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Poésie

D’un fruit qu’on laisse pourrir à terre, il peut encore sortir un nouvel arbre (René Daumal)

Posted by arbrealettres sur 19 juin 2024



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D’un fruit qu’on laisse pourrir à terre,
il peut encore sortir un nouvel arbre.
De cet arbre, des fruits nouveaux par centaines.

Mais si le poème est un fruit,
le poète n’est pas un arbre.

Il vous demande de prendre ses paroles
et de les manger sur-le-champ.
Car il ne peut, à lui tout seul, produire son fruit.

Il faut être deux pour faire un poème.
Celui qui parle est le père,
celui qui écoute est la mère,
le poème est leur enfant.

Le poème qui n’est pas écouté
est une semence perdue.
Ou encore : celui qui parle est la mère,
le poème est l’oeuf
et celui qui écoute est fécondateur de l’oeuf.

Le poème qui n’est pas écouté devient un oeuf pourri.

C’est à cela que songeait, dans sa prison,
un poète condamné à mort.
C’était dans un petit pays qui venait d’être envahi par les armées d’un conquérant.
On avait arrêté le poète
parce que, dans une chanson qu’il chantait sur les routes,
il avait comparé la tristesse qui rongeait jusqu’à l’os la chair de son corps
aux fumées meurtrières qui avaient brûlé jusqu’au roc la terre de son village.

(René Daumal)

texte ici: http://wikilivres.ca/wiki/Les_Derni%C3%A8res_Paroles_du_po%C3%A8te

 

2 Réponses to “D’un fruit qu’on laisse pourrir à terre, il peut encore sortir un nouvel arbre (René Daumal)”

  1. Arbre sans fruit
    —–

    Cet arbre a grandi loin des bienfaisants rivages,
    Le pollen fécondant nullement ne l’atteint ;
    Et l’abeille du soir, et celle du matin
    Toujours ont déserté cette zone sauvage.

    Un autre Adam vécut dans ces lointains parages,
    C’est ce que nous apprend un vieux bénédictin ;
    Mais pour lui, ni serpent, ni funeste destin,
    Juste cet arbre nu, pas de fruit, pas d’outrage.

    — Or, peut-on s’envoler vers ces lieux étrangers ?
    Quel plan nous faudrait-il pour ainsi voyager ?
    — Cesse donc de rêver, tu n’y pourras prétendre.

    Et tu me répondras que cela te déçoit,
    Mais il en est ainsi, l’Adam pur ne reçoit
    Jamais de visiteurs, pas même une Ève tendre.

    • Fructification miraculeuse
      ————-

      Ce plaisant fruit nous fait envie,
      Mais ne soyons pas obstinés ;
      Car, s’il ne nous est pas donné,
      Dionysos ailleurs nous convie.

      Une fringale inassouvie,
      Nous n’en serons guère peinés ;
      Comme le disent nos aînés,
      Il faut faire avec, c’est la vie.

      Cueillons d’autres fruits, par milliers,
      De ceux qui nous sont familiers ;
      Notre pitance accoutumée.

      Rien ne sert d’être fort gourmands ;
      Nous résisterons sobrement
      À la tentation parfumée.

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