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Poésie

Posts Tagged ‘abandonner’

LES CHEVEUX (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    
LES CHEVEUX

Simone, il y a un grand mystère
Dans la forêt de tes cheveux.

Tu sens le foin, tu sens la pierre
Où des bêtes se sont posées ;
Tu sens le cuir, tu sens le blé,
Quand il vient d’être vanné ;

Tu sens le bois, tu sens le pain
Qu’on apporte le matin ;
Tu sens les fleurs qui ont poussé
Le long d’un mur abandonné ;

Tu sens la ronce, tu sens le lierre
Qui a été lavé par la pluie ;
Tu sens le jonc et la fougère
Qu’on fauche à la tombée de la nuit ;

Tu sens la ronce, tu sens la mousse,
Tu sens l’herbe mourante et rousse
Qui s’égrène à l’ombre des haies ;
Tu sens l’ortie et le genêt,

Tu sens le trèfle, tu sens le lait ;
Tu sens le fenouil et l’anis ;
Tu sens les noix, tu sens les fruits
Qui sont bien mûrs et que l’on cueille ;

Tu sens le saule et le tilleul
Quand ils ont des fleurs plein les feuilles ;
Tu sens le miel, tu sens la vie
Qui se promène dans les prairies ;

Tu sens la terre et la rivière ;
Tu sens l’amour, tu sens le feu.
Simone, il y a un grand mystère
Dans la forêt de tes cheveux.

(Rémy de Gourmont)

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SEIGNEUR, DITES-MOI FRANCHEMENT (Guillaume Le Vinier)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
SEIGNEUR, DITES-MOI FRANCHEMENT

Seigneur, dites-moi franchement
ce qui vous plairait davantage :
que votre amie
vous ait invité
à passer la nuit
allongé à ses côtés, nu à nu,
mais sans que vous la regardiez,
ou que, de jour, elle vous embrasse et vous sourie
dans un beau pré,
sans toutefois vous accorder
de plus grandes faveurs ?

Guillaume, c’est une bien grande folie
que propose votre chanson :
le berger d’une abbaye
n’aurait pas mieux parlé !
Quand j’aurai, étendue à mes côtés,
mon coeur, ma dame, mon amie,
celle que j’ai toute ma vie
désirée,
je vous abandonnerai volontiers le badinage
et les menus propos du pré.
(… )

Seigneur, je ne voudrais pour rien au monde
qu’on m’eût mené jusque là. Si je pouvais contempler
le visage de celle que j’aimerais,
à qui j’appartiendrais,
l’embrasser pour ma plus grande joie
et la serrer dans mes bras
à ma guise,
sachez-le, si je ne choisissais pas ce parti,
je ne serais pas un vrai amant.

Guillaume, par Dieu,
vous avez choisi un parti bien peu sage :
si je la tenais nue entre mes bras,
je ne donnerais pas le Paradis en échange,
et contempler son visage
ne me suffirait pas
si je n’obtenais rien d’autre.
J’ai pris le meilleur parti :
quand vous vous séparerez, si elle vous suit du regard,
vous n’emporterez qu’un sourire menteur.

Seigneur, Amour est mon maître,
je suis à lui, où que je sois,
et je m’en remettrai à la décision de Gilles
pour savoir qui a pris le bon chemin
et qui a pris le mauvais.

Guillaume, vous connaîtrez toujours
folie et inquiétude :
qui fait ainsi sa cour
est bien misérable !
Je veux bien en croire Gilles,
mais je m’en remets à Jean.

(Guillaume Le Vinier)

Recueil: Poèmes d’amour des XIIé et XIIIè siècles
Traduction: Emmanuèle Baumgartner et Françoise Ferrand
Editions: Cahiers de Civilisation Médiévale Année 1986

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Il est des messages (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 13 avril 2024




    
Il est des messages dont le destin est la perte,
des mots antérieurs ou postérieurs à leur destinataire,
des images qui viennent de l’autre côté de la vision,
des signes qui pointent plus haut ou plus bas que leur cible,
des signaux sans code,
des messages enrobés dans d’autres messages,
des gestes qui butent contre la paroi,
un parfum qui régresse sans retrouver son origine,
une musique qui se déverse sur elle-même
comme un escargot définitivement abandonné.

Mais toute perte est le prétexte d’une rencontre.
Les messages perdus inventent toujours qui doit les trouver.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Sois présent dans l’absence (Mahmoud Darwich)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



absence

 

Chaque fois que l’absence t’a abandonné,
Tu t’es trouvé impliqué dans la solitude des dieux.
Sois donc « le dedans » errant de ton dehors
Et « le dehors » de ton dedans,
Sois présent dans l’absence.

