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Poésie

Posts Tagged ‘voler’

EXEMPLE (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 7 Mai 2024




EXEMPLE

Le papillon volait entre les voitures.
Marie José me dit : ce doit être Tchouang-tseu
de passage à New York.
Mais le papillon
ne savait pas qu’il était un papillon
qui rêvait d’être Tchouang-tseu
ou Tchouang-tseu
qui rêvait d’être un papillon.
Le papillon ne doutait pas :
il volait.

(Octavio Paz)

 

 

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OÙ DONC EST LE BONHEUR ? (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024



Illustration: Salvador Dali
    
OÙ DONC EST LE BONHEUR ?

Sed satis est jam posse mori.
LUCAIN.

Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l’enfance éphémère,
Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,
Est l’âge du bonheur, et le plus beau moment
Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus tard, aimer, – garder dans son coeur de jeune homme
Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,
Glisser un mot furtif dans une tendre main,
Aspirer aux douceurs d’un ineffable hymen,

Envier l’eau qui fuit, le nuage qui vole,
Sentir son coeur se fondre au son d’une parole,
Connaître un pas qu’on aime et que jaloux on suit,
Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,

Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,
Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,
Tous les buissons d’avril, les feux du ciel vermeil,
Ne chercher qu’un regard, qu’une fleur, qu’un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d’une main jalouse
Les boutons d’orangers sur le front de l’épouse ;
Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé
Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;

Voir aux feux de midi, sans espoir qu’il renaisse,
Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,
Perdre l’illusion, l’espérance, et sentir
Qu’on vieillit au fardeau croissant du repentir,

Effacer de son front des taches et des rides ;
S’éprendre d’art, de vers, de voyages arides,
De cieux lointains, de mers où s’égarent nos pas ;
Redemander cet âge où l’on ne dormait pas ;

Se dire qu’on était bien malheureux, bien triste,
Bien fou, que maintenant on respire, on existe,
Et, plus vieux de dix ans, s’enfermer tout un jour
Pour relire avec pleurs quelques lettres d’amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,
Boire le reste amer de ces parfums aigris,

Être sage, et railler l’amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d’un oeil mouillé de pleurs
Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l’homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d’ombre.
C’est donc avoir vécu ! c’est donc avoir été !
Dans la joie et l’amour et la félicité

C’est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !
Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l’enfance où le coeur dort,

Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !
Où donc est le bonheur, disais-je ? – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné !

(Victor Hugo)

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Nous avons aimé (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




    
Nous avons aimé
et peut-être
aimerons-nous encore
mais les baisers
échangés ou volés
les étreintes
données à la dérobée
ne peuvent s’oublier
et nous vivons avec
sur la face
leurs nobles cicatrices.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

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La couleur des fleurs (Yoshimine no Munesada)

Posted by arbrealettres sur 8 avril 2024



La couleur des fleurs
Enveloppées de brouillard
Nous est cachée;
Vole au moins leur parfum
Vent printanier de la montagne.

(Yoshimine no Munesada)

Illustration

 

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Poème à dire (Marcel Béalu)

Posted by arbrealettres sur 24 mars 2024



Illustration: Michèle Bombamo
    
Poème à dire

La liberté ne s’écrit pas sur la forme changeante des nuages
La liberté n’est pas une sirène cachée au fond des eaux
La liberté ne vole pas au gré des vents
Comme la lunule du pissenlit
La liberté en robe de ciel ne va pas dîner chez les rats
Elle n’allume pas ses bougies de Noël
Aux lampions du 14 juillet

La liberté je lui connais un nom plus court
Ma liberté s’appelle Amour
Elle a la forme d’un visage
Elle a le visage du bonheur.

(Marcel Béalu)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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LE VENT (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
LE VENT

Le vent
ça brasse de l’air
ça fait danser les feuilles mortes
ça fait claquer les portes
et baisser les paupières

Le vent ça donne des ailes
à ceux qui traînent la patte
ça ramène des nouvelles
de la Terre de Feu aux Carpates

Le vent ça vous matraque
juste ce qu’il faut derrière l’oreille

Ça fait voler les châles
ça fait gonfler les voiles
ça fait danser les flammes
et ça plaque les volants des robes
sur les cuisses des femmes…
ça fait chanter les morts
et vibrer les étoiles

Le vent ça hurle dehors
ça hurle dans la nuit
ça murmure sous les portes
et puis ça pousse des cris

Le vent ça affole les cerveaux
ça bouscule les poivrots
ça retourne les bagnoles

Le vent
ça enflamme les crinières
ça gicle dans l’ornière
ça souffle dans les crânes

Le vent ça sculpte les rochers
ça couche les champs de blé
ça décoiffe les beautés

Le vent ça claque les étendards
ça déchire les drapeaux
ça balaie les remparts

Le vent ça vous plaque contre un mur
ça vous lèche la figure
comme un grand chien joyeux.

