un jour cette montagne aigrie s’ouvrira
et une rivière lumineuse se déchaînera
dans la soif
comme un sanglot ou comme un rire
je ne saurais dire
un jour
le silence s’essoufflera
il appellera ses vagues
il ira se retirer dans les profondeurs
auprès de ses affreux naufrages
un jour
tu auras une coupe à boire
et une voix pour parler
alors tel un voleur
dépêche-toi
car la solitude
cruelle mégère
pourrait rentrer à l’improviste
Le compère Thomas et son ami Lubin
Allaient à pied tous deux à la ville prochaine.
Thomas trouve sur son chemin
Une bourse de louis pleine ;
Il l’empoche aussitôt. Lubin, d’un air content,
Lui dit : pour nous la bonne aubaine !
Non, répond Thomas froidement,
Pour nous n’est pas bien dit, pour moi c’est différent.
Lubin ne souffle plus ; mais, en quittant la plaine,
Ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin.
Thomas tremblant, et non sans cause,
Dit : nous sommes perdus ! Non, lui répond Lubin,
Nous n’est pas le vrai mot, mais toi, c’est autre chose.
Cela dit, il s’échappe à travers les taillis.
Immobile de peur, Thomas est bientôt pris,
Il tire la bourse et la donne.
Qui ne songe qu’à soi quand sa fortune est bonne
Dans le malheur n’a point d’amis.
Chaque soir revenait l’instant fatidique Il
traînait prenait le pot traînait encore Puis
bandant sa volonté dominant sa peur il se
jetait dans la nuit descendait des marches
ouvrait à tâtons la porte qui grinçait
Il descendait encore La lumière éclairait
à peine la cuve et les tonneaux
Du robinet ne coulait qu’un mince filet de vin
À tout instant pouvait surgir le voleur d’enfant
Dans sa main le pot tremblait
Plus tard il lui a fallu descendre dans une autre cave Il
n’en est remonté qu’après de longues années
(Charles Juliet)
S’il fut un premier jour, 2005.
Recueil: Courage Dix variations sur le courage et un chant de résistance
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
– Y a-t-il un lieu de silence
Où je puisse essayer mon chant
Sans que le submerge en moi-même
Le tumulte de ces orages,
Les cris aigus de ce prétoire
Où se proclament par cent voix
Le mensonge des criminels
La cupidité des voleurs
Et la lâcheté des esclaves ?
– Un seul accent vrai de ton cœur
En toi couvrira cent voix fausses.
Ah ! mon cœur n’est-il pas pareil
À un fruit jeté dans la mer :
Quand un batelier le recueille
Il est encore plein et doré
Mais sa chair que l’eau a forcée
N’a plus que l’âcreté du sel.
J’ai regardé bien trop de morts
Avec des yeux secs et distraits ;
J’ai connu trop de paysages,
J’ai pressé pendant ces cinq ans
Trop de mains, vu trop de visages ;
Des flots ont noyé ma mémoire.
– La moisson étouffe et aveugle
L’ample grenier qui la contient
Mais d’où jaillira chaque gerbe
À son tour, avec tous ses grains.
Sur le lourd butin qui t’accable
Penche-toi ! Dans un cœur aimant
Rien n’est perdu, rien ne s’efface
De ce qu’y a mis chaque jour.
(Charles Vildrac)
Recueil: Chants du désespéré (1914-1920) –
Traduction:
Editions: Gallimard
Couplet 1 :
Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !
Refrain : (2 fois sur deux airs différents)
C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.
Couplet 2 :
Il n’est pas de sauveurs suprêmes,
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !
Refrain
Couplet 3 :
L’État opprime et la loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche,
Le droit du pauvre est un mot creux.
C’est assez languir en tutelle,
L’égalité veut d’autres lois :
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,
Égaux, pas de devoirs sans droits ! »
Refrain
Couplet 4 :
Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail,
Ont-ils jamais fait autre chose,
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la bande,
Ce qu’il a créé s’est fondu.
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.
Refrain
Couplet 5 :
Les Rois nous saoûlaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent, ces cannibales,
À faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
Refrain
Couplet 6 :
Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de loup de fougère et de menthe
voleuse de parfum impure fausse nuit
fille aux cheveux d’écume issue de l’eau dormante
Après l’aube la nuit tisseuse de chansons
s’endort d’un songe lourd d’astres et de méduses
et les jambes mêlées aux fuseaux des saisons
veille sur le repos des étoiles confuses
Sa main laisse glisser les constellations
le sable fabuleux des mondes solitaires
la poussière de Dieu et de sa création
la semence de feu qui féconde les terres
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de mer de feu de loup de piège
bergère sans troupeaux glaneuse sans épis
aveugle aux lèvres d’or qui marche sur la neige.
(Claude Roy)
Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse
L’autre jour j’écoutais le temps
qui passait dans l’horloge.
Chaînes, battants et rouages
il faisait plus de bruit que cent
au clocher du village
et mon âme en était contente.
J’aime mieux le temps s’il se montre
que s’il passe en nous sans bruit
comme un voleur dans la nuit.
(Jean Tardieu)
Recueil: L’accent grave et l’accent aigu
Traduction:
Editions: Gallimard
Une rumeur d’épouvante rôde en ville,
Se glisse dans les maisons comme un voleur.
Pourquoi ne pas relire, avant de m’endormir,
Le conte de Barbe-Bleue ?
Comment la septième monta l’escalier,
Comment elle appela sa soeur cadette,
Et guetta, retenant son souffle,
Ses frères bien-aimés, ou la terrible messagère…
Une poussière s’élève comme un nuage de neige,
Les frères vont entrer au galop dans la cour du château,
Et sur la nuque innocente et gracile,
Le tranchant de la hache ne se lèvera pas.
Consolée à présent par cette cavalcade,
Je devrais m’endormir tranquille
Mais qu’a-t-il, ce coeur, à battre comme un enragé,
Et le sommeil, pourquoi ne vient-il pas ?