(Mahmoud Darwich)

 

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IL DIT QUE TOUT IRA BIEN (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 3 mars 2024




    
IL DIT QUE TOUT IRA BIEN

Il dit : les bombes ont détruit ton école
Il dit : la nourriture disparaît, l’argent manque
Il dit : l’aide humanitaire dans les camions blancs est notre unique salut
Il dit : l’aide humanitaire vient de voler en éclats

Il n’y a plus d’école
Comment ça, plus d’école ?
Elle est vide, trouée ou il n’en reste plus rien ?
Qu’est devenue ma photo, accrochée au tableau d’honneur ?
Qu’est devenue ma maîtresse, qui faisait la classe ?

Il dit : ta photo ? qui a besoin de ta photo ?
Il dit : ton école a fondu, cet hiver est trop brûlant
Il dit : je n’ai pas vu ta maîtresse et ne me demande pas d’aller voir
Il dit : j’ai vu ta marraine, elle n’est plus de ce monde

Fuyez
Laissez tout tomber et fuyez
Abandonnez la maison, la cave et les confitures d’abricots
Les chrysanthèmes roses dans la véranda
Abattez les chiens, pour leur éviter de souffrir
Abandonnez cette terre, quittez-la

Il dit : arrête tes bêtises, tous les jours nous en jetons de la terre sur les cercueils
Il dit : tout ira bien, le salut est proche
Il dit : l’aide humanitaire est déjà en route

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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Délié des doigts de l’air (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024



Illustration: Zinovy Shersher
    
Délié des doigts de l’air l’élan
Le vase d’or d’un baiser

La gorge lourde et lente
Par mille gerbes balancée
Arrive aux fêtes de ses fleurs

Elle donne soif et faim

Son corps est un amoureux nu
Il s’échappe de ses yeux
Et la lumière noue la nuit la chair la terre
La lumière sans fond d’un corps abandonné
Et de deux yeux qui se répètent

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

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LA CRÉATURE (Jean Follain)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2024




    
LA CRÉATURE

Pain trempé dans le vin
aimé du taciturne
et qu’apporte
la créature
à délicats tendons
à courbes de lumière
vivante en cet espace
aux roues abandonnées
aux outils délabrés
où la matière
s’épuise et rêve.

(Jean Follain)

Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard

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À l’ombre des pins et des cyprès (Pan Qie Yu)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024




    
À l’ombre des pins et des cyprès

La sagesse reçue des Anciens
M’accorda une vie humaine.
Elle m’invita, pauvre créature, jusqu’au palais
À tenir un humble rang dans le quartier des femmes.
J’ai joui de la grâce profuse du saint souverain,
Recueillant la faveur radieuse du soleil et de la lune.
Les rais brûlants de l’astre pourpre posés sur moi,
Je reçus la haute bénédiction dans le pavillon de Zeng Shen.
Abandonnée à l’espoir de jours heureux,
Je délaçais mon souffle, éveillée comme endormie.
Mais les décrets du Ciel — qui pourra jamais les infléchir ?
Avant de les savoir, le soleil voilait sa lumière
Et me laissait déjà dans l’ombre du soir.
Je gardais la bonté du roi qui demeurait mon seul asile
Et mes fautes ne me conduisirent pas à l’exil.
J’ai servi l’impératrice douairière dans le palais d’Orient
Et pris ma place parmi les suivantes de la Confiance éternelle.
J’aidais à laver les rideaux, à balayer le sol souillé
Et ma tâche se poursuit ainsi jusqu’au terme mortel.
Alors mes os trouveront repos au pied de la colline.
Et l’ombre vacillante des pins et des cyprès couvrira ma tombe.

(Pan Qie Yu)

(Ier siècle av. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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CHANT DANS LA NUIT (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



    

CHANT DANS LA NUIT

Le genre humain souffre d’une triple maladie :
la naissance, la vie et la mort.
(Saint Bernard)

Trois peines sont autour de nous :
Naître, vivre, mourir au bout.

Trois misères ouvrent leur bec
Livide pour nous boire avec.

Trois heures attendent, trois nuits,
Pour jeter nos pieds dans leur puits,

Trois gouffres pour tomber dedans…
Pourtant j’ai dans le coeur, pourtant

J’ai dans le coeur un fol chemin
Pour nous enfuir du sort humain.

