Une fois, presque à la fin de la journée,
elle (ma nourrice) m’a conduite très loin,
au bord du monde, dans un champ mystérieux
où nous avons coupé avec la faucille
de grandes fougères.
Je n’ai jamais retrouvé ce champ.
Il n’avait pas d’entrée.
Mais un bonheur était dedans,
sur le bord du soleil qui allait partir.
Comment étions-nous venues là
toutes les deux,
sans route ni sentier?
*
Quand viendra le soir, au bout des années
Où, l’épaule basse et les yeux rougis,
Je ne serai plus, traînante et fanée,
Qu’une vieille en trop qui vague au logis.
Alors, quand le jour hésite et décline,
Comme une étrangère à jamais qui part,
A jamais… alors, comme une orpheline
Dont le cri n’a plus d’abri nulle part,
Je m’en irai seule avec mon pauvre âge
Qui n’a plus ni chant, ni charme, ni fleur,
Je m’en irai seule à la mort sauvage,
Sans faire alentour ni bruit ni malheur.
J’irai retrouver le pré seul au monde
0ù je traversai, petite, un bonheur
Que nul autre pré ne sut à la ronde,
Le champ oublié de tous les faneurs;
Le champ égaré depuis mon enfance
Que les bois au fond de leur secret noir
Ont si loin serré dans un grand silence
Que nul sentier clair n’a su le revoir.
Là se tient la fleur qui n’est pas sortie
Pour d’autres que moi dans mon prime temps.
Peut-être en ce champ, derrière l’ortie,
Que l’oiseau de l’aube à mi-ciel m’attend?
J’entrerai dedans sans bouquet ni gerbe,
La fleur et l’oiseau perdus y seront.
Je m’enfermerai dans ma chambre d’herbe…
Ce que j’y viens faire, eux seuls le sauront.
…….
Pas à pas le temps faible qui persiste
A battre en mon coeur sans savoir pourquoi
Sortira du monde… Et les feuilles tristes
Qui meurent le soir tomberont sur moi.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Resté comme un vivant témoin
Tout embelli par ton Grand Age
Des lointains jours, de leur rouage
J’aime de toi prendre grand soin.
Tu me parles de mon enfance,
Du visage de mes parents,
De la plus heureuse jouvence
De mes frères et soeur courant
Ouvrir tes portes de vieux chêne
Sur le gros pain bis de chez nous
Et plus pour la fête prochaine
Mon coeur ravi, vois, à genoux,
Ceux qui t’aimaient si fortement !
Ton bois devient leur âme enclose
Que je savoure saintement.
On aime revenir, quand le temps a passé
Au chemin de l’enfance où l’on voudrait revivre
Les jours pleins d’innocence où le cœur a laissé
Avec son plus beau chant, l’âme d’un espoir ivre…
— Cherche à le retrouver tu sentiras, que rien
N’est plus jamais semblable à l’image adorée.
L’inexorable a fui tandis que, déjà, vient
L’heure de tout quitter à l’ombre mordorée.
Sans que je puisse m’en défaire
Le temps met ses jambes à mon cou
Le temps qui part en marche arrière me fait sauter sur ses genoux
Mes parents, l’été, les vacances, mes frères et sœurs faisant les fous
J’ai dans la bouche l’innocence des confitures du mois d’août
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Les napperons et les ombrelles qu’on ouvrait à l’heure du thé
Pour rafraichir les demoiselles roses dans leurs robes d’été
Et moi le nez dans leurs dentelles, je respirais à contre-jour
Dans le parfum des mirabelles, l’odeur troublante de l’amour
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Le vent violent de l’histoire allait disperser à vau-l’eau
Notre jeunesse dérisoire, changer nos rires en sanglots
Amour orange amour amer, l’image d’un père évanoui
Qui disparut avec la guerre, renaît d’une force inouie
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Celui qui vient à disparaître, pourquoi l’a-t-on quitté des yeux ?
On fait un signe à la fenêtre sans savoir que c’est un adieu
Chacun de nous a son histoire et dans notre cœur à l’affût
Le va-et-vient de la mémoire ouvre et déchire ce qu’il fût
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Belle cruelle et tendre enfance, aujourd’hui c’est à tes genoux
Que j’en retrouve l’innocence au fil du temps qui se dénoue
Ouvre tes bras, ouvre ton âme, que j’en savoure en toi le goût
Mon amour frais, mon amour femme
Le bonheur d’être et le temps doux
Pour me guérir de mon enfance, de mon enfance
Pour me guérir de mon enfance, de mon enfance.
(Jean Ferrat)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j’ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant
Comme au passé
J’ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l’arbre
Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs
J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l’odeur des mûres écrasées
C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?
(Monique Serf)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
J’aurai beaucoup trop chaud peut-être
Il fera sombre, que m’importe
Je n’ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Votre parfum Sur L’oreiller
Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez
Parfait inquisiteur
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent jaloux
Les replis de mes draps
Oh, la si fragile prison!
