Cette maladie
Si difficile
A affronter
Cette perte de liens
Avec l’univers
Cette confrontation
De la mort
Ce passage si bref
Cette demeure si close
Bientôt infinie
Cette perte des liens
Avec l’univers
Cette confrontation
De la mort
Ce temps si court
Ces souvenirs
Bientôt finis
Cette absurdité
Cette ouverture
Sur l’infini
Cette interruption
(Andrée Chedid)
Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion
Ouaip.
Septembre, long regard paresseux
dans le miroir,
mais dis donc c’est vrai :
j’ai 31 ans
et mon nez
vieillit.
Ça commence à
un pouce
sous l’arête
et retombe gériatriquement
d’un pouce environ
avant de faire
halte.
Par chance, le reste
du nez est comparativement
jeune.
Je me demande si les filles
voudront de moi avec mon
vieux nez.
je les entends d’ici
les garces sans coeur !
« Il est adorable
mais son nez
est vieux. »
***
My Nose Is Growing Old
Yup.
A long lazy September look
in the mirror
says it’s true:
I’m 31
and my nose is growing
old.
It starts about
an inch
below the bridge
and strolls geriatrically
down
for another inch or so:
stopping.
Fortunately, the rest
of the nose is comparatively
young.
I wonder if girls
will want me with an
old nose.
I can hear them now
the heartless bitches!
« He’s cute
but his nose
is old ».
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Par monts et par rivières je suis las de courir,
Vieillissant sans vieillir, ce lieu est mon refuge.
Mon corps déjà ressemble à une fleur flétrie,
Le monde est déjà mort, tel un courant qui passe.
Les nuages accompagnent le calme solitaire,
Cheveux blancs broussailleux sont neige sur ma tête.
Ce qui me reste d’ans, peu importe combien,
Penser à la non-vie m’accorde le repos.
(Hanshan Deqing)
Recueil: Poèmes Chan
Traduction: du chinois par Jacques Pimpaneau
Editions: Philippe Picquier
J’ai retrouvé ma muse encore par hasard.
J’étais si malheureux qu’elle est venue.
Elle parlait avec tout le monde, elle les écoutait tous,
Elle avait engraissé, mais n’avait plus de tension,
Elle me trahissait tant qu’elle m’avait complètement oublié,
On lui dit que je vais mourir,
Elle arrache son corps, gémit, vieillit;
Ses yeux profonds me pénètrent, me raniment,
Me jettent l’alliance dont j’ai besoin
Et sans rien lui avouer je retrouve la respiration.
Après l’errance dans les villes
après les années qui ont fatigué mes épaules.
Je nous chante
chante nos enfances.
Je ne crois pas avoir vieilli. Je marche étranger,
ni plainte, ni consolation — amour et mort
se partagent le même ciel et j’exhorte
ceux qui viendront après moi
à éclairer
de leur corps les ténèbres.
(Adonis)
Recueil: Commencement du corps fin de l’océan
Traduction: Vénus Khoury-Ghata
Editions: Mercure de France
C’est quoi la musique? C’est du son qui se parfume
C’est quoi l’émotion? C’est l’âme qui s’allume
C’est quoi un compliment? Un baiser invisible
Et la nostalgie? Du passé comestible
C’est quoi l’insouciance? C’est du temps que l’on sème
C’est quoi le bon temps? C’est ta main dans la mienne
C’est quoi l’enthousiasme? C’est des rêves qui militent
Et la bienveillance? les anges qui s’invitent
Et c’est quoi l’espoir? Du bonheur qui attend
Et un arc-en-ciel? Un monument aux vivants
C’est quoi grandir? C’est fabriquer des premières fois
Et c’est quoi l’enfance? De la tendresse en pyjama
Mais dis, papa
La vie c’est quoi?
Petite, tu vois
La vie, c’est un peu de tout ça, mais surtout c’est toi
C’est toi
C’est quoi le remord? C’est un fantôme qui flâne
Et la routine? Les envies qui se fanent
C’est quoi l’essentiel? C’est de toujours y croire
Et un souvenir? Un dessin sur la mémoire
C’est quoi un sourire? C’est du vent dans les voiles
Et la poésie? Une épuisette à étoiles
C’est quoi l’indifférence? C’est la vie sans les couleurs
Et c’est quoi le racisme? Une infirmité du cœur
C’est quoi l’amitié? C’est une île au trésor
Et l’école buissonnière? Un croche-patte à Pythagore
C’est quoi la sagesse? C’est Tintin au Tibet
Et c’est quoi le bonheur? C’est maintenant ou jamais
Mais dis, papa
La vie c’est quoi?
Petite, tu vois
La vie, c’est un peu de tout ça, mais surtout c’est toi
C’est toi
Dans tes histoires, dans tes délires, dans la fanfare de tes fous rires
La vie est là, la vie est là
Dans notre armoire à souvenirs, dans l’espoir de te voir vieillir
La vie est là, la vie est là