La fatigue a des couleurs
comme les saisons. Elle a
ses douceurs et ses éclats,
ses silences. Mais surtout
ce qu’elle permet de voir :
d’une chose à son image,
imperceptible, une sorte
de distance sans distance.
L’incertitude du monde.
Comme un vacillement bref.
C’est, quand tombe la lumière,
une sorte de césure
qui fait que plus rien ne bouge.
Dans chaque chose, un éclat
qui brûle. Comme ce qui,
dans la phrase, vibre plus
que les mots et les traverse
vers ce qu’ils ne disent pas.
C’est une attente, on dirait,
mais rien ne vient. Ne s’en va.
Comprendre est vain, revenez à la vérité et les soucis se vident,
Les hommes, ordinaires ou sages, sont comme grains de sable.
S’égarer c’est être un papillon de nuit qui se jette sur la flamme,
Comprendre c’est partir comme la grue libérée de sa cage.
Un même croissant de lune se reflète sur mille cours d’eau,
Le bruit d’un seul pin diffère au gré du vent des saisons.
Collez à votre coeur, collez à sa nature,
Arrêtez les efforts qui nous font vivre un rêve.
(Sengrun)
Recueil: Poèmes Chan
Traduction: du chinois par Jacques Pimpaneau
Editions: Philippe Picquier
Je suis assis seul, souvent perturbé,
Mes sentiments en proie sans cesse à l’anxiété.
Des nuages ont ceinturé la pente des montagnes,
A l’entrée des vallées, le vent gronde et rugit…
Des singes dans les arbres en font frémir les branches,
Des oiseaux dans la forêt font entendre leur chant.
Les saisons sont pressantes, mes cheveux blancs s’envolent,
Mes années épuisées, je suis vieux, sans espoir.
***
Seul je suis allongé sous les monts étagés,
Les nuages vaporeux pendant le jour persistent.
Quand je suis au tréfonds de ma cellule obscure,
Dans mon coeur se taisent les cris et clameurs.
Je pars en rêve errer dans des palais dorés,
Puis mon âme revient, franchit le pont de pierre.
J’ai enfin écarté tout ce qui m’assaillait
Et je laisse ma gourde clabauder contre un arbre.
(Hanshan)
Recueil: Poèmes Chan
Traduction: du chinois par Jacques Pimpaneau
Editions: Philippe Picquier
Belle à charmer les miroirs,
Belle à vivre, belle à voir,
Belle comme on n’est plus belle,
Mon amour,
De quel pays me viens-tu,
Belle, longue, lisse et nue,
Mon amour …
Je t’attendais … En rêvant
J’écoutais la voix du vent
Qui me disait « Qu’elle est belle ! »
Mon amour
Et soudain tu m’es venue
Belle, longue, lisse et nue,
Mon amour
Te voici dans ma maison,
Ma belle, ma déraison,
Toi, ma saison la plus belle,
Mon amour,
Et tu danses dans ma rue
Belle, longue, lisse et nue,
Mon amour …
Cest au creux de tes miroirs
Belle à vivre, belle à voir,
Belle comme on n’est plus belle,
Mon amour
Que tu fuiras, éperdue,
Belle. longue, lisse et nue,
Mon amour …
Au fond de tes yeux profonds
Tes miroirs te mangeront,
Pour eux tu étais trop belle
Mon amour
Toi. mes roses disparues,
Belle. longue, lisse et nue,
Mon amour …
(Pierre Seghers)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Ce que j’aime au printemps, je te veux dire, Mesme ;
J’aime à fleurer la rose, et l’oeillet, et le thym,
J’aime à faire des vers, et me lever matin
Pour, au chant des oiseaux, chanter celle que j’aime.
En été, dans un val, quand le chaud est extrême
J’aime à baiser sa bouche et toucher son tétin
Et sans faire autre effet, faire un petit festin
Non de chair, mais de fruit, de fraises et de cresme.
Quand l’automne s’approche et le froid vient vers nous
J’aime avec la chastaigne avoir de bon vin doux
Et assis près du feu, faire une chère lye.
En hiver, je ne puis sortir de la maison,
Si n’est au soir, masqué ; mais, en cette saison,
J’aime fort à coucher dans les bras de ma mie.