Il suffirait d’un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan
Tenez, voici, j’ai découvert
Dissimulées sous l’évidence
De votre Chanel ordinaire
De plus secrètes fulgurances
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l’éphémère
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter enfant
En vous disant « Reçois
Et la myrrhe et l’encens »
Les fées de la légende
Penchées sur le berceau
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau
J’ai deviné tous vos effets
Ici l’empreinte du jasmin
Par là la trace de l’oeillet
Et là le soupçon de benjoin
Je pourrais dire ton enfance
Elle est dans l’essence des choses
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses
Une grand-mère aux confitures
Un bon goûter dans la besace
Piquantes ronces, douces mûres
L’enfance est un parfum tenace
Tout ce sucre c’est vous
Tout ce sucre et ce miel
Le doux du roudoudou
L’amande au caramel
Les filles à la vanille
Les garçons au citron
L’été sous la charmille
Et l’hiver aux marrons
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Pour retrouver dans mon soulier
Ma mandarine de Noël
Voici qu’au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S’offre à mon nez soudain inquiet
Une troublante exhalaison
C’est l’odeur animale
De l’humaine condition
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton
Et voici qu’ils affleurent
L’effluve du trépas
L’odeur d’un corps qui meurt
Entre ses derniers draps
Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N’emportent votre amour ou le mien
Vers d’autres cieux ou d’autres lits
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Toute votre âme Sur L’oreiller
(Juliette)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Je viens depuis dedans, je viens
depuis que les choses sont.
Je porte mon enfance
dans ma poche :
amulettes,
billes,
anneaux,
un morceau de ficelle
pour attacher ma toupie
un cerf-volant dans la main.
Ma tête de chiffon surgit
en continu et se renouvelle.
Ma tête de chiffon en feu
me suit,
me poursuit
par-derrière les arbres.
Elle me guette depuis les vitres
peintes dans les collines;
dans les maïs,
avec les chevaux somnambules.
Le soir, je rencontre ma tête
dans le fond obscur des citernes.
Je suis moi, se mirant dans l’eau
la première tristesse au visage.
Je suis moi, la nuit douce et terrible
Sous les paupières.
Ce que je suis, étais,
depuis bien longtemps.
Je viens de dedans, je viens
depuis que les choses sont.
***
CONJUGANDO EL VERBO SER
Lo que soy, era,
desde hace mucho,
Vengo desde adentro, vengo
desde que las cosas son.
Traígo mi infancia
en mi bolsillo ;
amuletos,
globos,
anillos,
un pedazo de pita
para amarrar mi trompo,
un corneta de papel en la mano.
Mi cabeza de trapo surge
continuamente y se renueva.
Mi cabeza de trapo ardiendo me sigue,
me persigue
por detrás de los árboles.
Me aguaita desde los vidrios
pintado en las colinas ;
en los maizales,
junto a caballos sonámbulos.
Al anochecer encuentro mi cabeza
en el fondo oscuro de las cisternas.
Ese soy yo, mirándose en el agua,
con la primera tristeza en el restro.
Ese soy yo, con la dulce y terrible
noche bajo los párpados.
Lo que soy, era,
desde hace mucho.
Vendo desde adentro, vengo
desde que las cosas son.
Recueil: La peau du temps
Traduction: Anne-Marie Vindras
Editions: des Crépuscules
Si tu m’encages
J’aurai un amant au dos lisse
Aux hanches adolescentes
Aux muscles comme un tambour
Aux lèvres cruelles
Un amant qui aura quarante ans
Toute son enfance
Et bien plus
Nous séparera
Mais nous nous raconterons
De la littérature
Si tu m’encages
Nous nous apprendrons
A faire l’amour
Et je le partagerai
Avec ses maîtresses
Parce qu’il ne m’aimera pas
Et moi non plus.
Si tu m’encages
N’oublie pas
J’aurai un amant au dos lisse
(Denise Jallais)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Traduction:
Editions: Marabout
La branche en fleur se balance,
De ci, de là, dans le vent.
Mon coeur, comme au temps d’enfance,
Monte avec elle ou descend,
Jours de fête ou tristes jours,
Force, abandon, tour à tour.
Voilà les fleurs envolées,
La branche de fruits chargée ;
Le cœur d’enfant désormais
A trouvé sa paix.
Il sait que ce fut joie et non vaine folie,
Ce jeu mouvementé, bigarré, de la vie.
***
DER BLÜTENZWEIG
Immer hin und wider
Strebt der Blütenzweig im Winde,
Immer auf und nieder
Strebt mein Herz gleich einem Kinde
Zwischen hellen, dunklen Tagen,
Zwischen Wollen und Entsagen.
Bis die Blüten sind verweht
Und der Zweig in Früchten steht,
Bis das Herz, der Kindheit satt,
Seine Ruhe hat
Und bekennt : voll Lust und nicht vergebens
War das unnihvolle Spiel des Lebens.
(Hermann Hesse)
Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti