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Lorsque l’été et la douce saison (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
Lorsque l’été et la douce saison
Font feuille et fleur et les prés reverdir,
Et le doux chant des menus oisillons
Fait à plusieurs de joie se souvenir,
Las ! chacun chante, et je pleure et soupire,
Et si n’est pas droiture ni raison,
C’est du moins toute mon intention,
Dame, de vous honorer et servir.

Si j’avais le bon-sens qu’eut Salomon,
Amour me ferait bien pour fol tenir ;
Car tant est forte et cruelle sa prison
Qu’elle me fait essayer et sentir.
Ne me veut à son service retenir
Ni m’enseigner quelle est ma guérison ;
Pourtant j’ai aimé longuement en perte
Et aimerai toujours sans repentir.

Moult m’émerveille pour quelle raison
Elle me fait si longuement languir.
Je sais fort bien qu’elle croit les félons,
Les médisants que Dieu puisse maudire.
Toute leur peine ont mise à me trahir ;
Mais ne leur vaut leur mortelle trahison,
Quand sauront quelle sera ma récompense,
Dame, que j’aime, à qui ne sait mentir…

Si vous daignez ma prière écouter,
Douce Dame, je vous prie et demande
Que vous pensiez à me récompenser :
Ne penserai qu’à bien servir tout temps.
Tous les maux que j’ai me seront néant,
Douce Dame, si me voulez aimer.
En peu de temps pouvez récompenser
Les biens d’amour que j’ai attendus tant.

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil: Troubadours et trouvères
Traduction: France Igly
Editions: Pierre Seghers

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Quitte ou double (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 20 avril 2024




    
Quitte ou double

Nous sommes tous amoureux.
Seuls certains d’entre nous sont éveillés.

*

L’amour est une parenthèse ouverte.

*

Je sais que tu me rends heureuse
car ma tristesse ne te reconnaît pas.

*

Elle était si belle qu’elle m’a fait douter :
Allais-je l’aimer de l’extérieur
ou m’aimer de l’intérieur ?

*

Je l’aimais avec l’éternité que concède
la brièveté d’un moment inoubliable.

*
Elle m’a demandé de lui écrire
un poème d’amour.
J’ai dessiné un oiseau
Et elle est partie.

*

Je suis aussi faible et aussi forte
qu’une fleur au milieu d’un champ en ruine.

*

Je t’aime jusqu’à ce que tu me prouves le contraire.

*

Il est des moments où la vie te place à égale distance
de l’envie de fuir ou de rester pour toujours.

*

La paix, ce n’est pas l’absence de bruits,
mais les écouter et les changer en silence.

*

Écrire est une affaire de lâches ;
l’amour est pur courage.
Les deux ensemble, poésie.

*

Deux personnes qui s’oublient
s’aiment juste différemment.
L’oubli arrive avec la solitude,
quand un n’est plus qu’un
et qu’il n’y a pas de place pour un autre.

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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Il m’est absolument impossible (Anne Frank)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024



Anne Frank 
    

Il m’est absolument impossible
de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion,
je vois comment le monde se transforme lentement en un désert,
j’entends plus fort, toujours plus fort,
le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi,

je ressens la souffrance de millions de personnes
et pourtant, quand je regarde le ciel,
je pense que tout finira par s’arranger,
que cette brutalité aura une fin,
que le calme et la paix
reviendront régner sur le monde.

En attendant, je dois garder mes pensées à l’abri,
qui sait, peut-être trouveront-elles une application dans les temps à venir!

(15 juillet 1944)
(Anne Frank)

Journal,
traduit de l’allemand par Tylia Caren et Suzanne Lombard, Calmann-Lévy, 1950.

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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JETER DES PIERRES (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024



    
JETER DES PIERRES

L’eau avale cailloux avec des gloups amers.
Et tombe en son gosier, régulier et métrique,
Un collier de diamants qu’elle, aussitôt, digère
Pour le régurgiter en serpents concentriques.

L’enfant sempiternel, aux recommencements
De l’onde dans l’eau, fort et impuissant assiste.
De quel droit déranger cet ordonnancement
Du cours d’eau? Allégeance aux choses qui existent!