J’ai dans le coeur — et vous aussi —
Une aile pour sortir d’ici…

J’ai dans le coeur un grand Amour
Qui de la terre fait le tour;

Qui vole au monde, pleure et prend
Le mal du monde au loin souffrant,

Pour le porter entre mes bras
De femme comme mi enfant las;

Pour le porter si je pouvais
À l’abri, hors du temps mauvais;

Le porter pour passer le champ
Qui meurt du levant au couchant;

Le porter pour passer le soir
Sans bornes où crie un mal noir;

Le porter et trouver le pont
Pour passer le destin profond ;

Le porter en volant plus haut
Que le milan, que le gerfaut,

Plus large que l’aigle, plus fort,
Pour passer la Vie et la mort…

***

J’ai dans le coeur un grand Amour…
D’un homme à peine il fait le tour.

J’ai dans le coeur cet amour vain
Qui n’est pas plus grand que ma main.

Cet amour qui n’est long jamais
Aussi long que l’instant mauvais.

Court d’haleine, court d’horizon,
Un amour serré de maison

Qui n’a plus d’yeux pour s’alarmer
Dès que les volets sont fermés…

J’ai dans le coeur une Pitié,
Une servante de quartier

Qui part et va donner ses mains
Aux trois fardeaux de son prochain ;

Qui peine et ne peut faire rien
Que peiner, vaine, et s’en revient,

Les pieds stériles, sans avoir
Déchargé personne le soir…

J’ai dans le coeur ces quatre pas
D’un sentier qui n’arrive pas,

Qui vague dans le mal ardent
De son frère et se perd dedans,

Et l’abandonne à son besoin
Sans pouvoir le guérir plus loin,

Sans pouvoir, ô triste, ô Pitié,
Sauver un homme tout entier…

***

Trois peines sont autour de nous…
J’ai beau pleurer, saigner sur vous,

Gens de douleurs, j’ai beau courir
Pour vous arrêter de mourir,

J’ai beau vous appeler, les bras
Tout grands ouverts, je ne peux pas,

Ô vous tous Ah! — ils sont trop étroits —
Vous donner asile en ma croix,

Je ne peux pas — ils sont trop las,
Trop faibles — vous tirer d’en bas,

Je ne peux pas, gens de douleurs,
Vous soulever hors de malheur…

***

J’ai dans le coeur ce vain amour…
O vous qui périssez autour,

Si le chemin est dans mon coeur,
C’est que le pays est ailleurs;

L’Amour, en mon coeur d’un moment,
S’il souffle, ailleurs est né le vent.

L’Amour, en mon coeur de hasard,
S’il passe, il demeure autre part.

L’Amour que je loge à l’étroit,
Il habite un divin endroit,

Un lieu sans limites, sans murs,
Derrière tous les lieux obscurs.

Et je le vais au loin cherchant
Comme quelqu’un à travers champs,

Quelqu’un qui sera mon Amour
Chargé des pauvres d’alentour;

Quelqu’un qui sera ma Pitié
Qui saigne pour le monde entier;

Quelqu’un qui sera mon coeur gros
De cette terre sans repos ;

Quelqu’un qui sera mon coeur lourd
De cette foule sans secours,

Qui sera mon coeur, mais si grand
Que l’Homme s’y sauve en entrant.

Qui sera mon coeur, mais si fort
Qu’il prendra la Vie et la Mort

Comme deux ailes sur son dos…
Et voleront nos trois fardeaux !

Et voleront nos trois malheurs!
Et naîtront les gens de douleurs,

Et vivront, et mourront, gonflés
D’azur comme le grain de blé

Qui se perd en terre au printemps
Y meurt et pousse au ciel dedans.

….

Quelqu’un… Je crois en Lui, j’attends.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les chants de la Merci suivi de Chants des Quatre-Temps
Traduction:
Editions: Gallimard

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L’APPEL AMER D’UN SANGLOT (Joyce Mansour)

Posted by arbrealettres sur 9 janvier 2024



Joyce Mansour
    
L’APPEL AMER D’UN SANGLOT

L’appel amer d’un sanglot
Venez femmes aux seins fébriles
Écouter en silence le cri de la vipère
Et sonder avec moi le bas brouillard roux
Qui enfle soudain la voix de l’ami
La rivière est fraîche autour de son corps
Sa chemise flotte blanche comme la fin d’un discours
Dans l’air substantiel avare de coquillages
Inclinez-vous filles intempestives
Abandonnez vos pensées à capuchon
Vos sottes mouillures vos bottines rapides
Un remous s’est produit dans la végétation
Et l’homme s’est noyé dans la liqueur

(Joyce Mansour)

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