Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘brûlant’

Seuls (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




    
Seuls
si irrémédiablement seuls
et provisoires
comme bêtes hagardes
meuglant sous le soleil énorme
et cependant toujours brûlant
d’une ardeur très ancienne
lorsque nos mains s’émeuvent
au contact d’un autre épiderme
au point de ne plus reconnaître
le sillage douloureux
de leurs propres caresses et que
nous pénétrons dans la durée
interminable où nous nous consumons
sans plus laisser de trace qu’un baiser
déposé sur la surface vibrante
d’une vitre voilée de givre.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

JE SAIS (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
JE SAIS

Je sais
Le coeur qui bat trop fort
et le plaisir des dieux à embrasser
les corps des diables amoureux

L’irrésistible attrait du désir interdit
et les peaux affolées
dans les replis du lit

La sauvage emmêlée les appétits de fauve
l’appel et le rejet les secrets de l’alcôve

Les amants séparés
par la distance et par les heures
les secondes d’éternité crispées sur la douleur

Les impatiences extrêmes les rendez-vous manqués
les taxis qui se traînent quand le corps est pressé

Je sais le feu aux joues
les yeux de braise, les faims de loup
les baisers dans le cou le vent qui rend les amant fous

Je sais

Les aveux suspendus à la bouche cousue
l’incendie des nuits blanches la retenue qui flanche

La rivière des souhaits sous le pont des soupirs
et le poids d’un sourire sur l’arche des regrets

Je sais

Je sais le peu de gratitude
le poison de l’ennui le désert de la solitude
et le froid qui détruit

La passion dans l’impasse
le mot blessant qui chasse le mot doux
qui retient le regard qui s’éteint

les «je t’aime», «je te hais»
le mal, le bien que l’on s’est faits
sans même l’avoir jamais cherché je sais l’aube désabusée

Je sais les mots de braise aux lèvres qui se taisent
et la peur qui nous hante et mes larmes brûlantes

Les appels au secours les signaux de détresse
désespérant d’amour et le vide qui oppresse

Je sais
le geste déplacé
tous les actes manqués
les mots qui dépassent la pensée
et les regards estomaqués

L’innocence des beaux jours les promesses oubliées
les serments pour toujours perdus à tout jamais

Je sais le feu qui passe et le spleen qui revient
le bras qui nous enlace et l’angoisse qui étreint

Mais je sais

Je sais les chagrins qui s’envolent au retour du printemps
et les humeurs frivoles sous le souffle du vent

Les frissons du désir et le temps qui s’étire
comme un chat langoureux comme un homme amoureux

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 Comment »

LA VIE AURA MA PEAU (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
LA VIE AURA MA PEAU

La vie aura ma peau
ma peau d’enfant solitaire
écorchée aux coudes,
aux genoux dans les trous, les ornières

La vie aura ma peau
ma peau d’enfant héroïque
de rêveur épidermique
charmé par les yeux de ma mère

La vie aura ma peau
ma peau douce et frissonnante
ma peau ivre de jouissance
de baisers d’insouciance
Ma peau bronzée, ma peau claire
ma peau brûlée, ultra violée
par les radiations solaires

La vie aura ma peau
que je pensais avoir si dure
que j’exposais aux quatre vents
à la froidure comme au brûlant
La vie aura ma peau
parfumée d’ambre solaire
cernée d’ombre et de lumière
par vent glacé, par vent chaud

La vie aura ma peau
et que le Diable l’emporte
depuis le temps qu’elle me supporte
elle ne me fera pas de cadeau
Ma chair et tout le reste les os de mon squelette
finiront en poussière en paradis
ou en enfer cramé ou six pieds sous terre
Quand mon âme déchargée du poids de sa violence
aura repris le cours de sa divine errance
dans ce ballet d’atomes où rêve l’éternité

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE TIGRE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



Illustration: William Blake
    
LE TIGRE

Tigre, tigre, brûlant éclair
Dans les forêts de la nuit ;
Quel oeil, quelle main immortelle
A pu ordonner ta terrifiante symétrie ?

