Cette terre a l’écorce de ses vieux sycomores,
La rudesse de ses pins, la douceur des lavandes,
Le parfum tourmenté des roseaux sur la lande,
Et dans son sang chrétien le fantôme des Mores.
Les oliviers crochus s’y tordent infiniment,
Cloués à des collines qui n’en finissent pas,
Et crucifiés d’ardeur sur leur brun Golgotha,
Ils languissent la pluie en verts tressaillements.
Quand le soir décadent incendie les remparts,
A l’heure où la montagne tourne fantomatique,
On peut voir indécise, sereine et famélique,
Quelque chèvre accrochée aux rochers du hasard.
Cette terre porte ses villes comme autant de diadèmes,
Cordoba la gitane et Séville la mauresque,
Et Granada la rouge et Cadiz l’arabesque,
Cette terre bâtit ses villes comme autant de poèmes.
Partout sont les mosquées et les blanches cathédrales,
Les minarets de fièvre et les clochers d’orgueil,
Les villages andalous assoupis sur le seuil,
Et la lourde torpeur de la mer orientale.
Ce pays est un rêve, un délire céramique,
Une harmonie bleutée de soleil et de mer,
Avec dans son âme le reproche doux-amer
D’une guitare flamenco sanglotant sa musique.
Je me revois au coeur d’une maison d’amour
Où mon père et ma mère à l’intuitive flamme
Nous chérissaient des yeux en éduquant notre âme
Sachant la cultiver comme on fait au labour.
Très sûrs d’enraciner en elle l’espérance
Montraient qu’en toute vie apparaît la souffrance
Leur exemple entraînait bien mieux qu’un long discours
Si même au fil des ans subsiste un long parcours.
Oui, près d’eux je reviens comme pour rajeunir
Accorder ma pensée et refaire ma force
Rien ne semble plus fort qu’un vivant souvenir
Tant fut marqué mon cœur en sa première écorce…
J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j’ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant
Comme au passé
J’ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l’arbre
Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs
J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l’odeur des mûres écrasées
C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?
(Monique Serf)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
La pitahaya est mûre,
allons la cueillir !
Coupez les cannes !
La guacamaya vient des terres chaudes
pour manger les premiers fruits.
De très loin, des terres chaudes,
je viens quand les cannes sont coupées
et je mange les premiers fruits.
Pourquoi voulez-vous me prendre
à moi mes premiers fruits ?
Ils sont à moi. Je mange le fruit
et je jette l’écorce.
Quand j’ai mon content
je m’en vais en chantant.
Reste ici, petit arbre
qui me fais signe quand je m’en vais.
Je m’envole dans le ciel
mais un jour je reviendrai
pour manger tes pitahayas !
traduit du Nahuátl
(Chants tarahumaras)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
Chacun peut s’acheter
de la nourriture, mais pas l’appétit,
des médicaments, mais pas la santé,
des lits moelleux, mais pas le sommeil,
des connaissances, mais pas l’intelligence,
un statut social, mais pas la bonté,
des choses qui brillent, mais pas le bien-être,
des amusements, mais pas la joie,
des camarades, mais pas l’amitié,
des serviteurs, mais pas la loyauté,
des cheveux gris, mais pas l’honneur,
des jours tranquilles, mais pas la paix.
L’écorce de toute chose peut
s’obtenir avec de l’argent.
Mais le coeur, lui,
n’est pas à vendre.
(Anne Garborg)
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers