Je tue le temps en taillant dans la houille.
Engorgé je me débarrasse ou j’essaie.
Je tue le temps au vin rouge, à la délicatesse,
à la franche gaieté, à la morale,
à l’excès de zèle, à qui perd gagne, à la boussole,
avec un miroir d’emprunt,
avec un regard farouche,
avec un sourire componctueux,
avec une envie de pleurer.
Je tue le temps à creuse rêverie,
avec un marteau-piqueur, avec un petit flageolet,
avec une superbe convoitise,
avec une raillerie épaisse,
en toute bonne foi, avec un oeil en coin,
avec les discours habituels, avec des mots écrits,
avec du vent.
Je n’approche pas du recours imaginé.
Je tue le temps. Je taille en suffoquant, j’essaie.
Je tue le temps. Si un faucon au poing j’allais,
je saurais faire.
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
Des cadillacs et des ombrelles
De l’albuplast et de bretelles
De faux dollars de vrais bijoux
Y’en a vraiment pour tous les goûts
Des oraisons pour dentifrices
Des chiens nourris qui parlent anglais
Et les putains à l’exercice
Avec leurs yeux qui font des frais
De faux tableaux qui font la gueule
Et puis des vrais qui leur en veulent
Des accordéons déployés
Qui soufflent un peu avant de gueuler
Des filles en fleurs des fleurs nouvelles
Des illustrés à bonne d’enfant
Et des enfants qui font les belles
Devant des mecs bourrés d’argent
Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les coeurs
A faire se lever le bonheur
Des fois qu’il pousserait dans les rues
Les faux poètes qu’on affiche
Et qui se meurent à l’hémistiche
Les vedettes à nouveau nez
Paroles de Léo Ferré
Les prix Goncourt que l’on égorge
Les gorges chaudes pour la voix
Les coupe file et les soutiens-gorge
Avec la notice d’emploi
Des chansons mortes dans la cire
Et des pick-up pour les traduire
Microsillon baille aux corneilles
C’est tout Mozart dans une bouteille
Le sang qui coule plein à la une
Et qui se caille aux mots croisés
« France soir », « Le Monde » et la fortune
Devant des mecs qu’ont pas bouffé
Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme aux alentours
A faire se lever l’amour
Des fois qu’on le vendrait aux surplus
Des père Noël grandeur nature
Qui ne descendent plus que pour les parents
Pendant que les gosses jouent les doublures
En attendant d’avoir vingt ans
Toupie qui tourne au quart de tour
Bonbons fondants bonheur du jour
Et ces mômes qu’en ont plein les bras
A lécher la vitrine comme ça
Des soldats de plomb qui font du zèle
Des poupées qui font la vaisselle
De drôles d’oiseaux en équilibre
Pour amuser les tout petits
A l’intérieur la vente est libre
Pour ceux qui s’ennuient dans la vie
Des merveilles qu’on peut pas toucher
Devant des mecs qui peuvent « Entrer »
Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les yeux
A rendre aveugles tous les gueux
Des fois qu’ils en auraient trop vu
Jambon d’York garanti Villette
Des alcools avec étiquettes
Crème à raser les plus coriaces
« Où l’on m’étend le poil se lasse »
La gaine qui fond sous les caresses
Le slip qui rit le bas qu’encaisse
L’escarpin qui use le pavé
Les parfums qui sentent le péché
Des falbalas pour la comtesse
Des bandes en soie pour pas que ça blesse
Du chinchilla de la toile écrue
Y faut vêtir ceux qui sont nus
Des pull-over si vrais qu’ils bêlent
Des vins si vieux qu’ils coulent gagas
Des décorations qu’étincellent
Devant des mecs qui n’en veulent pas.
Les vitrines de l’avenue
C’est mes poches à moi quand je rêve
Et que j’y fouille à mains perdues
Des lambeaux de désirs qui lèvent
La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah ! Disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
Toi, l’esclave de l’homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,
Tu reçois, pour prix de ton zèle,
Des coups et souvent le trépas.
Moi, qui tous les ans les habille,
Qui leur donne du lait, et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu’un de ma famille
Assassiné par ces méchants.
Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,
Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste !
Il est vrai, dit le chien : mais crois-tu plus heureux
Les auteurs de notre misère ?
Va, ma sœur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire.
Un chien vendu par son maître
Brisa sa chaîne, et revint
Au logis qui le vit naître.
Jugez de ce qu’il devint
Lorsque, pour prix de son zèle,
Il fut de cette maison
Reconduit par le bâton
Vers sa demeure nouvelle.
Un vieux chat, son compagnon,
Voyant sa surprise extrême,
En passant lui dit ce mot :
Tu croyais donc, pauvre sot,
Que c’est pour nous qu’on nous aime !
Rien ne ressemble plus à Dieu dans l’immensité de l’univers que le silence
Les gens ne devraient pas tant penser à ce qu’ils font,
ils devraient penser à ce qu’ils sont.
Si les gens étaient bons ainsi que leur manière d’être,
leurs œuvres pourraient vivement rayonner.
Si tu es juste, tes œuvres aussi sont justes.
Ne pense pas que la sainteté se fonde sur les actes,
on doit fonder la sainteté sur l’être,
car ce ne sont pas les œuvres qui sanctifient,
c’est nous qui devons sanctifier les œuvres.
