gueules
De Piogre étaient là, ça faisait du bruit
La grande Lulu disait : « Pas de meule
J’emmène Jules pour la nuit »
(Au refrain)
C’était le bon temps, mais trop de Louises
Et trop de bordées, c’est bien épuisant
C’est ainsi qu’un soir, notre Fend-la-bise
Il allait sur ses cinquante ans
En faisait escale au port de Villeneuve
Est tombé, ma foi, mort en plein bonheur
Dans les bras douillets d’une jolie veuve
On peut bien dire « au champ d’honneur »
Au navigateur de charme et d’eau douce
On a fait alors un bel enterrement
Toutes étaient là, les blondes, les rousses
Toutes les perles du Léman
Et les pirates de tous bords
Pour fleurir la tombe où repose
Désormais celui qui est mort
D’une Louise dans chaque port
Amour déshabillé de nous comme, de mousse,
Par la rage de l’eau,
Un mur, toujours plus bas plongeant dans le terreau
Peuplé de larves douces,
Ton torse blanc résiste à la griffe des houx,
Aux hachures de l’ombre
Et chaque pierre en toi reste fidèle au nombre
Qui s’est défait de nous.
Te retrouverons-nous ? Brûlerons-nous ensemble ?
Parfois, dans le charbon,
L’enfant croit reconnaître en nos amas profonds
Quelqu’un qui lui ressemble,
Mais ce n’est qu’un nuage, une feuille, un serpent
Ou quelque rêve informe
Comme en font les rochers lorsque l’on croit qu’ils dorment
A l’ombre des vivants.
Et toi tu resplendis, à la fois vierge et veuve
Au soleil revenu :
On dirait que, nous arrachant à ton flanc nu,
La mort te fait plus neuve,
Amour femelle, et ton entêtement joyeux
Dans la beauté du monde
Qui n’est beau que de toi, de ton haleine blonde
Et de l’eau de tes yeux.
Chut ! Oh ! ce soir, comme elle est près !
Vrai, je ne sais ce qu’elle pense,
Me ferait-elle des avances ?
Est-ce là le rayon qui fiance
Nos coeurs humains à son coeur frais ?
Par quels ennuis kilométriques
Mener ma silhouette encor,
Avant de prendre mon essor
Pour arrimer, veuf de tout corps,
A ses dortoirs madréporiques.
Mets de la Lune dans ton vin,
M’a dit sa moue cadenassée ;
Je ne bois que de l’eau glacée,
Et de sa seule panacée
Mes tissus qui stagnent ont faim.
Lune, consomme mon baptême,
Lave mes yeux de ton linceul ;
Qu’aux hommes, je sois ton filleul ;
Et pour nos compagnes, le seul
Qui les délivre d’elles-mêmes.
Lune, mise au ban du Progrès
Des populaces des Etoiles,
Volatilise-moi les moelles,
Que je t’arrive à pleines voiles,
Dolmen, Cyprès, Amen, au frais !