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Poésie

Posts Tagged ‘force’

Grippé (Seishi Yamaguchi)

Posted by arbrealettres sur 13 Mai 2024



Grippé
La force me glisse
Entre les doigts.

(Seishi Yamaguchi)

Illustration: Eve Carton

 

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Trois mille battements et deux cent litres de sang (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 19 avril 2024




    
Trois mille battements et deux cent litres de sang

Si je pouvais me multiplier
je me promènerais avec toi
en te donnant les deux mains.

Je veux dire
que si je pouvais être deux,
moi deux fois
— comprends-moi —,
une âme répétée
comme la boucle qui s’enroulerait entre deux doigts
et ressemblerait à un auriculaire
ou les lèvres
qui laisseraient passer la langue
précédant un baiser
qui se dupliquerait en quête d’éternité,
je coloniserais ton présent et tes lendemains,
t’attendrais où que tu sois
et où tu voudrais être,
me languirais de toi
en voyant tes baisers faire des gouttières entre mes cils
et je te dessinerais en même temps des lèvres
pleines de salive
au milieu du majeur.

Si je pouvais me dédoubler
je nous observerais de l’extérieur
comme on regarde la mort dans les yeux :
avec envie.

Si je pouvais être ici et là
je serais en toi et en toi,
je mettrais le feu à Troie,
tout en t’offrant Paris,
je te regarderais dormir
et rêverais de toi en même temps.

Tu sais ce à quoi je me réfère,
si je pouvais fausser les coordonnées,
je créerais une carte où ne figureraient que tes orteils
et ce besoin que j’ai de te suivre partout.

Si je pouvais être la même en deux moitiés, amour,
je t’habillerais avec autant de nervosité
que tu en as quand tu me laisses te dénuder,
je polirais mes erreurs
pour que le faux pas soit doux
et je serais à la fois le précipice et l’élan
de toutes tes peurs, de tous tes rêves.

Si je pouvais,
mon amour,
je transformerais tout ce qui est maintenant singulier
en pluriel

Mais je ne peux pas,
et tu dois donc te satisfaire
de la seule chose que je puisse faire :
t’aimer
— pas le double, ni par deux, ni au carré,
mais avec la force d’une armée
de trois mille battements et deux cents litres
de sang
qui en voulant te donner plus qu’elle
ne possède
te donne tout ce qu’elle est —.

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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La densité de ce qui n’est pas (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 13 avril 2024




    
La densité de ce qui n’est pas,
la force de ce qu’on n’a pas,
agite de remous l’eau de la vie
et crée un bruit de fond
pour tous les gestes.

Jusqu’au tissu serré de la mort
comporte un pâle fil
où la trame cède et s’allège
parce que la mort lui manque.

Et jusqu’à ce qui jamais n’a vécu
et jamais ne mourra

émerge dans la faille d’une absence
qui lui prête son corps.

La pierre du non-être,
la sûre condition négative,
la pression du néant,
est l’ultime appui qui nous reste.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Que cherches-tu (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024



Illustration: Silvia Leveroni Calvi
    
Que cherches-tu
Tu avances erres te traînes renonces repars rebrousses chemin tournes en rond
Ton oeil empli par la nuit tu cherches le lieu
Le lieu où tu serais rassasié
Où se déploierait la réponse
Où bouillonnerait la source
Tu ne sais que marcher
La nuit et la peur te harcèlent
Et aussi la soif
Mais à chaque pas la hantise de faire fausse route
D’accroître encore la distance
Tu cherches le lieu
Le lieu et le nom
Le nom qui saurait tout dire de ce en quoi consiste l’aventure

Tu ne sais où tu vas ni ce que tu es ni même ce que tu désires mais tu ne peux t’arrêter
Et tu progresses
À moins que tu ne t’éloignes
Sans fin tu erres te traînes rampes tournes en rond
Et tu renonces
Et tu repars
Jusqu’à n’être plus qu’épuisement

Survient l’instant où tu dois faire halte
Faire ton deuil du lieu et du nom
Et à l’invitation de la voix définitivement tu renonces t’avoues vaincu
Alors que tu découvres que tu auras chance de trouver ce que tu cherches
si précisément tu ne t’obstines pas à le chercher

Tu repars
Des forces nouvelles te sont venues
Ton oeil qui s’écarquille n’est plus dévoré par la soif
Tu ne sais où tu vas mais tu connais ce que tu es

Tu avances d’un pas tranquille désormais convaincu que le lieu se porte à ta rencontre
Le lieu où mûrir l’hymne la strophe le nom
Où jouir enfin de ce qui s’est jusque-là dérobé

(Charles Juliet)

Recueil: Pour plus de lumière Anthologie personnelle 1990-2012
Editions: Gallimard

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Pourrais-je prendre (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    
Pourrais-je prendre où elle est
L’apparence qui me manque
Sur les rives d’un visage
Le jour la force éclatante