Passent anneaux, années, mois, semaines, pourquoi
Demeure dans son coeur l’étreinte d’un boa?
Maintenant il se dit que remarquer est trop,

Que noter quelque chose est perturber un centre,
Que même apercevoir est un acte trop gros
De ce qu’il trouble tout de ce dans quoi il entre.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

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JE SAIS (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
JE SAIS

Je sais
Le coeur qui bat trop fort
et le plaisir des dieux à embrasser
les corps des diables amoureux

L’irrésistible attrait du désir interdit
et les peaux affolées
dans les replis du lit

La sauvage emmêlée les appétits de fauve
l’appel et le rejet les secrets de l’alcôve

Les amants séparés
par la distance et par les heures
les secondes d’éternité crispées sur la douleur

Les impatiences extrêmes les rendez-vous manqués
les taxis qui se traînent quand le corps est pressé

Je sais le feu aux joues
les yeux de braise, les faims de loup
les baisers dans le cou le vent qui rend les amant fous

Je sais

Les aveux suspendus à la bouche cousue
l’incendie des nuits blanches la retenue qui flanche

La rivière des souhaits sous le pont des soupirs
et le poids d’un sourire sur l’arche des regrets

Je sais

Je sais le peu de gratitude
le poison de l’ennui le désert de la solitude
et le froid qui détruit

La passion dans l’impasse
le mot blessant qui chasse le mot doux
qui retient le regard qui s’éteint

les «je t’aime», «je te hais»
le mal, le bien que l’on s’est faits
sans même l’avoir jamais cherché je sais l’aube désabusée

Je sais les mots de braise aux lèvres qui se taisent
et la peur qui nous hante et mes larmes brûlantes

Les appels au secours les signaux de détresse
désespérant d’amour et le vide qui oppresse

Je sais
le geste déplacé
tous les actes manqués
les mots qui dépassent la pensée
et les regards estomaqués

L’innocence des beaux jours les promesses oubliées
les serments pour toujours perdus à tout jamais

Je sais le feu qui passe et le spleen qui revient
le bras qui nous enlace et l’angoisse qui étreint

Mais je sais

Je sais les chagrins qui s’envolent au retour du printemps
et les humeurs frivoles sous le souffle du vent

Les frissons du désir et le temps qui s’étire
comme un chat langoureux comme un homme amoureux

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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RIEN QUE (Ludovic Janvier)

Posted by arbrealettres sur 5 mars 2024



Illustration: Lucie Llong
    
RIEN QUE

Rien que le goût d’habiter nus
dans la maison légère de l’odeur

Rien que deux folies au secret
faisant crier la douceur de la greffe

Rien que ce goût de sel aux bouches
deux chairs cognées par un seul bruit de coeur

Rien que mordre à l’un mordre à l’autre
forts de l’instant qui va jusqu’à nos pieds

Rien que boire à l’un boire à l’autre
l’ombre est dedans on y ferme les yeux

Respirer rien que respirer
en voyageant par le calme du lit

(Ludovic Janvier)

Recueil: La mer à boire
Editions: Gallimard

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L’enfant est couché (Hubert Haddad)

Posted by arbrealettres sur 2 mars 2024




Illustration: Susan Dorothea White
    
L’enfant est couché
tout le monde chuchote
de plus en plus fort

(Hubert Haddad)

Recueil: Les Haïkus du peintre d’éventail
Editions: Zulma

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Avec la famille (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2024




    
Avec la famille on partage la table et tombes
Avec l’ennemi ; seulement les tombes
Que vienne à moi un tel prétendant
Partager avec moi une tombe
Me dire :
Je suis plus grand que toi
Je suis plus dur que toi
Je suis plus fort que toi

Couteau après couteau
plante dans le ventre et plus bas
Lame contre lame
Sa pression est plus pressante

Mais
Il est plus petit que nous
Il est plus faible que nous
Car de lame, il n’a qu’une seule
Et nous sur la table, beaucoup

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des Femmes

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Amour est lumière (Micheline Sainte-Marie)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
Amour est lumière qui traverse
l’écorce la vapeur l’angle et le masque
sa lueur nous atteint
ainsi le crépuscule dans sa plus forte promesse

(Micheline Sainte-Marie)

Recueil: Les Poèmes de la Sommeillante
Editions: Les herbes rouges

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APPEL CHAMPÊTRE (Jean Follain)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2024




    

APPEL CHAMPÊTRE

Un morceau de pain
couvert de raisiné sombre
est le goûter du garçon assis
sur un mur d’éclatante argile
et ses pieds pendants sont chaussés
de brodequins cloutés de fer;
lorsqu’on l’appelle de loin
il ne répond pas aussitôt
la même voix
clamant alors plus fort son nom
à l’unique syllabe brève
trouble à peine le calme des îles.

(Jean Follain)

Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard

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