Un chemin de pierre serpente au loin dans la montagne d’automne.
Des maisons transparaissent au coeur d’un nuage blanc.
Je m’arrête pour admirer la forêt d’érables, jusqu’au soir,
Ses feuilles givrées sont plus rouges encore que les fleurs du printemps.
***
(Du Mu)
Recueil: Poèmes de Chine de l’époque dynastique des Tang
Traduction: Guillaume Olive & He Zhihong
Editions: Seuil
Dans le jardin, sucré d’oeillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates
Chancellent de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé,
Mon coeur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos…
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement,
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon coeur, indifférent et doux, aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma soeur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été,
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…
(Anna de Noailles)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
Au printemps le fleuve déborde, s’unissant à la mer,
De l’océan, la lune monte avec la marée;
Scintillante, suivant les flots sur dix mille lis,
La lune glisse omniprésente le long du fleuve au printemps.
Le courant serpente entre les prairies parfumées,
Les arbres fleuris deviennent neigeux sous les rayons argentés;
Dans l’air qui semble condensé, se meut le givre
Qui voile les rives sablonneuses, à peine distinctes.
Ciel et fleuve, sans l ‘ombre d ‘une poussière, forment un camaïeu pur,
Au-dessus duquel brille une lune solitaire dans le firmament infini;
Qui fut le premier à contempler la lune au bord du fleuve?
Et quand pour la première fois, la lune a-t-elle éclairé la nuit?
La vie se perpétue, génération après génération,
Fleuve et lune paraissent immuables, année après année.
Innombrables sont les hommes qui s’en sont allés sous cette lune,
Seul demeure le grand Yangtsé charriant ses eaux précipitées.
Autant me semble, éloigné ce flocon de nuage qui va s’effilochant,
Autant est triste l’homme sur la rive aux érables verts;
Cette nuit-dans quelle maison, pense-t-on au voyageur sur l ‘eau
Sous cette lune qui s’attriste d’éclairer en solitaire le pavillon vide?
Elle s’y attarde, comme accrochée par dessus son toit,
Et pénètre le boudoir habité par une âme esseulée.
Elle se présente, insistante, à la fenêtre au rideau tiré,
Indélébile sur la planche où tomberont les coups du battoir.
A cette heure, à défaut de nouvelle, nous regardons la même lune,
Mais je voudrais être un de ces rayons qui te caresse…
Que l ‘oie sauvage porte mon message aussi loin que la lune!
Que les ondes nées des ébats des poissons composent mon courrier!
La nuit précédente, un rêve, où les pétales tombaient sur l’étang;
La mi-printemps déjà passée, et toi, malheureuse, tu ne me reviens pas…
Avec les eaux du fleuve, le printemps touche presque à sa fin,
A l’ouest, près de l ‘étang, la lune est sur son déclin;
Elle va bientôt se coucher au fond de la mer brumeuse,
Mais longue est la route, avant que les fleuves, Xiao et Xiang se rejoignent:
Combien sont-ils, ceux qui rentrent au clair de lune, cette nuit-là?
A la lune déclinée, les arbres du fleuve soupirent, mélancoliques.
Est-ce l’envie?
Ou est-ce ton corps?
Est-ce notre vie
Qui fait que ça dure encore?
Est-ce ton bonheur?
Où est-ce mon honneur
qui me tient prisonnier
ou qui me fait geôlier?
Est-ce l’habitude,
Toujours la même attitude,
le vide de chaque jour,
Ou le manque d’amour?
Est-ce l’amour,
Étrange amour ?
Est-ce la douceur
de tes caresses mon cœur?
Une dure limite, un mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr
Mur, tessons de bouteilles
Grilles et chiens qui veillent
Chacun sur ses gardes, qui monte la garde
Les frontières, échecs d’hier
Les autres terres, tous nos cimetières
Une dure limite, un mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr
Dure limite, mur d’amour
Dure limite, amour pas mûr
Pas mûr, pas mûr {2x}
Et le mur de Berlin n’a pas,
n’a pas de fin
Non le mur de Berlin,
t’en as un, j’en ai un
Il coupe la terre en deux,
comme une grosse pomme
Il coupe ta tête en deux,
comme la première pomme un peu
Il coupe ta tête en deux
et te fait femme ou homme,
si tu veux
Puis il serpente entre deux terres
et te fait faire toutes les guerres,
toutes les guerres
Une dure limite, un mur d’amour
Une dure limite
Moeurs d’amour, mœurs d’amour
Une dure, dure, dure limite {3x}
Dure limite
Sentier pierreux serpentant dans la montagne froide
Là où s’amassent de blancs nuages, une chaumière…
J’arrête le char et aspire la forêt d’érables au soir
Feuilles givrées : plus rouges que les fleurs du printemps
(Du Mu)
Recueil: L’Ecriture poétique chinoise
Traduction: François Cheng
Editions: du Seuil