(Olivier de Magny)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
En quarante-deux, il s’en est allé…
Si je vous le dis, si je le raconte,
c’est que la lune danse dans les blés…
Mon coeur est en fer, son coeur est en fonte.
Il ne m’écrivit que quelques vieux mots, je
me souviens bien, je pleurai mes larmes…
— Nous avons bien froid, nous n’avons pas d’armes
— Ecoutez ce vent dans tous ces rameaux.
— Nous nous marierons la saison prochaine,
quand il fera chaud, quand il fera doux — Il
n’avait pas peur des vents et des loups. Mon
coeur est en lin, mon coeur est en laine.
Les vieux regardaient chaque jour le ciel
et puis il neigeait des neiges, la neige
et je me disais : Que Dieu le protège !
Mon coeur est en sang, mon coeur est de miel.
On dit qu’il est mort, on dit tant de choses…
Après un hiver revient le printemps.
Ecoutez ces cris qui sont dans les vents par
les nuits venues et les portes closes.
Ils me l’ont volé, ils m’ont pris ses mains,
ils m’ont pris ses yeux, je ne peux pas dire… Ils
m’ont pris sa chair, sa bouche et son rire mais
j’attends ses pas sur tous les chemins.
(Pierre Gamarra)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Une petite fille bien sage
l’a apporté dans un panier
avec le pain et le fromage;
il n’est ni trop froid ni trop chaud
il est tout juste comme il faut.
Les hommes et les femmes sont assis en rond,
chacun sa tasse à la main; ils parlent
du temps qu’il fait, de la moisson
qui va venir, et des ouvrages
qui changent selon les saisons,
mais sont toujours aussi pressants,
si bien qu’on n’a jamais le temps…
Le temps de quoi?… on se demande.
Un oiseau bouge dans les branches, les
sauterelles craquent dans le foin…
Oui, le temps de quoi?… Et on se regarde.
Mais, dès qu’on a vidé sa tasse, dès
qu’on a mangé à sa faim: «Est-ce
qu’on y va?… » Vous voyez bien: on
n’a jamais le temps de rien.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
Nous sommes allongés
Sur l´herbe de l´été.
Il est tard.
On entend chanter
Des amoureux et des oiseaux.
On entend chuchoter
Le vent dans la campagne.
On entend chanter la montagne.
J´ai ta main dans ma main.
Je joue avec tes doigts.
J´ai mes yeux dans tes yeux
Et partout, l´on ne voit
Que la nuit, belle nuit, que le ciel merveilleux,
Tout fleuri, palpitant, tendre et mystérieux.
Viens plus près, mon amour,
Ton cœur contre mon cœur
Et dis-moi qu´il n´est pas de plus charmant bonheur
Que ces yeux dans le ciel, que ce ciel dans tes yeux,
Que ta main qui joue avec ma main.
Je ne te connais pas.
Tu ne sais rien de moi.
Nous ne sommes que deux vagabonds,
Fille des bois, mauvais garçon.
Ta robe est déchirée.
Je n´ai plus de maison.
Je n´ai plus que la belle saison
Et ta main dans ma main
Qui joue avec mes doigts.
J´ai mes yeux dans tes yeux
Et partout, l´on ne voit
Que la nuit, belle nuit, que le ciel merveilleux,
Tout fleuri, palpitant, tendre et mystérieux.
Viens plus près, mon amour,
Ton cœur contre mon cœur
Et dis-moi qu´il n´est pas de plus charmant bonheur.
On oublie l´aventure et la route et demain
Mais qu´importe puisque j´ai ta main.
Mais qu´importe puisque j´ai ta main.
Mais qu´importe puisque j´ai ta main.
Blancs réveils de la nuit
Beaux cygnes sur l’eau douce
Vols, calmes éclairs,
et souffle dans les arbres,
est-ce déjà
les premiers corps du paradis ?
Ah ! qu’une voix
qu’un visage apparaisse
dans ce buisson de flammes blanches
et dise le mot qui dira tout :
dira que le printemps
n’est plus une saison,
que plus ne quittera
nos yeux vaincus
le beau regard des fleurs.