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Posts Tagged ‘nourriture’

IL DIT QUE TOUT IRA BIEN (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 3 mars 2024




    
IL DIT QUE TOUT IRA BIEN

Il dit : les bombes ont détruit ton école
Il dit : la nourriture disparaît, l’argent manque
Il dit : l’aide humanitaire dans les camions blancs est notre unique salut
Il dit : l’aide humanitaire vient de voler en éclats

Il n’y a plus d’école
Comment ça, plus d’école ?
Elle est vide, trouée ou il n’en reste plus rien ?
Qu’est devenue ma photo, accrochée au tableau d’honneur ?
Qu’est devenue ma maîtresse, qui faisait la classe ?

Il dit : ta photo ? qui a besoin de ta photo ?
Il dit : ton école a fondu, cet hiver est trop brûlant
Il dit : je n’ai pas vu ta maîtresse et ne me demande pas d’aller voir
Il dit : j’ai vu ta marraine, elle n’est plus de ce monde

Fuyez
Laissez tout tomber et fuyez
Abandonnez la maison, la cave et les confitures d’abricots
Les chrysanthèmes roses dans la véranda
Abattez les chiens, pour leur éviter de souffrir
Abandonnez cette terre, quittez-la

Il dit : arrête tes bêtises, tous les jours nous en jetons de la terre sur les cercueils
Il dit : tout ira bien, le salut est proche
Il dit : l’aide humanitaire est déjà en route

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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CRAVATE NOIRE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024



Illustration
    
CRAVATE NOIRE

[…]

Écris que je pleure à cause des mères.
De mes mères plus anciennes.
Des fines et belles
amantes aux fenêtres,
que le mort a surprises inabouties
et qui traînent leurs journées, maternelles
sur les photographies d’un salon
et les broderies.

Je pleure à cause des lumières qui s’allument
et de dimanche ce chat pelotonné
à ma fenêtre.
La peur met ses beaux habits
et attend.
Écris.
Que je pleure à cause des cyclones,
du peu de nourriture,
de tous les Peu,
des séismes
qui ne préviennent pas.

Je pleure car elle est venue en vain,
la nouvelle qu’hier tu as vu
le premier papillon.
je pleure car l’éphémère n’est pas une nouvelle.

Écris. Je pleure
car le hasard s’est enfermé chez lui,
le sursis est arrivé au bourreau,
la gourde est arrivée au désert,
la Jeunesse est arrivée à la photo.
Je pleure car qui sait qui fermera
les yeux de mes jours.

Arrose toi-même la plante
et laisse-moi pleurer car…

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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La lumière creuse les masques sans un cri (Frankétienne)

Posted by arbrealettres sur 20 février 2024




    
La lumière creuse les masques sans un cri.
Douleur plus durable que le feu,
ma discordante déchirante.

La nuit s’infléchit vers les blessures
qui saignent entre la muraille à effacer
et le regard à supprimer.

Des chrysalides bougent lentement sur un chemin boiteux
raturant les nourritures archaïques
sous les chuchotements imperceptibles d’une aube lointaine.

Gardons l’oeil en éveil
à travers le balbutiement des lucioles de solitude.
Vivre/survivre dans la jungle à la terreur des chimères.

Faute de lumière, apprenons à mûrir
en suçant le miel occulte des ténèbres.
Les feux du désir peu à peu mangent la nuit.

(Frankétienne)

Recueil: Anthologie secrète
Editions: Mémoire d’encrier

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Tant va l’espoir (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 26 janvier 2024



Illustration: Karl Scherer
    
Tant va l’espoir
vers les cheminées sans feu
les terres sans source
les tables sans nourriture
les morts sans rien

Tant va l’espoir
par ses raisons de ne pas être
vers les raisons de se vouloir
qu’il est plus fort que la raison

Il crée
l’étincelle
la goutte d’eau
la miette de pain
Dieu

(Robert Mallet)

 

Recueil: Cette plume qui tournoie
Editions: Gallimard

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Union dans la nature (Jean-Baptiste Besnard)

Posted by arbrealettres sur 14 décembre 2023



Union dans la nature

Le vent se glisse dans tes cheveux
Qui conservent leur ordonnance
Le temps coule entre tes doigts
Sans les dessécher

Nous sommes notre propre nourriture
Nos corps se cherchent
Et il suffit que nos mains se joignent
Pour partager la pluie et le soleil
Et découvrir le plaisir

Nous allons au pied des grands arbres
Voir s’agiter les feuillages
Et tandis que la nuit nous unit
Ta voix apprivoise mes rêves
Et l’ombre de ta bouche se fait chair.

(Jean-Baptiste Besnard)


Illustration: Gaëlle Boissonnard

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MON FEU (Anne-Marie Kegels)

Posted by arbrealettres sur 8 décembre 2023



MON FEU

Ne me demandez pas les flammes les plus hautes.
Le feu que j’ai choisi demeurera caché.

Ne me demandez pas les tumultes, les sautes,
Du vent tourbillonnant au-dessus du bûcher.
Le feu que j’ai choisi s’enclôt dans une braise.
Il gîte au ras du sol, y scelle son baiser.
Il ignore les jeux crépitants des fournaises.
Vous ne le verrez pas de loin quand vous passez.
Il faut vous approcher de sa lumière sourde
Et doucement penché connaître son odeur
De forêt calcinée où les lierres s’accoudent.
Mon feu gémit sans fin d’un étrange bonheur.
Passez. Ne cherchez pas quelle est sa nourriture.
Il vit d’ombre, d’un cri, d’un long consentement.
Chaque nuit vient rôder à l’entour de ses flancs.
Et le ciel attentif souffle sur sa brûlure.

