Ils étaient huit jeunes hommes, nus, nus et qui tremblaient
ils étaient descendus, gelés, enchaînés,
l’un derrière l’autre, nus, les mains dans le dos
et ils savaient pour sûr, ils se savaient condamnés:
le grand camion, au fond, le long de la grande allée,
l’allée des longs cyprès, longs, hauts, est venu s’arrêter,
et les huit jeunes hommes nus, blancs, sans mot sont descendus
entre des hommes verts, vert clair, qui les font se tenir:
se tenir, blancs, nus, devant la grande tombe,
devant le grand trou, long, profond, tout juste creusé,
là tout le long, là, le long de l’allée,
derrière les tombeaux, tout le long, comme une longue tranchée:
par la mitraillette, d’un coup, ils ont tous plongé
dans la longue tranchée, blancs, nus, avec un peu de sang
sur leurs torses blancs, blancs, nus, aux premières aurores:
ils étaient huit jeunes hommes, nus, dépouillés de lendemains.
(Charles Camproux)
Recueil: Guerre à la guerre
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Même si nous sommes tous sérieux
ce n’est pas si facile d’être profond
et de s’en sortir. Eschyle
et Jimmy Schuyler y arrivent pourtant.
Les fleurs de Jimmy plongent dans une version
plus vibrante d’elles-mêmes tout en restant
exactement les mêmes. Comment font-elles?
La surface de cette table
est un blanc doux qui se met à suggérer
autre chose et puis rien. C’est
juste le dessus de la table. Quand je laisse courir mes doigts
dessus, ils font un doux froufrou.
Encore une fois. Doux froufrou.
(Ron Padgett)
Recueil: On ne sait jamais
Traduction: Claire Guillot
Editions: Joca Seria
Quand je plonge mes yeux dans les tiens
je vois l’aube profonde
je vois l’hier ancien
je vois ce que j’ignore
et je sens que passe l’univers
entre tes yeux et moi
Mon chat, hôte sacré de ma vieille maison,
De ton dos électrique arrondis la souplesse,
Viens te pelotonner sur mes genoux, et laisse
Que je plonge mes doigts dans ta chaude toison.
Ferme à demi, les reins émus d’un long frisson,
Ton œil vert qui me raille et pourtant me caresse,
Ton œil vert semé d’or, qui, chargé de paresse,
M’observe d’ironique et bénigne façon.
Tu n’as jamais connu, philosophe, ô vieux frère,
La fidélité sotte et bruyante du chien :
Tu m’aimes cependant, et mon coeur le sent bien.
Ton amour clairvoyant, et peut-être éphémère,
Me plaît, et je salue en toi, calme penseur,
Deux exquises vertus : scepticisme et douceur.
(Jules Lemaître)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
Efforce-toi d’entrer dans le trésor de ton coeur,
et tu verras le trésor du ciel.
[…]
L’échelle de ce royaume est en toi,
cachée dans ton âme.
Plonge en toi-même.
C’est là que tu trouveras les degrés
par lesquels tu pourras t’élever.
Tel un Jack Sparrow, je remonte mes manches
J’assure pas, j’assure plus, sans mon verre sur la planche
Tel un Jack de trop, du dimanche au dimanche
J’assume pas, non j’assume plus, je ne suis plus étanche
C’est pas la mer à boire tu sais, juste un peu d’eau salée
Solo, et soûlé, sur mon îlot isolé
J’ai des idées noires tu sais, une mouche dans un verre de lait
Même si je perds la mémoire, je bois pour oublier
Et j’entends les sirènes
Résonner au loin
Elles vont, elles viennent
Chercher les marins
Et j’entends les sirènes
Dans la tempête au loin
Avec la vie que je mène
Elles viendront pour moi demain
Tel un Jack Sparrow, je remonte les marches
Je les servais les mecs comme moi tu sais, dans ma chemise blanche
À trinquer un peu trop, perroquet sur la planche
Mon rein a coulé comme un radeau qui prend l’eau, et qui flanche
C’est pas la mer à boire tu sais, juste un peu d’eau salée
Sous l’eau, et soûlé, sur mon îlot isolé
J’ai des idées noires tu sais, une mouche dans un verre de lait
Même si je perds la mémoire, je bois pour oublier
Et j’entends les sirènes
Résonner au loin
Elles vont, elles viennent
Chercher les marins
Et j’entends les sirènes
Dans la tempête au loin
Avec la vie que je mène
Elles viendront pour moi demain
J’entends les sirènes
J’ai plongé profond
Ma tristesse est comme la mer
Elle n’a pas de fond
[…]
Le cercle qui en toi semblait conçu
Comme se réfléchit une lumière,
Mes yeux l’ayant contemplé un instant,
En son milieu, et de sa couleur même
M’apparut alors peint de notre image,
Et mon regard s’y plongea tout entier.
Et tel le géomètre qui s’attache
À mesurer le cercle, et cherche en vain
Dans sa pensée le principe qui manque,
Tel étais-je à la vision nouvelle :
Je voulais voir comment l’image au cercle
Se conjoignait et venait s’y inscrire,
Mais aussi haut ne volaient point mes ailes;
Quand mon esprit fut soudain foudroyé
Par un éclair qui combla mon attente.
Lors défaillit ma haute fantaisie,
Mais déjà entraînait mon vouloir, comme roue
Tournant d’un mouvement égal, l’amour
Qui mène le soleil et les autres étoiles.
La Divine Comédie,
Le Paradis, chant XXXIII. Trad. : Éditions Gallimard, 1999.
***
LA DIVINA COMMEDIA
[…]
Quella circulazion che si concetta
Pareva in te corne lume reflesso,
Da li occhi miei alquanto circunspetta,
Dentro da sé, del suo colore stesso,
Mi parve pinta de la nostra effige:
Per che’l mio viso in lei tutto era messo.
Qual è’ 1 geomètra che tutto s’ affige
Per misurar lo cerchio, e non ritrova,
Pensando, quel principio ond’ elli indige,
Tal era io a quella vista nova:
Veder voleva corne si convenne
L’imago al cerchio e corne vi s’indova;
Ma non eran da ciô le proprie penne:
Se non che la mia mente fu percossa
Da un fulgore in che sua voglia venne.
A l’alta fantasia qui mance, possa;
Ma già volgeva il mio disio e’l velle,
Si corne rota ch’igualmente è mossa,
L’amor che move il sole e l’ altre stelle.
(Dante Alighieri)
Recueil: Petite anthologie Poésie européenne
Traduction:
Editions: Singulières
Le soleil plonge à l’ouest
derrière les monts de Yan. Je cherche l’ermite
près de sa chaumière. Parmi toutes ces feuilles
qui chutent
où se trouve-t-il ?
La sente se perd dans les volutes de la brume.
Seul au crépuscule
il frappe le gong de pierre.
J’écoute, immobile,
appuyé sur mon bâton de rotin.
Un grain de poussière peut résumer le monde entier.
A quoi bon l’amour à quoi bon la haine ?
(Li Shangyin)
Recueil: Neige sur la montagne du lotus Chants et vers de la Chine ancienne
Traduction: Ferdinand Stočes
Editions: Picquier poche