Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘mettre’

Mettre au propre la Matière (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 12 Mai 2024



Fernando Pessoa
    

Mettre au propre la Matière
Remettre à leur place les choses que les hommes ont dérangées
Parce qu’ils ne comprenaient pas à quoi elles servaient.
Remettre droit, comme
Une bonne ménagère de la Réalité,
Les rideaux des fenêtres de la Sensation
Et les paillassons aux portes de la Perception.
Balayer les chambres de l’observation
Et secouer la poussière des idées simples.
Telle est ma vie, vers par vers.

(Fernando Pessoa)

Recueil: Poèmes jamais assemblés
Traduction: du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade,Fabienne Vallin
Editions: Unes

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Les roses dans l’orage (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    

Les roses dans l’orage

Les roses pâles sont blessées
Par la rudesse de l’orage,
Mais elles sont plus parfumées,
Ayant souffert davantage.
Mets cette rose à ta ceinture,
Garde en ton cœur cette blessure,
Sois pareille aux roses de l’orage.
Mets cette rose en un coffret
Et souviens-toi de l’aventure
Des roses blessées par l’orage,
L’orage a gardé son secret,
Garde en ton cœur cette blessure.

(Rémy de Gourmont)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

À MA FILLE (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 23 avril 2024




    
À MA FILLE

Ô mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
— Résignée ! —

Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l’azur de tes yeux
Mets ton âme !

Nul n’est heureux et nul n’est triomphant.
L’heure est pour tous une chose incomplète ;
L’heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.

Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, — destin morose ! —
Tout a manqué. Tout, c’est-à-dire, hélas !
Peu de chose.

Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l’univers chacun cherche et désire :
Un mot, un nom, un peu d’or, un regard,
Un sourire !

La gaîté manque au grand roi sans amours ;
La goutte d’eau manque au désert immense.
L’homme est un puits où le vide toujours
Recommence.

Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S’illuminent !

Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d’ombre.

Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.

Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu’il est et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d’ici-bas,
Et des hommes.

Cette loi sainte, il faut s’y conformer,
Et la voici, toute âme y peut atteindre :
Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer,
Ou tout plaindre !

(Victor Hugo)

Recueil: Les Contemplations
Editions:

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

On voit mourir toute chose animée (Louise Labé)

Posted by arbrealettres sur 22 avril 2024



Illustration: Ernest Pignon-Ernest
    
On voit mourir toute chose animée
Lors que du corps l’âme subtile part.
Je suis le corps, toi la meilleure part :
Où es-tu donc, ô âme bien-aimée ?

Ne me laissez par si long temps pâmée,
Pour me sauver après viendrais trop tard.
Las ! ne mets point ton corps en ce hasard :
Rends-lui sa part et moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre et revue amoureuse,
L’accompagnant, non de sévérité,

Non de rigueur, mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à présent favorable.

(Louise Labé)

Recueil: Oeuvres poétiques Pernette du Guillet Rymes
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Trois mille battements et deux cent litres de sang (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 19 avril 2024




    
Trois mille battements et deux cent litres de sang

Si je pouvais me multiplier
je me promènerais avec toi
en te donnant les deux mains.

Je veux dire
que si je pouvais être deux,
moi deux fois
— comprends-moi —,
une âme répétée
comme la boucle qui s’enroulerait entre deux doigts
et ressemblerait à un auriculaire
ou les lèvres
qui laisseraient passer la langue
précédant un baiser
qui se dupliquerait en quête d’éternité,
je coloniserais ton présent et tes lendemains,
t’attendrais où que tu sois
et où tu voudrais être,
me languirais de toi
en voyant tes baisers faire des gouttières entre mes cils
et je te dessinerais en même temps des lèvres
pleines de salive
au milieu du majeur.

Si je pouvais me dédoubler
je nous observerais de l’extérieur
comme on regarde la mort dans les yeux :
avec envie.

Si je pouvais être ici et là
je serais en toi et en toi,
je mettrais le feu à Troie,
tout en t’offrant Paris,
je te regarderais dormir
et rêverais de toi en même temps.

Tu sais ce à quoi je me réfère,
si je pouvais fausser les coordonnées,
je créerais une carte où ne figureraient que tes orteils
et ce besoin que j’ai de te suivre partout.

Si je pouvais être la même en deux moitiés, amour,
je t’habillerais avec autant de nervosité
que tu en as quand tu me laisses te dénuder,
je polirais mes erreurs
pour que le faux pas soit doux
et je serais à la fois le précipice et l’élan
de toutes tes peurs, de tous tes rêves.

