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Poésie

Posts Tagged ‘trait’

Pourquoi (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 1 avril 2024




    
Pourquoi les feuilles occupent-elles le lieu des feuilles
et non celui qui reste entre les feuilles ?
Pourquoi ton regard occupe-t-il le vide qui est devant la raison
et non celui qui est derrière ?
Pourquoi te souviens-tu que la lumière meurt
et par contre oublies-tu que l’ombre meurt aussi ?

Pourquoi s’affine le coeur de l’air
jusqu’à ce que le chant devienne un autre vide dans le vide ?.
Pourquoi ne fais-tu silence à l’endroit même
où mourir est la juste présence
suspendue à l’arbre de sa propre vie ?

Pourquoi ces traits où le corps cesse
et non un autre corps et un autre et un autre ?
Pourquoi cette courbe du pourquoi et non le signe
d’une droite sans fin avec un point dessus ?

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Mélodie (Gérard de Nerval)

Posted by arbrealettres sur 14 février 2024



    


    

Mélodie
(extrait)

Quand le plaisir brille en tes yeux
Pleins de douceur et d’espérance,
Quand le charme de l’existence
Embellit tes traits gracieux,

Bien souvent alors je soupire
En songeant que l’amer chagrin,
Aujourd’hui loin de toi, peut t’atteindre demain,
Et de ta bouche aimable effacer le sourire

Car le Temps, tu le sais, entraîne sur ses pas
Les illusions dissipées,
Et les yeux refroidis, et les amis ingrats,
Et les espérances trompées.

Mais crois-moi, mon amour! tous ces charmes naissants
Que je contemple avec ivresse,
S’ils s’évanouissaient sous mes bras caressants,
Tu conserverais ma tendresse!

Si tes attraits étaient flétris,
Si tu perdais ton doux sourire,
La grâce de tes traits chéris
Et tout ce qu’en toi on admire,

Va, mon cœur n’est pas incertain:
De sa sincérité tu pourrais tout attendre.
Et mon amour, vainqueur du Temps et du Destin,
S’enlacerait à toi, plus ardent et plus tendre!

(Gérard de Nerval)

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Triolet au visage (Claude Ber)

Posted by arbrealettres sur 1 février 2024




    
Triolet au visage

Aux doigts dessinant un visage
Viennent les mains se réfugier

Dans le trait tremblé d’un mirage
Aux doigts dessinant un visage
Contre la buée du vitrage
D’un revers de manche effacée

Aux doigts dessinant un visage
Viennent les mains se réfugier.

(Claude Ber)

Recueil: Anthologie Poèmes ouverts
Editions: POINTS

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Oh, ce je insoumis (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 31 janvier 2024



Illustration: René Magritte
    
Oh, ce je insoumis
que je suis au plus profond
de moi!

Le je
qui m’a vu naître
qu’aucun miroir
ne reflétera
dont jamais
je ne saurai les traits
dont je résonne
sans le connaître
que j’annonce
sans le vouloir
que je dénonce
malgré moi
celui qui s’insurge
avec moi
qui s’incarcère
en moi
qui fut muré
dans mes viscères
et qui m’emmure
et qui frappe
aux parois
celui-là
qui se voudrait
que je voudrais
hors de moi
celui-là
ne s’évadera
que de ma dépouille

(Robert Mallet)

 

Recueil: Presqu’îles presqu’amours
Editions: Gallimard

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SEPARATION (Boris Pasternak)

Posted by arbrealettres sur 17 janvier 2024



Illustration: Edvard Munch
    
SEPARATION

Un homme contemple du seuil
L’intérieur, immobile.
Elle est partie en un clin d’oeil.
Partout, c’est le désastre.

Partout, c’est un chaos confus.
Il le remarque à peine,
Car les larmes brouillent sa vue,
Et il a la migraine.

Sous son front il entend un bruit.
Réalité ou rêve ?
Mais pourquoi voit-il devant lui
La mer battant la grève ?

Quand le givre empêche de voir
Dehors le vaste monde,
A ce moment le désespoir
Est une mer profonde.

Il chérissait les moindres traits
De son corps, de son être,
Comme la mer chérit les baies
Où ses eaux vont renaître.

Comme roseaux qu’au fond de l’eau
Engloutit la tempête,
Gît en son coeur, sacré dépôt,
Toute sa silhouette.

Durant les temps des grands tourments,
Temps cruels et sauvages,
La vague d’un sort violent
La poussa vers sa plage.

Parmi d’innombrables dangers,
Renversant les obstacles,
Jusqu’à lui elle fut poussée
Sur la crête des vagues.

La voici partie à présent
Par contrainte peut-être,
L’éloignement, d’un mal rongeant,
Lentement les pénètre.

Et l’homme à ces objets épars,
A ces robes jetées,
Comprend qu’au moment du départ
Elle était affolée.

Il va, il vient et jusqu’au soir,
Dans les tiroirs, il range
Et des chiffons et des mouchoirs,
Et des châles à franges.

Quand dans l’ouvrage resté là,
Il se pique à l’aiguille
Alors soudain il la revoit,
Et il pleure en silence.

(Boris Pasternak)

 

Recueil: Ma soeur la vie et autres poèmes
Traduction: sous la direction d’Hélène Henry
Editions: Gallimard

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Je voudrais parvenir au coeur des choses (Boris Pasternak)

Posted by arbrealettres sur 17 janvier 2024




    
Je voudrais parvenir au coeur
Des choses, en toutes :
Dans l’oeuvre, les remous du coeur,
Cherchant ma route.

A l’essence des jours passés,
Leur origine,
Jusqu’à la moelle, jusqu’au pied,
A la racine.

Des faits, des êtres sans arrêt
Saisir le fil,
Vivre, penser, sentir, aimer
Et découvrir.