Dans quelles profondeurs lointaines, dans quels cieux
Brûlait le feu de tes yeux ?
Sur quelles ailes ose-t-il se dresser ?
Quelle main osa saisir ce feu ?

Et quelle épaule et quel art
Put tordre les muscles de ton coeur ?
Et quand ton coeur commença à battre,
Quelle terrible main, quels terribles pieds ?

Quel fut le marteau, quelle fut la chaîne ?
Dans quelle fournaise était ta cervelle ?
Quelle fut l’enclume ? Quel terrible pouvoir
Osa en étouffer les mortelles terreurs ?

Quand les étoiles jetèrent leurs lances
Et abreuvèrent le ciel de leurs armes,
Sourit-il en contemplant son oeuvre ?
Celui qui créa l’agneau te créa-t-il ?

Tigre, tigre, brûlant éclair
Dans les forêts de la nuit,
Quel oeil, quelle immortelle main
Osa ordonner ta terrifiante symétrie ?

***

The Tyger

Tyger Tyger, burning bright,
In the forests of the night;
What immortal hand or eye,
Could frame thy fearful symmetry?

In what distant deeps or skies.
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand, dare seize the fire?

And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat.
What dread hand? & what dread feet?

What the hammer? what the chain,
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp.
Dare its deadly terrors clasp?

When the stars threw down their spears
And water’d heaven with their tears:
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?

Tyger Tyger burning bright,
In the forests of the night:
What immortal hand or eye,
Dare frame thy fearful symmetry?

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

IL DIT QUE TOUT IRA BIEN (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 3 mars 2024




    
IL DIT QUE TOUT IRA BIEN

Il dit : les bombes ont détruit ton école
Il dit : la nourriture disparaît, l’argent manque
Il dit : l’aide humanitaire dans les camions blancs est notre unique salut
Il dit : l’aide humanitaire vient de voler en éclats

Il n’y a plus d’école
Comment ça, plus d’école ?
Elle est vide, trouée ou il n’en reste plus rien ?
Qu’est devenue ma photo, accrochée au tableau d’honneur ?
Qu’est devenue ma maîtresse, qui faisait la classe ?

Il dit : ta photo ? qui a besoin de ta photo ?
Il dit : ton école a fondu, cet hiver est trop brûlant
Il dit : je n’ai pas vu ta maîtresse et ne me demande pas d’aller voir
Il dit : j’ai vu ta marraine, elle n’est plus de ce monde

Fuyez
Laissez tout tomber et fuyez
Abandonnez la maison, la cave et les confitures d’abricots
Les chrysanthèmes roses dans la véranda
Abattez les chiens, pour leur éviter de souffrir
Abandonnez cette terre, quittez-la

Il dit : arrête tes bêtises, tous les jours nous en jetons de la terre sur les cercueils
Il dit : tout ira bien, le salut est proche
Il dit : l’aide humanitaire est déjà en route

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

DÉCOMPOSITION (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 2 mars 2024




    
DÉCOMPOSITION

À l’est rien de nouveau
pour combien encore rien de nouveau
Le métal devant la mort devient brûlant
Alors que de lui les gens deviennent glacés
Ne me parlez pas d’un certain Louhansk
Depuis longtemps n’en reste que hansk
Lou rasé sur l’asphalte rouge
Mes amis maintenus en otage —
Et do nestk a tourné son dos
Je ne peux les libérer du sous-sol, au-dessus du sol du dessous du sol
Et vous composez des vers, ouvragés comme des chemises brodées
Vous composez des vers sans aucune aspérité
De la haute poésie d’or
Dans la guerre n’advient pas la poésie
La guerre n’est que décomposition
N’est que lettres
Et toutes font — rrr

Pervomaïsk a été atomisé en pervo et maïsk
Souffrant le martyre dans un éternel recommencement
La guerre y est de nouveau terminée
Sans que la paix éclose pour autant
De baltsevo ?
Dé-terrer mon baltsevo ? Sossioura n’y naîtra plus,
Plus rien d’humain n’y naît plus

