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ESSAYE-MOI D’ABORD (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024



Illustration: François-Joseph Durand
    
ESSAYE-MOI D’ABORD

Essaye-moi,
Essaye-moi d’abord
Avant de t’enflammer
Puis avant de sombrer
dans la loi des chassés croisés
Teste-moi d’abord

Avant qu’on se divise qu’on se sépare en deux
Avant qu’on se dégrise du vertige amoureux

Avant qu’on baisse les bras
Avant qu’on baisse les yeux

Rompons la glace
Ouvrons nos corps
Et d’un commun accord
Testons-nous encore

Avant que nos miroirs se brisent
Avant qu’on n’en puisse plus
Que nos âmes et nos corps s’enlisent
Plus vite qu’on ne l’aurait cru

Avant que sonne la disgrâce
Et la fin de nos face à face
Avant qu’on se volatilise
Qu’on se déguise en courant d’air

Avant qu’on ait perdu les traces
Du chemin qui restait à faire

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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RÉPONSE À LA TERRE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2024



Illustration: William Blake
    
RÉPONSE À LA TERRE

Terre leva la tête
Au-dessus de l’obscurité redoutable et lamentable.
Sa lumière enfuie
Cruelle lugubre
Et les cheveux couverts d’un gris désespoir.

Moi, prisonnière des eaux,
La rivalité des étoiles emprisonne mon antre
Dans un gel blanc ;
En gémissant
J’entends le père des hommes antiques.
Père égoïste des hommes,

Cruel, jaloux, égoïste Effroi,
La joie peut-elle,
Enchaînée dans la nuit.
Enfanter les vierges de la jeunesse et du matin ?

Le printemps cache-t-il sa joie,
Quand éclatent les bourgeons et les fleurs ?
Le semeur
Sème-t-il pendant la nuit ?
Le laboureur laboure-t-il dans l’obscurité ?

Romps cette lourde chaîne
Qui glace mes os.
Égoïste, vaine,
Éternelle malédiction,
Qui réduit le libre amour en esclavage.

***

EARTH’S ANSWER

Earth raised up her head
From the darkness dread and drear,
Her light fled,
Stony, dread,
And her locks covered with grey despair.

Prisoned on watery shore,
Starry jealousy does keep my den
Cold and hoar;
Weeping o’er,
I hear the father of the ancient men.

Selfish father of men!
Cruel, jealous, selfish fear!
Can delight,
Chained in night,
The virgins of youth and morning bear.

Does spring hide its joy,
When buds and blossoms grow?
Does the sower
Sow by night,
Or the ploughman in darkness plough?

Break this heavy chain,
That does freeze my bones around!
Selfish, vain,
Eternal bane,
That free love with bondage bound.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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POÈME PERPÉTUEL (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024



Illustration: Marc Chagall
    
POÈME PERPÉTUEL

De l’oeil du doigt j’étudie des sourires
Le petit jour l’herbe endormie
Qui se lève à la vue des bêtes
La poitrine qui n’a plus faim
Qui n’a plus honte

La femme qui se fait complice
D’amours sans force et d’amours forcenées
La femme attentive à la vie
A la tempête d’un sanglot
A l’île verte du silence

De l’oeil du doigt j’étudie des sourires
Je les reflète
Quels sont ces êtres caressants
Qui parlent selon mon repos
Sourires selon la rosée

Le soleil doux comme une taupe
Une boucle sur un front bas
La longue nuit immobile est rompue
Le beau masque désarçonné
La chaîne usée

Une feuille qui se déplie
Un sourire qui continue
Mes yeux mes doigts
Notre jeunesse tendrement
Fait naître l’aurore sur terre.

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

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Romance (Sophie d’Arbouville)

Posted by arbrealettres sur 14 février 2024



Illustration: Hans Thoma
    
Romance

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d’amour :
Trop vite, hélas ! un ciel d’orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

En vous voyant, je me rappelle
Et mes plaisirs et mes succès ;
Comme vous, j’étais jeune et belle,
Et, comme vous, je le savais.

Soudain ma blonde chevelure
Me montra quelques cheveux blancs…
J’ai vu, comme dans la nature,
L’hiver succéder au printemps.

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d’amour ;
Trop vite, hélas ! un ciel d’orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

Naïve et sans expérience,
D’amour je crus les doux serments,
Et j’aimais avec confiance…
On croit au bonheur à quinze ans !

Une fleur, par Julien cueillie,
était le gage de sa foi ;
Mais, avant qu’elle fût flétrie,
L’ingrat ne pensait plus à moi !

