Il me fait entendre
quand il danse avec moi…
des mots…
qui ne ressemblent pas à des mots
il me saisit
par le bras
me plante
dans l’un des nuages
et dans mes yeux
tombe la pluie noire
averse …
averse
il m’emporte avec lui…
il m’emporte
vers un soir de balcons roses
et moi comme une enfant dans ses mains
comme une plume… portée par la brise
il apporte pour moi…
sept lunes dans ses mains
et un bouquet de chansons
il m’offre un soleil.
Il m’offre…
un été…
un troupeau d’hirondelles…
il m’informe…
que je suis sa merveille
que je vaux…
des milliers d’étoiles
que je suis un trésor…
et que je suis…
le tableau le plus beau qu’il ait jamais vu
il raconte…
des choses qui me font tourner la tête
me font oublier le tintamarre de la musique
me font oublier…
la piste…
et les pas
des mots
qui retournent sens dessus-dessous mon histoire…
qui me font femme en quelques instants
une autre femme…
en quelques instants…
Il me fait entendre quand il danse avec moi…
des mots…
qui ne ressemblent pas à des mots
il me laisse…
perdue pendant des heures…
il me laisse
m’amuser avec un fil
un fil dont les noeuds sont serrés
un fil fait de cauris
un fil fait de mots
il me laisse
au milieu du drame…
je ressasse…
je ressasse…
les mots
avec moi rien…
que…
les mots
***
(Nizar Qabbani)
Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral
Des cadillacs et des ombrelles
De l’albuplast et de bretelles
De faux dollars de vrais bijoux
Y’en a vraiment pour tous les goûts
Des oraisons pour dentifrices
Des chiens nourris qui parlent anglais
Et les putains à l’exercice
Avec leurs yeux qui font des frais
De faux tableaux qui font la gueule
Et puis des vrais qui leur en veulent
Des accordéons déployés
Qui soufflent un peu avant de gueuler
Des filles en fleurs des fleurs nouvelles
Des illustrés à bonne d’enfant
Et des enfants qui font les belles
Devant des mecs bourrés d’argent
Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les coeurs
A faire se lever le bonheur
Des fois qu’il pousserait dans les rues
Les faux poètes qu’on affiche
Et qui se meurent à l’hémistiche
Les vedettes à nouveau nez
Paroles de Léo Ferré
Les prix Goncourt que l’on égorge
Les gorges chaudes pour la voix
Les coupe file et les soutiens-gorge
Avec la notice d’emploi
Des chansons mortes dans la cire
Et des pick-up pour les traduire
Microsillon baille aux corneilles
C’est tout Mozart dans une bouteille
Le sang qui coule plein à la une
Et qui se caille aux mots croisés
« France soir », « Le Monde » et la fortune
Devant des mecs qu’ont pas bouffé
Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme aux alentours
A faire se lever l’amour
Des fois qu’on le vendrait aux surplus
Des père Noël grandeur nature
Qui ne descendent plus que pour les parents
Pendant que les gosses jouent les doublures
En attendant d’avoir vingt ans
Toupie qui tourne au quart de tour
Bonbons fondants bonheur du jour
Et ces mômes qu’en ont plein les bras
A lécher la vitrine comme ça
Des soldats de plomb qui font du zèle
Des poupées qui font la vaisselle
De drôles d’oiseaux en équilibre
Pour amuser les tout petits
A l’intérieur la vente est libre
Pour ceux qui s’ennuient dans la vie
Des merveilles qu’on peut pas toucher
Devant des mecs qui peuvent « Entrer »
Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les yeux
A rendre aveugles tous les gueux
Des fois qu’ils en auraient trop vu
Jambon d’York garanti Villette
Des alcools avec étiquettes
Crème à raser les plus coriaces
« Où l’on m’étend le poil se lasse »
La gaine qui fond sous les caresses
Le slip qui rit le bas qu’encaisse
L’escarpin qui use le pavé
Les parfums qui sentent le péché
Des falbalas pour la comtesse
Des bandes en soie pour pas que ça blesse
Du chinchilla de la toile écrue
Y faut vêtir ceux qui sont nus
Des pull-over si vrais qu’ils bêlent
Des vins si vieux qu’ils coulent gagas
Des décorations qu’étincellent
Devant des mecs qui n’en veulent pas.
Les vitrines de l’avenue
C’est mes poches à moi quand je rêve
Et que j’y fouille à mains perdues
Des lambeaux de désirs qui lèvent
Verte, si Verte, si verte l’herbe qui aborde la rivière
Amples, si amples se déploient les saules du jardin
Belle, si belle cette femme qui se tient en haut des marches
Claire et brillante, elle apparaît dans la fenêtre
Charmant, si charmant son visage poudré
Fines, si fines ses mains blanches qui se découvrent
Autrefois chanteuse, elle ornait la maison de musique
La voilà aujourd’hui à un petit qui délaisse son foyer
Comment se résoudre à voir encore son lit inoccupé ?
Le banquet remplit le jour d’échos hilares
Et les joies délicieuses épuisent encore nos mots.
Comment dire cette merveille que le luth accentue
Son chant m’amène au voisinage céleste
Le génie musical embrase l’écoute de ceux qui s’attardent
Et c’est d’un seul coeur que nous portons l’élan de nos souhaits
Mais la fête entamée garde encore une pensée silencieuse
Les jours des hommes tourbillonnent puis se dispersent
Si peu de temps pour jouir du beau séjour !
Pourquoi ne pas laisser ses ambitions galoper ?
Pour être ainsi le premier arrivé aux commandes du monde
Pourquoi rester pauvre et ignoré,
Enlisé dans les marais aigres du ressentiment !
La première lune d’hiver annonce les courants froids
Le vent du nord s’engouffre cruel et tranchant.
J’endure la peine et sais la nuit longue.
Les étoiles hiérarques s’égrènent dans la nuit claire
Au quinzième jour, la lune est pleine
Et au vingtième déjà ses ombres se brisent.
Un voyageur pâle me tend une lettre seule.
J’ai lu au premier vers « amour immortel »
J’ai lu au dernier vers « douleur infinie d’être encore
J’ai conservé cette lettre dans les plis de ma robe
Trois ans déjà sont passés mais les mots n’ont pas blanchi.
Je m’offre entière à cette unique ferveur
Et je tremble que jamais tu n’en voies la valeur.
(Anonyme)
Les dix-neuf poèmes anciens des Han (ler siècle ap. J.-C.)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Dire : cette vie est un jardin de roses, c’est mentir.
Dire : cette vie est un champ de ruines, c’est mentir.
Dire : je sais les horreurs de cette vie
et je ne m’en lasserai jamais d’en débusquer les merveilles,
c’est faire son travail d’homme et vous le savez bien :
ce genre de travail n’est jamais fini,
c’est comme les images,
elles continuent à trembler après le bain,
bien après la magie des révélations.
Vos images ne sont pas des mirages.
Vos images sont des points d’eau dans le désert.
Je te ferai ce soir un poème d’amour
Où l’on verra ton ombre apparaître à la rime
Mes désirs rouleront ainsi que des tambours
Dans l’odeur du sommeil et des algues marines
Viens. Tu seras pour moi l’orbe éclatant du monde,
D’étendards déployés claquant dans tes regards
Sur tes cheveux au vent, noirs escadrons de l’ombre
La neige des baisers légère comme un cil
Tu es mon Amérique immense et familière,
Mon ciel extravasé. J’adore mon vautour
Grande femme bruissant de soies et de lumières
Je suis parti vers toi sans espoir de retour
Parmi l’adoration des fleurs et des abeilles,
Sur les étés stridents, sur l’automne incertain
Je te retrouve en moi plus vivante, et pareille
A ce que j’ai toujours espéré du destin
Ô mon pain quotidien, ma sereine merveille.
Ne me regardez pas, je crois que j’ai cent ans…
Ne me regardez plus, mon visage est un autre.
Le temps m’a fait du mal, on a joué perdant,
Mon coeur ne saurait plus battre au rythme du vôtre.
Je ne veux rien savoir ni de vous ni des autres,
Vous êt’s un inconnu que je connais par coeur,
L’amour est toujours là mais ce n’est plus le vôtre.
Si j’avais su qu’un jour vous me feriez si peur…
Les oiseaux d’autrefois sont morts depuis longtemps,
Ne me regardez pas, j’ai les yeux pleins de larmes,
L’amour m’a fait du mal… en êtes-vous content?
Je ne vous aimais pas, j’étais bête à merveille,
Et l’amour s’est perdu au rythme de vos pas…
Soudain j’ai comme un air de valse dans l’oreille…
Adieu, ne dires rien, ne me regardez pas!
Moi qui tant vous ressemble,
Nous vie dans le vide,
Moi qu’amour et mort,
Espoir, absence déchirent,
Que voulez-vous que me donne un mot
Qui ne crie, ne songe, ni ne chante,
Ne s’éteint au seuil du silence
Telle cette joie au bord des larmes
Qui me ressemble et vous ressemble,
Nous qui sommes trace éphémère
Dans la merveille et dans l’effroi.