Je scrute l’horizon
Réduit à un triangle étranglé
Dans les champs les tournesols ont baissé leur tête
Ils sont devenus noirs et secs, et moi
Je suis déjà une vieille baba
Je ne pourrai jamais plus être Luba
Ne reste que ba

***

 

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin)
Editions: des femmes

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

L’OR ET L’EAU FROIDE (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024



Illustration: Wendy Anziska
    
L’OR ET L’EAU FROIDE

Sous les bandeaux des bras des lèvres
Reste immobile vérité
Racines sources sont amies.
Les couleurs vives des baisers
Te fermeront les yeux franchise.

*

Solitude beau miel absent
Solitude beau miel amer
Solitude trésor brûlant.

*

Soûlé lassé dépris défait
L’homme retourne au fond du puits

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Je tente de dire (Christiane Singer)

Posted by arbrealettres sur 10 février 2024



Illustration: Jacques Muller
    
je tente de dire ce qui rendra enfin les mots inutiles,
ce qui est là, tapi sous les choses et sous les mots,
ruisselant d’intensité, brûlant,
l’indicible,
la Présence.

(Christiane Singer)

Recueil: Du bon usage des crises
Editions: Albin Michel

Posted in méditations | Tagué: , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

À l’ombre des pins et des cyprès (Pan Qie Yu)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024




    
À l’ombre des pins et des cyprès

La sagesse reçue des Anciens
M’accorda une vie humaine.
Elle m’invita, pauvre créature, jusqu’au palais
À tenir un humble rang dans le quartier des femmes.
J’ai joui de la grâce profuse du saint souverain,
Recueillant la faveur radieuse du soleil et de la lune.
Les rais brûlants de l’astre pourpre posés sur moi,
Je reçus la haute bénédiction dans le pavillon de Zeng Shen.
Abandonnée à l’espoir de jours heureux,
Je délaçais mon souffle, éveillée comme endormie.
Mais les décrets du Ciel — qui pourra jamais les infléchir ?
Avant de les savoir, le soleil voilait sa lumière
Et me laissait déjà dans l’ombre du soir.
Je gardais la bonté du roi qui demeurait mon seul asile
Et mes fautes ne me conduisirent pas à l’exil.
J’ai servi l’impératrice douairière dans le palais d’Orient
Et pris ma place parmi les suivantes de la Confiance éternelle.
J’aidais à laver les rideaux, à balayer le sol souillé
Et ma tâche se poursuit ainsi jusqu’au terme mortel.
Alors mes os trouveront repos au pied de la colline.
Et l’ombre vacillante des pins et des cyprès couvrira ma tombe.

(Pan Qie Yu)

(Ier siècle av. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Les nuages limpides (Pier Paolo Pasolini)

Posted by arbrealettres sur 20 janvier 2024



Illustration: Piet Mondrian Mondrian
    
Les nuages limpides s’abîment
au fond des mares brûlantes d’azur
et les branches se perdent dans le soleil.
Voici le temps de mes rires, de mes larmes,
voici le temps de la grâce attendue,
voici le temps du bonheur,
voici le temps de mes errances par les champs,
voici le temps où je regarde les cieux…
(aurais-je crié? L’écho ne s’arrêterait pas ?
et mon cri approcherait
les nuages ? Je ne peux étouffer
ma joie ingénue, retenue)

***

Le nuvole si sprofondano lucide
dentro le pozze roventi d’azzurro
e i rami si perdono nel sole.
Questo è il tempo in cui rido, in cui piango,
questo è il tempo in cui attendo la grazia,
questo è il tempo in cui sono felice,
questo è il tempo in cui vago pei campi,
questo è il tempo in cui guardo i cieli…
( Io ho gridato? E non si spegne l’eco?
e il mio grido non è più lontano
delle nubi? Non potevo soffocare
la mia gioia ingenua, intrattenuta?)

(Pier Paolo Pasolini)

 

Recueil: Je suis vivant
Traduction: Olivier Apert et Ivan Messac
Editions: NOUS

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »