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Poésie

Posts Tagged ‘sauvage’

J’aime te voir souffrir (Jane Catulle-Mendès)

Posted by arbrealettres sur 6 juin 2023



Illustration: Rolf Armstrong
    
J’aime te voir souffrir. Je suis douce pourtant.
Mais j’aime, sur ton front, la douleur qui ravage
Et j’aime, dans tes yeux, cette lueur sauvage
Comme un couteau brandi sur un sein palpiltant.

Je t’aime. Et d’un coeur sec, attentif, ínsistant,
Je verse la douleur, lent et brûlant breuvage,
Dans tes veines, afin d’y mettre un esclavage
Aussi fort que la joie et que l’amour constant.

Je t’aime. Mais l’amour porte une face double;
Il me faut ton bonheur et ton plus mauvais trouble,
Ton bonheur rayonnant, ton trouble qui l’éteint.

Il faut que l’un en l’autre et s’habite et s’obsède,
Pour que soient satisfaits, lorsque je te possède,
L’âme grande et suave et le cruel instinct.

(Jane Catulle-Mendès)

Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle

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Ces gens de tout repos (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 30 mai 2023



    

… ces gens de tout repos,
Qui font tout bonnement tous une même chose.
Je m’ennuie à mourir sur ce chemin morose…
Je n’aime pas brouter l’herbe déjà tondue,
Ce petit foin sans goût, sans fleur inattendue.
Rien de nouveau, rien, rien… Tout est toujours pareil.

Je m’échappe, je cours à travers la campagne,
Je bondis pour trouver quelque peu de montagne,
Je grimpe à des talus très hauts de chemins creux.

On est très bien tout seul, sans moutons, si loin d’eux
Qu’ils semblent tout au fond du val des pierres grises.
Les thyms inviolés ont des saveurs exquises…
Je cours, je broute ici, puis là… je perds du temps,
Je hume l’odeur froide et sauvage des vents.

(Marie Noël)

Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers

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Une fois, presque à la fin de la journée (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 24 mai 2023



    

Une fois, presque à la fin de la journée,
elle (ma nourrice) m’a conduite très loin,
au bord du monde, dans un champ mystérieux
où nous avons coupé avec la faucille
de grandes fougères.

Je n’ai jamais retrouvé ce champ.
Il n’avait pas d’entrée.
Mais un bonheur était dedans,
sur le bord du soleil qui allait partir.

Comment étions-nous venues là
toutes les deux,
sans route ni sentier?

*

Quand viendra le soir, au bout des années
Où, l’épaule basse et les yeux rougis,
Je ne serai plus, traînante et fanée,
Qu’une vieille en trop qui vague au logis.

Alors, quand le jour hésite et décline,
Comme une étrangère à jamais qui part,
A jamais… alors, comme une orpheline
Dont le cri n’a plus d’abri nulle part,

Je m’en irai seule avec mon pauvre âge
Qui n’a plus ni chant, ni charme, ni fleur,
Je m’en irai seule à la mort sauvage,
Sans faire alentour ni bruit ni malheur.

J’irai retrouver le pré seul au monde
0ù je traversai, petite, un bonheur
Que nul autre pré ne sut à la ronde,
Le champ oublié de tous les faneurs;

Le champ égaré depuis mon enfance
Que les bois au fond de leur secret noir
Ont si loin serré dans un grand silence
Que nul sentier clair n’a su le revoir.

Là se tient la fleur qui n’est pas sortie
Pour d’autres que moi dans mon prime temps.
Peut-être en ce champ, derrière l’ortie,
Que l’oiseau de l’aube à mi-ciel m’attend?

J’entrerai dedans sans bouquet ni gerbe,
La fleur et l’oiseau perdus y seront.
Je m’enfermerai dans ma chambre d’herbe…
Ce que j’y viens faire, eux seuls le sauront.

…….

Pas à pas le temps faible qui persiste
A battre en mon coeur sans savoir pourquoi
Sortira du monde… Et les feuilles tristes
Qui meurent le soir tomberont sur moi.

(Marie Noël)

Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers

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Je voudrais retrouver le pays natal de ma poésie (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 24 mai 2023



Illustration: ArbreaPhotos

    
Je voudrais retrouver le pays natal de ma poésie,
la contrée sauvage d’où elle m’est venue de si loin,
avec ses songes, ses épouvantes, sa plainte mélancolique,
ce frémissement de grande solitude

qui me mêle toute aux arbres les plus tourmentés,
aux landes les plus hantées de signes et de présages,
et m’arrête, le soir, à la porte de je ne sais quelle chaumière
secrète et basse où le feu veille,
comme au seuil jamais oublié de ma plus ancienne demeure.

Ce lieu de naissance d’avant naissance
n’est pas ici, à Auxerre…
où il fait clair, juste et net,
où les yeux ne voient que ce qu’ils voient,
sans buée ni brouillard.

(Marie Noël)

Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers

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Attente (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 23 mai 2023



Illustration: Fanny Verne
    
Attente

J’ai vécu sans le savoir,
Comme l’herbe pousse…
Le matin, le jour, le soir
Tournaient sur la mousse.

Les ans ont fui sous mes yeux
Comme, à tire-d’ailes,
D’un bout à l’autre des cieux
Fuient les hirondelles…

Mais voici que j’ai soudain
Une fleur éclose.
J’ai peur des doigts qui demain
Cueilleront ma rose,

Demain, demain, quand l’Amour
Au brusque visage
S’abattra comme un vautour
Sur mon cœur sauvage.

Dans l’Amour si grand, si grand,
Je me perdrai toute,
Comme un agnelet errant
Dans un bois sans route.

Dans l’Amour, comme un cheveu
Dans la flamme active,
Comme une noix dans le feu,
Je brûlerai vive.
Dans l’Amour, courant amer,
Las ! comme une goutte,
Une larme dans la mer,
Je me noierai toute.

Mon cœur libre, ô mon seul bien,
Au fond de ce gouffre,
Que serai-je ? Un petit rien
Qui souffre, qui souffre !

Quand deux êtres, mal ou bien,
S’y fondront ensemble,
Que serai-je ? Une petit rien
Qui tremble, qui tremble !

J’ai peur de demain, j’ai peur
Du vent qui me ploie,
Mais j’ai plus peur du bonheur,
Plus peur de la joie

Qui surprend à pas de loup,
Si douce, si forte
Qu’à la sentir tout d’un coup
Je tomberai morte,

Demain, demain, quand l’Amour
Au brusque visage
S’abattra comme un vautour
Sur mon cœur sauvage…

………………

Quand mes veines l’entendront
Sur la route gaie,
Je me cacherai le front
Derrière une haie.

Quand mes cheveux sentiront
Accourir sa fièvre,
Je fuirai d’un saut plus prompt
Que le bond d’un lièvre.

Quand ses prunelles, ô dieux !
Fixeront mon âme,
Je fuirai, fermant les yeux,
Sans voir feu ni flamme.

Quand me suivront ses aveux
Comme des abeilles,
Je fuirai, de mes cheveux
Cachant mes oreilles.

Quand m’atteindra son baiser
Plus qu’à demi-morte,
J’irai sans me reposer
N’importe où, n’importe

Où s’ouvriront des chemins
Béants au passage,
Eperdue et de mes mains
Couvrant mon visage.

Et, quand d’un geste vainqueur,
Toute il m’aura prise,
Me débattant sur son cœur,
Farouche, insoumise,

Je ferai, dans mon effroi
D’une heure nouvelle,
D’un obscur je ne sais quoi,
Je ferai, rebelle,

Quand il croira me tenir
A lui tout entière,
Pour retarder l’avenir,
Vingt pas en arrière !…

S’il allait ne pas venir !…

(Marie Noël)

Recueil: Quelqu’un plus tard se souviendra de nous
Traduction: Lauraine Jungelson
Editions: Gallimard

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LES MARTYRS (Roger Bevand)

Posted by arbrealettres sur 16 mai 2023




    
LES MARTYRS

Un soleil aveuglant martèle l’arène ronde.
L’air vibre, languissant, et la lumière poudroie.
Tassées dans des gradins qui s’énervent et qui grondent,
Vingt mille hyènes assoiffées y attendent leur proie.

C’est jour de grande liesse et c’est jour de carnage :
César Imperator donne à ses gens une fête,
Le rideau peut s’ouvrir sur la moisson sauvage
Où les faux sont des glaives et les épis des têtes.

Tremblant de tous leurs membres au ventre des cachots,
Les chrétiens enchaînés vomissent d’épouvante,
Et respirant leur mort au milieu des sanglots,
Ils reniflent au-dehors la rumeur impatiente.

Soudain les portes craquent sur la lumière violente,
Le cirque halluciné hurle ses pauvres haines,
Et face à l’empereur qu’un vague ennui tourmente,
Tout un peuple délire, ivre de joie païenne.

Les brebis sont groupées au centre de l’arène,
Terrorisées, muettes, elles se touchent et se serrent
Et lancent vers le ciel, dans la chaleur romaine,
Pour la dernière fois, une dernière prière.

