J’ai aimé le grand vent
et le ressac
et l’oiseau libre sur son rocher
J’ai aimé ce tendre visage
et cette mère comme le large
j’ai aimé
j’ai aimé tant de choses qui passent
Mais ce vent me disait autre chose et ce
visage me souriait d’ailleurs et cet
oiseau volait par mon coeur
depuis
depuis des âges
J’ai aimé
J’ai aimé tant d’infortunes
et promené un chagrin comme les âges
Et j’ai aimé enfin
ce qui battait dans mon cœur
partout
ce qui chantait dans mes chagrins
partout
ce qui souriait dans tout
J’ai aimé Toi qui es mon voyage et mon grand large
et mon océan au bout des peines et des chemins
Ô Toi, mon oiseau
si vieux
si chantant toujours
je ne savais pas
je ne savais pas
que je t’aimais toujours
depuis toujours
Tu es mon ciel et mon enfer et ma joie et ma peine
et ce qui chante toujours-toujours
Avec un cri aussi
de ne pas t’avoir aimé toujours
de n’avoir pas su
ce que je savais depuis des âges
avec les rochers et le ressac
et le n’importe quoi
qui passe
qui passe
qui est toujours
(Satprem) (1923-2007)
Recueil: Un feu au coeur du vent Trésor de la poésie indienne Des Védas au XXIème siècle
Traduction:
Editions: Gallimard
N’est-il pas vrai Marie que c’est prier pour vous
Que de lui dire «Je t’aime» en tombant à genoux?
N’est-il pas vrai Marie que c’est prier pour vous
Que pleurer de bonheur en riant comme un fou
Que couvrir de tendresse nos païennes amours
C’est fleurir de prières chaque nuit, chaque jour?
N’est-il pas vrai Marie que c’est chanter pour vous
Que semer nos chemins, de simple poésie?
N’est-il pas vrai Marie que c’est chanter pour vous
Que voir en chaque chose, une chose jolie
Que chanter pour l’enfant qui bientôt nous viendra
C’est chanter pour l’Enfant qui repose en vos bras?
L’herbe du défilé sous un halo de brouillard s’étale,
De la Wei en remous s’entend le grondement.
Les vagues de pluie du printemps s’apaisent,
une légère poussière se répand,
On monte en selle pour partir en campagne.
Voyez là si verdoyants les saules,
Dont ici on a tiré et brisé un rameau.
On se met en branle le coeur lourd,
Qui sait en quelle saison nous serons à nouveau réunis ?
Alors, vidons encore un verre,
Chantons encore un air !
On soupire sur l’existence,
Si amer de passer d’une joyeuse compagnie aux adieux, au départ.
Aussi ne nous dérobons pas à l’ivresse profonde,
Prêtons l’oreille aux « Passes du Soleil » jusqu’au bout.
Quand nous repenserons à nos chers vieux amis,
Éloignés de cent lieues, avec eux nous partagerons le clair de lune.
***
(Kòu Zhùn) (961-1023)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Écrire de la poésie dans les lieux publics, cafés, bars, etc…
Seul dans un lieu plein d’inconnus
chante comme si j’étais au centre
d’un choeur céleste
— ma langue un nuage de miel —
Parfois je me trouve bizarre.
***
Writing Poetry in Public Places, Cafes, Bars, etc
Alone in a place full of strangers
I sing as if I’m in the center
of a heavenly choir
— my tongue a cloud of honey —
Sometimes I think I’m weird.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
M’en allant par la bruyère
– Buisson rouge, buisson blanc –
Pour cueillir la fleur dernière
Qui pousse au milieu du vent.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
Passant vers la clématite
– Le rouge-gorge est dedans –
J’ai rencontré la nourrice
Qui mène au bois ses enfants.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
Les trois plus beaux vont derrière,
Les trois plus gais vont devant,
Mais la petite dernière
Traîne le pied marchant.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
Passant par le champ de trèfle
– Ses frères sont loin du champ –
Elle baisse un peu la tête,
Elle s’arrête en pleurant.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
« Viens-t’en, ma petite rose,
Ma mie, avec moi viens-t’en.
Nous rattraperons les autres
À travers les pays grands.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
« Donne-moi ta main sauvage
Qui tient une fleur au vent;
Donne-moi ton doux visage
Et ton joli cœur battant.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
« Donne-moi ton cœur qui tremble
Avec son chagrin dedans;
Nous le porterons ensemble
Sous mon grand manteau flottant.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
« Et j’endormirai ta peine
Le long des bois en chantant.
Ta peine d’aujourd’hui même
Et celles des autres temps.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
« La plus vive, la plus folle
Qui sort du monde au printemps
Et celle qui vient d’automne
Pour faire mourir les champs.
Buisson rouge, buisson jaune, buissons au loin buissonnant.
Au fond de la nuit, les fermes sommeillent,
Cadenas tirés sur la fleur du vin,
Mais la fleur du feu y fermente et veille
Comme le soleil au creux des moulins.
Aux ruisseaux gelés la pierre est à fendre
Par temps de froidure, il n’est plus de fous,
L’heure de minuit, cette heure où l’on chante
Piquera mon cœur bien mieux que le houx.
J’avais des amours, des amis sans nombre
Des rires tressés au ciel de l’été,
Lors, me voici seul, tisonnant des ombres
Le charroi d’hiver a tout emporté.
Pourquoi ce Noël, pourquoi ces lumières,
Il n’est rien venu d’autre que les pleurs,
Je ne mordrai plus dans l’orange amère
Et ton souvenir m’arrache le cœur.