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Poésie

Posts Tagged ‘branche’

Je lisais (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 1 Mai 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poème éternel ! — La Bible ? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.

J’épelle les buissons, les brins d’herbe, les sources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,

Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, —

J’étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : « Ô pauvre homme, tremblant

Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t’emplissent de clarté !

Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !

Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,

A des rayons : la roue au dur moyeu, l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,

L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.

Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’oeuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.
L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.

Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,

La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme : DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui dure peu ;

Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée ;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s’épanouit ;

Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin ;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.

Ainsi tu fais ; aussi l’aube est sur ton front sombre ;
Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. »
Je répondis : « Hélas ! tu te trompes, oiseau.

Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe ;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant. »
Et je continuai la lecture du champ.

(Victor Hugo)

Recueil: Les Contemplations
Editions:

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LE CERF (Jean Joubert)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024



 

Yuta Onoda restoring_what_is_lost-580x580 [1280x768]

LE CERF

Laissez venir le cerf le haut seigneur des branches,
et dans l’hiver il portera parmi les blanches
veines le feu sévère de sa robe.

Tendez la main qu’il y flaire l’amour,
et, pénétrés de si vaste lumière,
penchez vers lui des lèvres sans haleine.
Que rien ne bouge, hors votre coeur.

Sans doute ailleurs s’élaborent des chasses;
sur la lisière où passe la mort
le veneur rouge mène vacarme.

Oui, ce sont de telles mains cruelles qui règnent,
et les armes d’orgueil,
mais sur des songes de poussière.

Soyez patients comme le blé des tombes;
que votre main levée sépare l’ombre.

Laissez venir le cerf le haut seigneur des branches.

(Jean Joubert)

Illustration: Yuta Onoda

 

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Être cette terre (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 5 avril 2024



Illustration: Vincent Van Gogh
    
être cette terre
où travaillent
ses racines

ce tronc massif
noueux à l’écorce
éclatée

ce jaillissement
des branches

ces milliers de feuilles qui
frémissent dans le vent

la sève
son extrême lenteur
son travail invisible
et obstiné sa silencieuse
circulation au long
des fibres
qui dresse et déploie
une telle puissance
une si comblante
harmonie

pour apprendre
à ne plus douter

ne plus céder
à l’impatience

(Charles Juliet)

Recueil: Ce pays de silence précédé de Trop ardente et L’Inexorable
Editions: P.O.L.

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Involontairement (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2024




    
Involontairement je brise avec les doigts
une petite branche.
Je touche l’endroit de la rupture
et mes doigts s’illuminent:
le tout de la branche
a passé dans mes doigts.
Il restera en eux,
bien qu’à son tour je ne sais quoi me les brise
et que le tout de mes doigts
passe dans autre chose.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Silence retentissant (Rose Ausländer)

Posted by arbrealettres sur 23 mars 2024




    
Silence retentissant

Bien des gens se sont sauvés
Hors de la nuit
des mains ont rampé
rouge brique du sang
des assassinés

Ce fut un spectacle retentissant
le tableau d’un incendie
d’une musique de feu
Puis la mort se tut
Elle se tut

Ce fut un silence retentissant
Des étoiles souriaient
entre les branches

Les rescapés attendaient au port
Des bateaux échoués
Ils ressemblent à des berceaux
sans mère ni enfant

(Rose Ausländer)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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MATINALE (Pierre Gabriel)

Posted by arbrealettres sur 10 mars 2024



 

MATINALE

Le seuil franchi,
L’aurore est encore à venir.
Un invisible coq
L’annonce sans y croire.

Elle a tiré la porte.
Elle a marché tout droit
Vers le verger qui s’ancre au bord du ciel.
La nuit goutte de branche en branche
Le cheval blanc flaire parmi les herbes
L’acide vent des vignes.

Trop rude est le chemin de terre,
Trop haut se perdent les étoiles.
Ce jour sera comme les autres.

Mais à l’arbre de vie
Cette rosée brûlante,
Et le panier d’osier s’emplit
De fruits qui pourriront bientôt.

(Pierre Gabriel)

Illustration

 

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JUNGLE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Illustration: Velasquez
    
JUNGLE

Matin et toutes choses au monde
posées
à la distance idéale du duel.
On a choisi les armes,
toujours les mêmes,
tes besoins, mes besoins.
Celui qui devait compter un, deux, trois, feu
était en retard,
en attendant qu’il vienne
assis sur le même bonjour
nous avons regardé la nature.