Le dur besoin de durer

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

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POÈME PERPÉTUEL (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024



Illustration: Marc Chagall
    
POÈME PERPÉTUEL

De l’oeil du doigt j’étudie des sourires
Le petit jour l’herbe endormie
Qui se lève à la vue des bêtes
La poitrine qui n’a plus faim
Qui n’a plus honte

La femme qui se fait complice
D’amours sans force et d’amours forcenées
La femme attentive à la vie
A la tempête d’un sanglot
A l’île verte du silence

De l’oeil du doigt j’étudie des sourires
Je les reflète
Quels sont ces êtres caressants
Qui parlent selon mon repos
Sourires selon la rosée

Le soleil doux comme une taupe
Une boucle sur un front bas
La longue nuit immobile est rompue
Le beau masque désarçonné
La chaîne usée

Une feuille qui se déplie
Un sourire qui continue
Mes yeux mes doigts
Notre jeunesse tendrement
Fait naître l’aurore sur terre.

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

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PRIVATION (Missak Manouchian)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024




    
PRIVATION

La question, des amis parfois me la posent:
« Comment vis-tu donc, et comment l’âme ardente
Veux-tu donner force aux cœurs qu’a fui l’espoir ?
Le pain et le besoin sont ton lot pourtant. »

Quand j’erre dans les rues d’une métropole,
Toutes les misères, tous les dénuements,
Lamentation et révolte l’une à l’autre,
Mes yeux les rassemblent, mon âme les loge.

Je les mêle ainsi à ma souffrance intime,
Préparant avec les poisons de la haine
Un âcre sérum – cet autre sang qui coule
Par tous les vaisseaux de ma chair, de mon âme.

Cet élixir vous semblerait-il étrange ?
Il me rend du moins la conscience du tigre,
Lorsque dents et poings serrés, tout de violence,
Je passe par les rues d’une métropole.

Et qu’on dise de moi: il est fou d’ivresse,
Flux et reflux d’une vision
Ne cessent d’investir mes propres pensées,
Et je me hâte, assuré de la victoire.

(Missak Manouchian)

Recueil: LA POESIE ARMENIENNE Anthologie des origines à nos jours
Traduction: Gérard HEKIMIAN
Editions: Les Editeurs Français Réunis

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CHOSES NOUÉES (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




Illustration: Johann Melchior Georg Schmidtner
    
CHOSES NOUÉES
Excursion

La mer à Skaramangas est nouée,
compacte. Les pétroliers dégagent
une fumée noire d’immobilité.
Mettons que tu existes.

Le parcours se dilate suspendu au regard.
Un nuage sale tache les routes là-haut,
en bas l’âme pure est reportée encore.
Mettons que tu existes.

La bride du cheval restera nouée à l’arbre.
Dans ma cervelle, beaucoup de pareils noeuds,
beaucoup de pareils liens.
Mettons que tu existes.

Dans le rétroviseur se regarde
un puits à sec.
La terre ici et là fraîchement creusée.
Le même soin
pour les morts et les graines.
La terre frémit.
Mettons que tu existes.

À Mycènes exclamations et tombeaux.
Pierre tourmentée par la célébrité.
Passions de bonne famille, dignes de mémoire.
Nos passions à nous
n’auront pas le moindre visiteur,
l’oubli les attend, affamé toujours.
Mettons que tu existes.

À Nauplie encore un bateau blanc.
pas tout à fait bateau et pas tout à fait blanc.
Mettons que tu existes.

Laissant les équivoques
nous sommes entrés dans les roseaux
les citronniers les cyprès.
Image fruitière — je t’arrose.
Mettons que tu existes.

Au loin dans la montée
halète un petit train noir.
Comme une délivrance à bout de forces.
Mettons que tu existes.
Comme l’eau coulant dans des régions désertes,
comme une balle dans le coeur d’un oiseau empaillé.
Superflus.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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À force de mystère … (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 29 janvier 2024



Illustration: Philippe Zacharie
    
À force de mystère …

À force de mystère
sous l’étoffe opaque et rigide
ton corps n’est plus
qu’indifférence à l’autre
mort des pudeurs de l’innocence
impudence hermétique
énigme qui se voue elle-même
à n’être plus qu’absence d’énigme

Ne sois pas inimaginable
et cachée. N’imite pas Dieu
couvre-toi de transparence
pour être désirée

(Robert Mallet)

 

Recueil: Presqu’îles presqu’amours
Editions: Gallimard

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D’un arbre figé (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 28 janvier 2024




    
D’un arbre figé
s’envole une feuille
qui tombe
par la seule force
de destin
des feuilles

Ah, vent flagelleur,
ne me quitte pas
que je puisse encore
croire que je meurs
par toi

(Robert Mallet)

 

Recueil: Presqu’îles presqu’amours
Editions: Gallimard

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