(Anne-Marie Kegels)

 

 

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PRIÈRE (Anne Perrier)

Posted by arbrealettres sur 10 Mai 2023



Illustration: Nadav Kander
    
PRIÈRE

Qu’on me laisse partir à présent
Je pèserais si peu sur les eaux
J’emporterais si peu de chose
Quelques visages le ciel d’été
Une rose ouverte

La rivière est si fraîche
La plaie si brûlante
Qu’on me laisse partir à l’heure incandescente
Quand les bêtes furtives
Gagnent l’ombre des granges
Quand la quenouille
Du jour se fait lente

Je m’étendrais doucement sur les eaux
J’écouterais tomber au fond
Ma tristesse comme une pierre
Tandis que le vent dans les saules
Suspendrait mon chant

Passants ne me retenez pas
plaignez-moi
Car la terre n’a plus de place
pour l’étrange Ophélie
On a scellé sa voix on a brisé le vase
De sa raison

Le monde m’assassine et cependant
Pourquoi faut-il que le jour soit si pur
L’oiseau si transparent
Et que les fleurs
S’ouvrent à chaque aurore plus candides
Ô beauté
Faisons l’adieu rapide

Par la rivière par le fleuve
Qu’on me laisse à présent partir
La mer est proche je respire
Déjà le sel ardent
Des grandes profondeurs
Les yeux ouverts je descendrais au cœur
De la nuit tranquille
Je glisserais entre les arbres de corail
Écartant les amphores bleues
Frôlant la joue
Enfantine des fusaïoles
Car c’est là qu’ils demeurent
Les morts bien-aimés
Leur nourriture c’est le silence la paix
Ils sont amis
Des poissons lumineux des étoiles
Marines ils passent
Doucement d’un siècle à l’autre ils parlent
De Dieu sans fin
Ils sont heureux

Ô ma mémoire brise-toi
Avant d’aller troubler le fond
De l’éternité
Ainsi parle Ophélie
Dans le jardin désert
Et puis se tait toute douleur
La rivière scintille et fuit
Sous les feuilles
Le vent seul
Porte sa plainte vers la mer

(Anne Perrier)

Recueil: Anthologie de la poésie française du XXè siècle
Editions: Gallimard

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Nous, oiseaux en ce monde (Derviches anatoliens)

Posted by arbrealettres sur 4 avril 2023




    
Nous, oiseaux en ce monde,
volant de tous côtés,
nous passons

Mangeant les nourritures de Dieu,
buvant ses eaux,
nous passons

Sur notre route il y a un piège
qu’on appelle la mort

Aucune peur nous n’en avons,
ouvrant nos ailes
nous passons

(Derviches anatoliens)

Recueil: Poèmes des derviches anatoliens
Traduction: Guzine Dino,Michèle Aquien,Pierre Chuvin
Editions: Fata Morgana

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On ne doit plus peindre d’intérieurs (Edvard Munch)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2023



Illustration: Edvard Munch
    
On ne doit plus peindre
d’intérieurs, de gens qui lisent
et de femmes qui tricotent
Ce doit être des personnes
vivantes qui respirent et
s’émeuvent, souffrent et aiment –
Je vais peindre une série
de tableaux de ce genre
Les gens en comprendront
la dimension sacrée
et ils enlèveront leur chapeau
comme à l’église

*

Mieux vaut peindre
un bon tableau inachevé
qu’un mauvais achevé –
Beaucoup croient
qu’un tableau est achevé
quand ils y ont mis
le plus de détails possible
Un trait peut être
une oeuvre d’art achevée
Ce que l’on peint doit
l’être avec volonté
et sentiment – Cela n’aide
en rien de l’exécuter
si c’est pour y mettre
des choses involontaires
et non ressenties

*

L’art est le contraire
de la nature. Une oeuvre
d’art ne peut surgir que
de l’intérieur de l’être humain.
— L’art est la forme que prend
l’image une fois passée
à travers les nerfs de l’être
humain — son coeur —
son cerveau — son oeil.
— L’art correspond chez
l’homme à son besoin
de cristallisation.
La nature est le royaume
éternellement vaste d’où
l’art tire sa nourriture.

(Edvard Munch)

Recueil: Mots de Munch
Traduction: Hélène Hervieu
Editions: de la réunion des grands musées nationaux – Grand Palais

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Trousse de réparation du karma (Richard Brautigan)

Posted by arbrealettres sur 30 décembre 2022




    
Trousse de réparation du karma:
Articles 1 à 4
1. Se procurer assez de nourriture à manger,
et la manger.
2. Trouver un coin tranquille où dormir,
et y dormir.
3. Réduire l’activité intellectuelle et le bruit émotionnel
jusqu’à faire le silence en soi,
et l’écouter.

4.

***

Karma Repair Kit:
Items 1-4
1. Get enough food to eat,
and eat it.
2. Find a place to sleep where it is quiet,
and sleep there.
3. Reduce intellectual activity and emotional noise
until you arrive at the silence of yourself,
and listen to it.

4.

(Richard Brautigan)

 

Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral

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