La campagne en pleine puberté,
la verdure se dévergondait.
Loin des villes Juin poussait des cris
de sauvagerie triomphante.
Il sautait s’accrochant
de branche d’arbre et de sensations
en branche d’arbre et de sensations,
Tarzan de court métrage
pourchassant des fauves invisibles
dans la petite jungle d’une histoire.
La forêt promettait des oiseaux
et des serpents.

Abondance venimeuse de contraires.
La lumière tombait catapulte
sur tout ce qui n’était pas lumière,
et la splendeur érotomane dans sa fureur
embrassait même ce qui n’était pas l’amour,
et jusqu’à ton air morose.

Dans la petite église personne
a part son nom pompeux, Libératrice.
Un Christ affairé comptait
avec une passion d’avare
ses richesses :
clous et épines.
Normal qu’il n’ait pas entendu
les coups de feu.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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BALLADE DU PRINTEMPS VENU (Paul Fort)

Posted by arbrealettres sur 19 février 2024



    

BALLADE DU PRINTEMPS VENU

Un jour du Printemps vient de naître.
Je crois bien que c’est le Premier.
Deux branches de mon noisetier
viennent d’enjamber ma fenêtre.

Viennent encor d’être amoureux
le soleil don Juan des cieux
et la lune et toi dans mes yeux,
moi dans les tiens si bleus, si bleus,

bleus ! voire même à la chandelle,
au petit jour même orageux.
Vivons ! le Printemps est fidèle.
Au lit, ô ma belle des belles!

Elles viendront les hirondelles…

(Paul Fort)

Recueil: Ballades du beau hasard
Editions: Flammarion

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Le chêne abandonné (Anatole France)

Posted by arbrealettres sur 14 février 2024



Illustration
    
Le chêne abandonné

Dans la tiède forêt que baigne un jour vermeil,
Le grand chêne noueux, le père de la race,
Penche sur le coteau sa rugueuse cuirasse
Et, solitaire aïeul, se réchauffe au soleil.

Du fumier de ses fils étouffés sous son ombre,
Robuste, il a nourri ses siècles florissants,
Fait bouillonner la sève en ses membres puissants,
Et respiré le ciel avec sa tête sombre.

Mais ses plus fiers rameaux sont morts, squelettes noirs
Sinistrement dressés sur sa couronne verte ;
Et dans la profondeur de sa poitrine ouverte
Les larves ont creusé de vastes entonnoirs.

La sève du printemps vient irriter l’ulcère
Que suinte la torpeur de ses âcres tissus.
Tout un monde pullule en ses membres moussus,
Et le fauve lichen de sa rouille l’enserre.

Sans cesse un bois inerte et qui vécut en lui
Se brise sur son corps et tombe. Un vent d’orage
Peut finir de sa mort le séculaire ouvrage,
Et peut-être qu’il doit s’écrouler aujourd’hui.

Car déjà la chenille aux anneaux d’émeraude
Déserte lentement son feuillage peu sûr ;
D’insectes soulevant leurs élytres d’azur
Tout un peuple inquiet sur son écorce rôde ;

Dès hier, un essaim d’abeilles a quitté
Sa demeure d’argile aux branches suspendue ;
Ce matin, les frelons, colonie éperdue,
Sous d’autres pieds rameux transportaient leur cité ;

Un lézard, sur le tronc, au bord d’une fissure,
Darde sa tête aiguë, observe, hésite, et fuit ;
Et voici qu’inondant l’arbre glacé, la nuit
Vient hâter sur sa chair la pâle moisissure.

(Anatole France)

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Au jardin (Mélanie Leblanc)

Posted by arbrealettres sur 9 février 2024



Illustration 
    
au jardin
tout dit la vie
même dans la mort

des fantômes se promènent encore
à l’abri de ces murs
premiers serments
premiers tourments

ils reviennent sans cesse
retrouver l’amante l’amant

*

Fantômes du jardin,

j’entends vos peines
elles peuvent cesser
soyez sans crainte
vous êtes aimés

prenez le chemin du bouleau
du pommier ou du cerisier
le long du tronc
avec la sève
traversez les phloèmes
montez vers
la lumière
lâchez la branche
partez

(Mélanie Leblanc)

Recueil: Soleils vivaces vibrent dans nos mains
Editions: Le Castor Astral

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