Après ne restent plus sur le sable rougi,
Dans le soir qui descend aux marches italiennes,
Que l’ombre de leur peur et l’écho de leurs cris,
Et, fantôme debout, l’arche marmoréenne…

(Roger Bevand)

Recueil: Le Damier 6
Editions: France Europe

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PRÈS DE LA SPEZIA (Hermann Hesse)

Posted by arbrealettres sur 29 mars 2023




    
PRÈS DE LA SPEZIA

La mer en mesures égales
Chante. Le vent d’ouest hurle et rit
Les nuées passent en rafales
Sans qu’on les voie : il fait trop nuit.

Et je songe qu’ainsi ma vie
Ténébreuse, sans réconfort,
Sauvage ouragan s’est enfuie
Dans l’âpre nuit, sans astres d’or.

Mais est-il nuit assez obscure
Ou voyage assez incertain
Pour n’être pas promesse sûre
D’un proche et lumineux matin ?

***

BEI SPEZIA

In großen Takten singt das Meer,
Der schwüle Westwind heult und lacht.
Sturmwolken jagen schwarz und schwer
Man sieht sie nicht, es ist zu nacht.

Mir aber scheint : so tot und bang,
So ohne Trost und Sternegold
Durch schwüle Nacht und Sturmgesang
Sei auch mein Leben hingerollt.

Und doch ist keine Nacht so schwer
Und so voll Dunkels keine Fahrt,
Der nicht vom nahen Morgen her
Des Lichtes süße Ahnung ward.

(Hermann Hesse)

Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti

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Au clair de lune, à travers la forêt (Heinrich Heine)

Posted by arbrealettres sur 15 mars 2023




    
Au clair de lune, à travers la forêt,
J’ai vu tantôt les elfes chevaucher;
J’ai entendu aussi leurs cors résonner,
J’ai entendu aussi leurs clochettes tinter.

Leurs blanches montures portaient
Des bois de cerfs dorés et filaient,
Comme un vol de cygnes sauvages
Leur cortège traversait les airs.

Souriant, la reine me fit un signe,
Souriant, en passant près de moi.
Était-ce un signe pour mon nouvel amour,
Ou voulait-elle me parler de mort?

(Heinrich Heine)

Recueil: Nouveaux poèmes
Traduction: Anne-Sophie et Jean Guégan
Editions: Gallimard

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TES YEUX… (Claude de Burine)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2023




    
TES YEUX…

Tes yeux n’abritent pas la forêt
Ni ton corps la patrie sauvage
Nul chandelier d’argent ne repose en ta main
Mon amour laisse-moi ma robe blanche

Les pierres se taisent
Rien ne s’élève du coeur
Trop de fois ce fut l’espoir
Avec son ventre qui crevait d’étoiles
L’aube encore décapitait le jour

Quelle main m’apaisera ?
Quel soleil me brûlera
Comme une caresse d’homme ?

Celui qui viendra
Je le reconnaîtrai
Il sera le noyau
Il sera le grain
Et son visage alors
Assumera les ruines

(Claude de Burine)

Recueil: Hanches
Editions: Saint Germain des Prés

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Souvent (Martine Laffon)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2023




Illustration: Marie Boutroy
    
Souvent elle s’assoit sur le pas de sa porte,
les mains abandonnées.
Elle regarde passer les saisons
qui s’en viennent et qui s’en vont
par le sang vermeil des vendanges
et par le givre de novembre,
attendant patiemment l’aube nouvelle,
ensoleillée, de chaque printemps,
promesse de l’été.

Depuis longtemps déjà elle s’applique à vivre.
Elle s’applique et pour ne rien oublier,
elle inscrit dans son livre la plainte des marais,
le cri obsédant des engoulevents tournoyant dans les champs.
Elle inscrit la mort, en lettres noires,
celle des bêtes, celle des gens
et puis aussi les arabesques
et le vagabondage des nuages.

Elle inscrit le parfum des roses pâles
et de la menthe sauvage qui envahit son coeur
d’une étrange langueur dans la tiédeur du soir.
Elle inscrit dans son livre le bleu-gris des toits d’ardoise,
le vert du lierre et le rouge perlant à la gorge des oiseaux.
Jours après nuits, elle inscrit
l’éclat des pierres, de l’éclair et du feu.
Elle inscrit
l’air léger qui l’emporte et la berce,
aussi fragile qu’un nouveau-né.

(Martine Laffon)

 

Recueil: Le Dit d’Amour
Traduction:
Editions: Alternatives

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