Dansez, fillettes du Village,
Chantez vos doux refrains d’amour ;
Trop vite, hélas ! un ciel d’orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

À vingt ans, un ami fidèle
Adoucit mon premier chagrin ;
J’étais triste, mais j’étais belle,
Il m’offrit son cœur et sa main.

Trop tôt pour nous vint la vieillesse ;
Nous nous aimions, nous étions vieux…
La mort rompit notre tendresse…
Mon ami fut le plus heureux !

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d’amour ;
Trop vite, hélas ! un ciel d’orage
Vient obscurcir le plus beau jour.

Pour moi, n’arrêtez pas la danse ;
Le ciel est pur, je suis au port,
Aux bruyants plaisirs de l’enfance
La grand-mère sourit encor.

Que cette larme que j’efface
N’attriste pas vos jeunes cœurs :
Le soleil brille sur la glace,
L’hiver conserve quelques fleurs.

Dansez, fillettes du village,
Chantez vos doux refrains d’amour,
Et, sous un ciel exempt d’orage,
Embellissez mon dernier jour !

(Sophie d’Arbouville)

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J’en appelle … (Mélanie Leblanc)

Posted by arbrealettres sur 9 février 2024




    
j’en appelle à l’animal
– araignée, enseigne-moi
comment relier la terre au ciel
les mondes aux mondes
tendre le fil de la voix
scintiller sous la pluie
rendre visible
l’harmonie secrète et fragile

écrire comme on tisse

*

j’en appelle au végétal
– fleur sauvage, enseigne-moi
comment exhaler son odeur
témoigner de la beauté
être là être libre
offrir les mots les plus précieux
puis dans un soupir
partir

écrire comme on fleurit

*

j’en appelle au minéral
— galet, enseigne-moi
comment faire des ricochets
choisir avec attention puis
jeter les mots-cailloux
rompre les lois
faire voler ce qui pèse
marcher sur l’eau

écrire comme on joue

(Mélanie Leblanc)

Recueil: Soleils vivaces vibrent dans nos mains
Editions: Le Castor Astral

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L’ÉPOUVANTE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Edouard Vuillard    
    
L’ÉPOUVANTE

Bon appétit, cher vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir, demain ?
Une chose longue et toujours pareille.

Nos jours sur nos jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus manger.

Un soir, ainsi, la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets familiers,
J’aurai le coeur plein de brusque surprise.

Je chercherai longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir pourquoi.

J’essayerai d’y voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Noue passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.

Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le coeur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
— Mère, laissez-moi, je ne veux plus rien.

Mère, toi, mère à ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.

Ô père, un soir, comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant vous mangez.

Vous irez errants parmi des ténèbres,
— Je ne sais pas quelles ténèbres, — dans un trou,
— Je ne sais pas lequel… — Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes funèbres.

Et vous mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai heurtés).

Êtes-vous là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?

Ah ! sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite, cachons-nous bien !

Que n’est-il un lieu sûr, secret des hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes.

Petite minute obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans amour ;

Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la bouche ;

Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en paix !

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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Empreintes (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 25 décembre 2023




    
Empreintes

D’où surgissent
Ces empreintes
Qui cisaillent
Le temps?

Où mène
Le signe
Qui rompt
L’encerclement?

Que dévoilent
Ces traces
Qui franchissent
Leurs limites?

Qui invente
D’autres angles
Qui ranime
L’instant?

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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L’intime horizon (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 25 décembre 2023




    
L’intime horizon

Loin des berges stridentes
Égarer l’ancre
Rompre
les amarres

Suivre l’appel
De l’intime horizon

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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Corps perdus (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 20 décembre 2023




    
Corps perdus

Corps par-dessus les falaises,
quel effroi devança votre mort ?

Corps fendus par la hache
Corps criblés de balles,
quelle terreur précéda votre néant ?

Corps mutilés
Corps mitraillés
Corps pendus,
quelle angoisse annonça votre fin ?

Corps étranglés
Corps brûlés
Corps traînés
Corps rompus,
quelles frayeurs ouvraient sur votre dernier sommeil ?

Vos faces d’épouvante
étreignent nos jours à vivre,

Corps pétrifiés
Corps échoués
Corps perdus !

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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La traversée sensible (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 17 décembre 2023




    
La traversée sensible

S’inventer un soleil
Renaître aux larmes
Dire l’oeil de l’ornement
Risquer tous ses vaisseaux.

Assiéger l’espérance
Savoir ce que l’on aime :
Le non d’entre les oui,
Le oui d’entre les non.

Rompre enfin l’écorce !

L’univers supplantera nos enclos.

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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