Si saintes que soient les œuvres,
elles ne nous sanctifient absolument pas en tant qu’œuvres,
mais dans la mesure où sont saints notre être et notre nature,
dans cette mesure, nous sanctifions toutes nos œuvres,
que ce soit manger, dormir, veiller ou autre chose.
Ceux qui ne sont pas d’une nature élevée,
quelles que soient les œuvres qu’ils accomplissent,
elles ne valent rien.
Remarque par là tout le zèle qu’il faut apporter à être bon,
non pas tant pour ce que l’on fait ou par la nature des œuvres,
mais bien par le fondement des œuvres.
Si dans quelque vallée allant au soir enfin
Madame je découvre une source secrète
Ne vous étonnez de la soif du pèlerin
Qui plonge sa figure à la soyeuse fête
Quand dans cette vallée au dam des séraphins
Et des oiseaux musiciens du crépuscule
Un pèlerin s’abreuve au cours d’un ruisseau fin
Sous le buisson bouclé où la nuit ne recule
Alors ne vous fâchez
Madame à ce beau zèle
Si ce voyageur assoiffé de votre eau claire
S’enivre à sa fraîcheur ardente entre vos ailes
Mais la paix lui donnez, le songe avec l’appât
Pour que la nuit vous noue en une heureuse paire
La mort vous jalousant et ne se montrant pas
dans tes pentes dans tes plis sondant
Descendant par l’ombre et la moire à ton noir
Si je rôde et respire à tes alentours
Glissant du relief par la zone rose
Au secret gorgé de ce noir À la faille à la gorge, fente dans sa plissure avisant
Maintenant scrutant la buée belle à voir
Ce glissement à ta chaleur déjà liquide
Madame la fente où règne l’Odeur
O regardant par l’entaille le délice
de sueur, de fétide miel
Dans le val ce silence noir
De sombre suc musicien
Si descendant rôdant encore à cette orée
Je me tue à percer un chemin autre À la caverne visiteur épuisé de zèle
Quand la tonne parfumée exhale
Et coule en pluie à ta paroi
ruisselante robe définitive À ma bouche bien avant le drap des morts
O fente si je viens en toi
Par la langue et l’œil ouvrant ta nuit sacrée
Descendant par les haltes un songe noir comme un fleuve
Enfoui l’oubli muet dans tes pentes
Si j’allume au fond de la chambre
Cette lampe, fente, tes alentours sur la strie
Noire à l’ombre offrant la glu à me tuer
Visiteur encore rêvant mangeant la lumineuse suie
1
Femme d’embruns brûlés
Et de bourgeons d’étoile
Qui crayonne les cyclones
La monture des marées
Et par ravine chaude où sommeille ta chaleur
Redonne au monde le bel incendie
La première étincelle
La parole inconsolée des mythes
2
Il fait toujours soleil
Dans la splendeur des songes
Et la roue de tes mains
Lavée du plus beau sang
Au nom du chant des mers disparues
Témoigne
3
Femme aux tempes de pierre polie
Aux temples couleur de jungle
Qui conjure un mauvais sort
Danse de couleuvres
Terre tremblée
Cri mouillé
Femme du fond des nuits
Qui sort les pagaies lumineuses
De sa révolte
Épouse des aurores boréales
Ruche zélée des moussons
Remuant les vagues du commencement
4
Femme
Plus tendre que le coeur du déluge
Un grand sillage phosphorescent
Ta liberté
Feu de l’amour libre
Qui nourrit le soleil
Ta liberté
Mémoire
Tressant
La gerbe des rosées
L’impossible poinçon rouge cousu au front
Des voyances
(Ernest Pépin)
Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Étincelle.
Incandescence.
Rougeoiements du charbon enflammé.
Chaleur fiévreuse de l’été.
Vie, vivacité, vigueur et volupté.
Sens, sensualité,excitation, extase.
Fougue batailleuse ou conquérante, généreusement créatrice.
Combustion naturelle de l’existence.
Zèle des dieux qui sommeillent en nous
à la manière des rupestres dans leur abri sous roche…
Ardeur.
Le mot vibre de la charge solaire qui est en lui.
Qu’elles soient provençale, italienne ou espagnole,
ses parentés linguistiques puisent invariablement dans la même matière en fusion:
« ardeur » vient du latin ardor, de ardere qui signifie « brûler ».
(Bruno Doucey)(Thierry Renard)
Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Avec peu de frères, fuyez le bruit des hordes
Avant que dans le froid poison ne soit défait
Votre jeune vouloir: bâtissez pour la paix
Dans un val silencieux la maison de votre Ordre.
Bercés d’heures égales aux douces mélodies
Travailler le sol chaste est un acte sacré
Le jour s’écoule ainsi rythmé de sept degrés
pour vous et ma légion qui à vous se dédie.
L’enlacement ignore les avides tourments
L’amitié libérée de peur et désespoir —
Sanglots baisers et mots s’envolent dans le soir..
Voici des couples pieux le sublime ornement :
De douleur et d’envie sereines consumés
De lever leur regard vers cette beauté bleue
Renoncement divin zèle des bienheureux —
Comme enseigna jadis un moine à Fiesole.