Ô, le pourrais-je, je ferais,
Fût-ce en fraction,
Huit vers pour peindre les grands traits
De la passion :

Ses injustices, ses péchés,
Fugues, poursuites,
Coudes et paumes, imprévus
A la va-vite.

Et je déduirais ses raisons
Et sa formule,
Je répéterais de son nom
Les majuscules

En vers tracés comme un jardin
Vibrant des veines
Des tilleuls fleuris un à un
En file indienne.

J’y mettrais la senteur des roses
Et de la menthe,
Les prés, la fenaison, l’orage
Au loin qui gronde.

Tel des fermes, bois et jardins
Et sépultures
Le miracle enclos par Chopin
Dans ses études.

Le jeu du triomphe accompli
Et son tourment,
C’est la corde qui se raidit
Quand l’arc se tend.

(Boris Pasternak)

 

Recueil: Ma soeur la vie et autres poèmes
Traduction: sous la direction d’Hélène Henry
Editions: Gallimard

    

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SONNET DU MASCARET (André Berry)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2024




    
SONNET DU MASCARET

Comme au bord de Garonne en mon sommeil distrait
J’allais du long sentier suivant l’herbeuse ligne,
De loin, poussant la vase avec son eau maligne,
J’entendis dans mon dos mugir le mascaret.

Au fracas, vers l’amont, je partis comme un trait
Et je ne savais plus, dans ma terreur insigne,
Si c’était sur la digue, entre matrasse et vigne,
Moi qui portais ma jambe, ou mon pied qui courait.

Mais sur la piste, au fur, plus basse et plus étroite,
En vain je galopais plus soufflant et plus moite;
La vague indistançable allait me dépasser.

Et, bien que je dormisse au plus chaud de la plume,
Je sentis d’un seul coup tout mon dos se glacer
Quand d’un humide fouet me frappa son écume.

(André Berry)

 

Recueil: Poèmes involontaires suivi du Petit Ecclésiaste
Traduction:
Editions: René Julliard

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La tourterelle et la fauvette (Jean-Pierre Claris de Florian)

Posted by arbrealettres sur 10 janvier 2024



Illustration: Grandville
    
La tourterelle et la fauvette

Une fauvette jeune et belle
S’amusait à chanter tant que durait le jour ;
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire que l’amour.

Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette ;
Vous perdez vos plus beaux moments :
Il n’est qu’un seul plaisir, c’est d’avoir des amants.
Dites-moi, s’il vous plaît, quelle est la chansonnette

Qui peut valoir un doux baiser.
Je me garderais bien d’oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis point malheureuse,

J’ai mis mon bonheur dans mes chants.
À ce discours, la tourterelle
En se moquant s’éloigna d’elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.

Après ce long espace, un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L’âge avait bien un peu dérangé leurs attraits ;
Longtemps elles se regardèrent

Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette polie
S’avance la première :
eh ! Bon jour, mon amie,
Comment vous portez-vous ? Comment vont les amants ?
– Ah ! Ne m’en parlez pas, ma chère :
J’ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans ;

Tout a passé comme une ombre légère.
J’ai cru que le bonheur était d’aimer, de plaire…
Ô souvenir cruel ! ô regrets superflus !
J’aime encore, on ne m’aime plus.

J’ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse :
Cependant je suis vieille et je n’ai plus de voix ;
Mais j’aime la musique, et suis encore heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.

La beauté, ce présent céleste,
Ne peut sans les talents échapper à l’ennui :
La beauté passe, un talent reste,
On en jouit même en autrui.

(Jean-Pierre Claris de Florian)

 

Recueil: Fables
Traduction:
Editions:

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je voudrais des traits si fulgurants (Kenneth White)

Posted by arbrealettres sur 5 janvier 2024



Illustration: Jacques Muller
    
je voudrais des traits
si fulgurants
que dans leur nette énergie
ils relient toutes choses
et les fasse irradier

***

I think of lines
like lightning flashes
lines that in their flying energy
wold make things
touch and radiate in the mind

(Kenneth White)

Recueil: Les rives du silence
Traduction: de l’anglais par Marie-Claude White
Editions: Mercure de France

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L’AMOUR MALIN (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 17 novembre 2023



Illustration: François Boucher
    
L’AMOUR MALIN

1

Dans un bosquet solitai-ai-aire
Je dormais sur le vert gazon
Quand à l’amour ce témérai-ai-aire
Vient pour lui donner des leçons.
En m’éveillant j’ai voulu m’échapper.
Aussitôt la cruelle
Me poursuivit et m’attrapa,
Me lança un coup d’aile.
De ses traits trop envenimés
Mon tendre cœur fut endommagé
Hélas je ne, hélas je ne
Hélas je ne fais plus que soupirer.

2

Dans ces tristes ala-a-a-armes
Je fuis tout ce beau verger
Dont la beauté de leurs cha-a-armes
Avait toujours su m’amuser.
J’ai vu mon guide qui m’assura
Du doux poids de ces chaînes.
Et je lisais dedans vos beaux yeux
Trop aimable Climène,
Le doux plaisir que l’on a d’aimer
Amour pourquoi m’as tu ménagé
Tous les moments, tous les moments
Tous les moments que j’avais ignorés.

3

Ce dieu malin l’autre jou-ou-oure
Lorsque j’y pensais le moins
Vient me jouer un pareil tou-ou-oure,
En me disant d’un ton badin
Pour toi danger soupire nuit et jour.
Ne fais point la cruelle.
Soumets ton cœur au tendre retour.
Son ardeur est nouvelle :
Aussitôt le dieu s’envola.
Dans le moment mon cœur s’enflamma.
Faut-il aimer, faut-il aimer
Eh bien « aimons ce fidèle berger » !

(Chansons du XVIIIè)

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