Le vent
qui fait tourner la Terre
et tourner la poussière autour de tes pieds nus

Le vent
qui souffle dans ma tête
me chante un air de fête un air de liberté

Le vent

Emportera mes restes
balaiera la poussière
de mes os sur la terre
où j’ai dansé
mortel
parmi les ombres
entre les flammes
autour du feu qui crache
sur le ciel étoilé
des milliards d’étincelles

Vendredi 30 décembre 1994, à Calvi
Un soir de grand vent, la nuit, dans la citadelle.
En repensant aux feux de la Saint-Jean.

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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UN ARBRE EMPOISONNÉ (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



Illustration: William Blake
    
UN ARBRE EMPOISONNÉ

J’en voulais à mon ami :
Je dis mon courroux, et mon courroux prit fin.
J’en voulais à mon ennemi ;
Je ne le dis point, mon courroux grandit.

Et je l’arrosai en tremblant,
Nuit et matin, de mes larmes,
Et je l’ensoleillai de sourires,
De douces ruses trompeuses,

Et il grandit nuit et jour
Jusqu’à ce qu’il engendrât une pomme éclatante,
Et mon ennemi la vit briller
Et il sut qu’elle était mienne,

Et dans mon jardin il se glissa
Quand la nuit eut volé le pôle,
Au matin, joyeux, je vis
Mon ennemi étendu mort sous l’arbre.

***

A Poison Tree

I was angry with my friend;
I told my wrath, my wrath did end.
I was angry with my foe:
I told it not, my wrath did grow.

And I waterd it in fears,
Night & morning with my tears:
And I sunned it with smiles,
And with soft deceitful wiles.

And it grew both day and night.
Till it bore an apple bright.
And my foe beheld it shine,
And he knew that it was mine.

And into my garden stole,
When the night had veild the pole;
In the morning glad I see;
My foe outstretched beneath the tree.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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UN HOMME A VÉCU (Omar Khayyam)

Posted by arbrealettres sur 10 mars 2024



UN HOMME A VÉCU

Que subsistera-t-il de Khayyam, le sais-tu ?
La vie n’est qu’une flamme et le passant l’oublie…
Que peut-il bien rester de ce bref incendie ?
Des cendres voleront… Un homme aura vécu.

(Omar Khayyam)

 

 

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IL DIT QUE TOUT IRA BIEN (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 3 mars 2024




    
IL DIT QUE TOUT IRA BIEN

Il dit : les bombes ont détruit ton école
Il dit : la nourriture disparaît, l’argent manque
Il dit : l’aide humanitaire dans les camions blancs est notre unique salut
Il dit : l’aide humanitaire vient de voler en éclats

Il n’y a plus d’école
Comment ça, plus d’école ?
Elle est vide, trouée ou il n’en reste plus rien ?
Qu’est devenue ma photo, accrochée au tableau d’honneur ?
Qu’est devenue ma maîtresse, qui faisait la classe ?

Il dit : ta photo ? qui a besoin de ta photo ?
Il dit : ton école a fondu, cet hiver est trop brûlant
Il dit : je n’ai pas vu ta maîtresse et ne me demande pas d’aller voir
Il dit : j’ai vu ta marraine, elle n’est plus de ce monde

Fuyez
Laissez tout tomber et fuyez
Abandonnez la maison, la cave et les confitures d’abricots
Les chrysanthèmes roses dans la véranda
Abattez les chiens, pour leur éviter de souffrir
Abandonnez cette terre, quittez-la

Il dit : arrête tes bêtises, tous les jours nous en jetons de la terre sur les cercueils
Il dit : tout ira bien, le salut est proche
Il dit : l’aide humanitaire est déjà en route

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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Entre moi (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 2 mars 2024



Luba Yakymtchouk
    
Entre moi et ma mère des centaines de tombes ont été creusées
Et je ne sais comment les enjamber
Entre moi et mon père des centaines d’obus volent
Et je ne parviens pas à les considérer comme des oiseaux
Entre moi et ma soeur, il y a une porte de cave métallique
Bloquée de l’intérieur par une pelle
Entre moi et ma grand-mère un paravent de prières
Des murs fins de soie, à travers lesquels on ne peut rien entendre, absolument rien entendre

(Luba Yakymtchouk)

***

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin)
Editions: des femmes

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