Souvent je me rappelle la gloriette du ruisseau à la tombée du jour,
Alors que plongée dans l’ivresse j’avais perdu le chemin pour rentrer.
L’euphorie passée, au soir revenant en barque,
Égarée, je m’enfonçai dans les lotus en fleurs.
Frayer la brèche, frayer la brèche,
D’effroi je fis s’envoler toute une grève de goélands et d’aigrettes !
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(Li Qing Zhào) (1084 — après 1149)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
J’imaginais avoir beaucoup appris,
j’ai passé bien des années dans des rêveries,
et ai récolté maintes déceptions de mes chimères.
J’ai fait ce que j’étais incapable de faire :
j’ai déplacé les montagnes, fait rouler des trains
dans leur ventre.
Comme un roi content que ses volontés soient faites
j’étais satisfait,
et ma conscience s’envolait haut comme un oiseau et revenait à moi
Mais ce que j’ai raté,
la plus grande chose que j’ai ratée, c’est d’apprendre
à dire
au bon moment
à qui j’aime
je
t’aime.
(Adil Mahmud)
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Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
Posé à même la montagne inclinée,
Je suis l’errance d’une barque fragile,
Dont l’écho rappelle ma destinée.
Elle flotte, légère, sur les flots lourds,
Et fuit mon regard dans l’ampleur du ciel.
Le soleil s’épuise alors dans l’horizon
Et ma vue entre soudain dans le demi-jour d’une lumière indécise.
Un dernier rayon considère encore la cime des arbres
Et la pointe des roches chenues.
Tandis que le lac se teinte d’encre noire,
Des nuages rouges témoignent encore de l’astre défunt.
L’ombre des îles, plus noire encore
Se détache des eaux assoupies
Qui reflètent un instant le souvenir du jour ;
Mais déjà l’obscurité pèse sur les bois et les collines,
Et le trait confus du rivage
Se trouble dans mon regard impuissant.
La nuit vient, l’air est vif ;
Le souffle du nord crie implacable
Et pousse les cormorans vers la rive.
Ils attendront l’aurore entre les roseaux.
La lune coquette se montre sur les eaux lisses.
Je prends mon luth
Et accompagne ma solitude.
Mes doigts caressent les cordes en sanglots ;
Le chant disperse au loin ses accords.
Le temps s’envole ;
Un frisson de rosée me rappelle à l’heure tardive.
(Chang Jian)
(VIIIe siècle)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Je baigne mon corps dans l’eau d’orchidée
Et mille parfums se mêlent à mes cheveux.
Je passe des robes colorées à la trame fleurie.
L’esprit des nuées tourne et virevolte.
Il s’équilibre enfin.
Radieux et souverain dans sa gloire éternelle,
Il vient se délasser dans le temple de Longue Vie.
Le soleil et la lune ornent son éclat.
Son char est attelé d’un dragon.
Sa main divine est ferme sur les rênes.
Il vagabonde dans l’ampleur du ciel.
À peine descendu, le voilà déjà qui s’envole jusqu’aux nuages.
Ses yeux limpides embrassent le Nord et les régions des quatre mers.
Quelle contrée n’a-t-il pas encore visitée ?
Je pense à vous beau seigneur en soupirant.
Grave est ce coeur que vous seul savez affliger.
(Anonyme)
Le Recueil des chants du Sud (Chuci)
(IV III siècles : période des Royaumes combattants)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Une tourterelle, longtemps immobile
et songeuse sur une branche de tilleul,
s’envole brusquement,
comme saisie par une pensée si belle
qu’il lui faut tout de suite aller la dire à son ami.
Combien de temps le rouge-gorge a-t-il joué sous mes yeux?
Deux secondes, peut-être trois –
et cela a suffi pour qu’avec son bec
il attrape une maille de mon coeur et, s’envolant brusquement,
défasse toute la pelote pour l’emmener dans le ciel
où je me découvrais soudain rêveur.
Il est seul dans la cour murée
avec un jouet dont bat
le ressort fatigué
une plume s’envole
qui s’en vient retomber
sur la terre où s’affrontent
les forces de l’amour
celles aussi de la peur