Si je pouvais,
mon amour,
je transformerais tout ce qui est maintenant singulier
en pluriel

Mais je ne peux pas,
et tu dois donc te satisfaire
de la seule chose que je puisse faire :
t’aimer
— pas le double, ni par deux, ni au carré,
mais avec la force d’une armée
de trois mille battements et deux cents litres
de sang
qui en voulant te donner plus qu’elle
ne possède
te donne tout ce qu’elle est —.

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 18 avril 2024



Illustration: Clémence F. Dupuch
    
Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment

Et si tu m’avais rencontrée propre,
sans mauvaise conscience,
sans peine dans le sommeil,
sans les morsures d’autres femmes ancrées sur mes épaules.

Aurais-tu baigné mon corps au petit matin,
léché mes humeurs d’yeux,
coiffé mon insomnie,
caressé mes mains ravinées par tes dents ?

Et si j’avais endossé
des tenues semblables aux tiennes,
si je t’avais menti en ce qui me concerne,
si je t’avais confié que tu étais la seule
et non la première.

M’aurais-tu déshabillée les yeux fermés
de tes mains expertes,
embrassée quand je te racontais ma vie,
aurais-tu mis sur un piédestal
ton nom au niveau du mien
et fait du nôtre un amour égal ?

Si je m’étais vendue
comme l’amour de ta vie,
si je t’avais achetée
comme l’amour de la mienne.

Serions-nous tombées amoureuses
comme quelqu’un qui s’aime
en aimant ceux qui aiment ?

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Le silence de ce qui ne peut parler (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024




    
Le silence de ce qui ne peut parler
est différent du silence de ce qui peut parler.

La lumière et ses substitutions
ne se reflètent pas de la même manière
dans le premier silence et dans le second.
Les choses et leurs ombres
n’ont pas même mesure.
La poussière et ses échos
ne se déposent pas de la même manière.

Les mains
ne se mentent pas de la même manière.
Et les mots pour mettre dans l’un
ne peuvent servir
à mettre dans l’autre.

Mais vaut par contre pour tous les deux
le grand silence indépendant
qui les entoure et nous entoure.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Étayer la construction du regard (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 13 avril 2024



Illustration: Odilon Redon
    
Étayer la construction du regard
avec des poutres de cécité,
pour qu’il ne s’affaisse pas
comme une figure hystérique dans le vent
quand le visible se convertira naturellement en invisible.

puisque ce n’est qu’en mettant
d’autres mains derrière les mains,
d’autres pieds sous les pieds,
une autre ombre au bout de l’ombre,
que nous pourrons connaître le toucher de l’envers,
le chemin de l’envers,
la forme de l’envers
à quoi nous sommes irrémédiablement destinés.

Car l’invisible n’est pas la négation du visible,
mais seulement son inversion et son but.
L’ombre d’une fleur aussi parfume.
Un souvenir ouvre et ferme les paupières.

L’amour est le mot d’ordre du temps.

L’envers est la zone
où tout le perdu se retrouve.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Il se pourrait (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2024



Illustration: Eric Principaud
    
Il se pourrait que la clarté soit dans le dos
et pivote avec moi
quand je me retourne vivement pour la surprendre.

Il se pourrait que cette apparence de jeu soit la plus
sérieuse donnée physiologique
et que la clarté soit une partie de moi,
celle de derrière.

Il se pourrait qu’il n’y ait pas eu erreur mais pureté :
la clarté, sans mains ;
les yeux donc, près d’autres yeux.

Il se pourrait que tout tende à ouvrir quelque chose,
à nous mettre les mains ou les yeux
dans l’unique clarté tangible,
dans le dos de l’autre,
nous apprenant à faire volte-face dans l’autre.

Il se pourrait que la clarté soit un organe
pour multiplier l’obscur à travers nous,
par on ne sait quelle affaire sans nous.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Je tourne les yeux vers l’arrière (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2024



Illustration: Odilon Redon
    

Je tourne les yeux vers l’arrière,
comme parfois j’ai placé dieu vers l’avant
ou le toucher pensif avec quoi j’ai aimé.

Et comme parfois je n’ai rien placé,
ni devant ni derrière,
j’ai mis mon ombre
ou celle peut-être de quelque chose qui m’échappe.

Je tourne les yeux vers l’arrière et je meurs derrière moi,
je meurs de ce qu’il n’est là dieu ni quelqu’un.

La mort serait-elle
une pure marche arrière,
une marche arrière sans personne ?

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »