Voyages de minuit.
Retours des abîmes qui concernent
le refuge d’être vivants, dans l’ombre,
au bord de l’abîme total.
On a essayé de se bander les yeux
ou d’accéder aux cécités provisoires que la vie nous accorde,
mais le pouvoir de la vision perfore tous les murs
et nous fige dans la haute mer muette.
Voyages de minuit.
Après quoi on peut voyager n’importe où,
et prendre dans la main la pensée
comme une petite lampe votive
dans ce temple dénudé.
***
Viajes de la medianoche.
Regresos de los abismos relativos
al refugio de estar vivos, en la sombra,
al borde del abismo total.
Hemos tratado de vendarnos los ojos
o acceder a las cegueras provisorias que la vida nos permite,
pero et goder de la visíon perfora cualquier mura
y nos planta en los piélagos callados.
Viajes de la medianoche.
Después se puede viajar a cualquier parte
y tomar en la mano el pensamiento
como una pequeña lámpara votiva
en este templo desnudo.
Au moins que ce soit un jour de cerisiers et de lilas
Et que ma tête ne ressemble pas encore à celle des morts
Avec cette mâchoire qu’ils ont
Avant qu’elle se détache et tombe seule dans l’ossuaire
Ce matin je pense à toi,
Mozart
Dans ta fosse de tibias et de crânes
Ô glorieux, et ce jour-là qui était ton jour ton ange pleurait
Parce que Dieu avait voulu pour toi
Ce Golgotha inversé dans la pluie du vieux novembre
À ma mort qu’il n’y ait pas d’ange mais qu’il me soit donné
D’entendre encore une fois la mésange de l’âme
Et le rossignol qui a égrené si souvent
ses trilles autour de mon cœur
Que je sois seul moi aussi
Mais que s’ouvre l’air à ma bouche
Que vienne une dernière fois le vent que j’ai bu
Avec l’avidité d’un enfant qui tète
Et que mes os commencent à descendre avec lenteur
Dans la terre printanière
Je bois la mort, maintenant
L’eau de la mort
J’ai les seins du vide aux dents
Et le regret du corps aimé
en creux dans l’ombre sonore
Ah Mozart, chante encore à mon cœur sans forme
Ce chant céleste où toi et moi
N’avons part dans nos espaces
et que furent les roses. Du parfum? pour que
j’oublie ….ou la pure Musique gravissant précairement
le crépuscule
mais il y a quelque chose de plus mûrement
enfantin,de plus beau que toi presque.
Mais sinon des fleurs,dis-moi doucement qui
sont ces habituées des rêves à demi-souriant
gravement sur de calmes visages,se déplaçant purement
d’un pas assourdi,quoique assez fièrement aussi —
ne sont-elles pas des dames,les dames de mes rêves
touchant justement les roses par qui vivent blanchement
leurs doigts?
ou mieux,
des reines, des reines riant légèrement
couronnées de couleurs lointaines,
pensant beaucoup
à rien et que l’aube préfère toucher
sur les ruisseaux penchés,près des saules votives?
(Edward Estlin Cummings)
Recueil: XLI Poèmes
Traduction: Thierry Gillyboeuf
Editions: La Nerthe