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Posts Tagged ‘souffrir’

Les roses dans l’orage (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    

Les roses dans l’orage

Les roses pâles sont blessées
Par la rudesse de l’orage,
Mais elles sont plus parfumées,
Ayant souffert davantage.
Mets cette rose à ta ceinture,
Garde en ton cœur cette blessure,
Sois pareille aux roses de l’orage.
Mets cette rose en un coffret
Et souviens-toi de l’aventure
Des roses blessées par l’orage,
L’orage a gardé son secret,
Garde en ton cœur cette blessure.

(Rémy de Gourmont)

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Je croyais bien vivre sans amour (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
Je croyais bien vivre sans amour,
désormais en paix toute ma vie,
mais mon coeur dont je l’avais sauvé
m’a entraîné dans la folie.
J’ai entrepris plus grande folie
que le fol enfant qui crie
pour avoir la belle étoile
qu’il voit en haut briller immobile.

Bien que je me désespère,
Amour m’a bien récompensé
pour l’avoir autant que je pouvais
servi sans déloyauté:
il a fait de moi le roi des fous,
mais qui s’y fie prenne bien garde,
car grande faveur doit récompenser
ceux qui servent sans trahir.

Ce n’est pas merveille si je m’irrite
contre Amour qui m’a fait tant souffrir.
Dien! si je pouvais le tenir
un seul jour,à ma volonté!
elle paierait sa folie:
il lui faudrait mourir
s’il ne triomphait de ma dame.

Chanson, salut la belle, objet de ma folie,
et prie là
que pour Dieu et pour son honneur
elle ne me trahisse pas.

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil:
Traduction: André Mary
Editions:

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Oh ! Qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024



Illustration: Edvard Munch
    
Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage
Quien no ama, no vive.

Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage,
Si jamais vous n’avez épié le passage,
Le soir, d’un pas léger, d’un pas mélodieux,
D’un voile blanc qui glisse et fuit dans les ténèbres,
Et, comme un météore au sein des nuits funèbres,
Vous laisse dans le coeur un sillon radieux ;

Si vous ne connaissez que pour l’entendre dire
Au poète amoureux qui chante et qui soupire,
Ce suprême bonheur qui fait nos jours dorés,
De posséder un coeur sans réserve et sans voiles,
De n’avoir pour flambeaux, de n’avoir pour étoiles,
De n’avoir pour soleils que deux yeux adorés ;

Si vous n’avez jamais attendu, morne et sombre,
Sous les vitres d’un bal qui rayonne dans l’ombre,
L’heure où pour le départ les portes s’ouvriront,
Pour voir votre beauté, comme un éclair qui brille,
Rose avec des yeux bleus et toute jeune fille,
Passer dans la lumière avec des fleurs au front ;

Si vous n’avez jamais senti la frénésie
De voir la main qu’on veut par d’autres mains choisie,
De voir le coeur aimé battre sur d’autres coeurs ;
Si vous n’avez jamais vu d’un oeil de colère
La valse impure, au vol lascif et circulaire,
Effeuiller en courant les femmes et les fleurs ;

Si jamais vous n’avez descendu les collines,
Le coeur tout débordant d’émotions divines ;
Si jamais vous n’avez le soir, sous les tilleuls,
Tandis qu’au ciel luisaient des étoiles sans nombre,
Aspiré, couple heureux, la volupté de l’ombre,
Cachés, et vous parlant tout bas, quoique tout seuls ;

Si jamais une main n’a fait trembler la vôtre ;
Si jamais ce seul mot qu’on dit l’un après l’autre,
JE T’AIME ! n’a rempli votre âme tout un jour ;
Si jamais vous n’avez pris en pitié les trônes
En songeant qu’on cherchait les sceptres, les couronnes,
Et la gloire, et l’empire, et qu’on avait l’amour !

La nuit, quand la veilleuse agonise dans l’urne,
Quand Paris, enfoui sous la brume nocturne
Avec la tour saxonne et l’église des Goths,
Laisse sans les compter passer les heures noires
Qui, douze fois, semant les rêves illusoires,
S’envolent des clochers par groupes inégaux ;

Si jamais vous n’avez, à l’heure où tout sommeille,
Tandis qu’elle dormait, oublieuse et vermeille,
Pleuré comme un enfant à force de souffrir,
Crié cent fois son nom du soir jusqu’à l’aurore,
Et cru qu’elle viendrait en l’appelant encore,
Et maudit votre mère, et désiré mourir ;

Si jamais vous n’avez senti que d’une femme
Le regard dans votre âme allumait une autre âme,
Que vous étiez charmé, qu’un ciel s’était ouvert,
Et que pour cette enfant, qui de vos pleurs se joue,
Il vous serait bien doux d’expirer sur la roue ; …
Vous n’avez point aimé, vous n’avez point souffert !

(Victor Hugo)

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OÙ DONC EST LE BONHEUR ? (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024



Illustration: Salvador Dali
    
OÙ DONC EST LE BONHEUR ?

Sed satis est jam posse mori.
LUCAIN.

Où donc est le bonheur ? disais-je. – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l’enfance éphémère,
Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,
Est l’âge du bonheur, et le plus beau moment
Que l’homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus tard, aimer, – garder dans son coeur de jeune homme
Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,
Glisser un mot furtif dans une tendre main,
Aspirer aux douceurs d’un ineffable hymen,

Envier l’eau qui fuit, le nuage qui vole,
Sentir son coeur se fondre au son d’une parole,
Connaître un pas qu’on aime et que jaloux on suit,
Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,

Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,
Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,
Tous les buissons d’avril, les feux du ciel vermeil,
Ne chercher qu’un regard, qu’une fleur, qu’un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d’une main jalouse
Les boutons d’orangers sur le front de l’épouse ;
Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé
Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;

Voir aux feux de midi, sans espoir qu’il renaisse,
Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,
Perdre l’illusion, l’espérance, et sentir
Qu’on vieillit au fardeau croissant du repentir,

Effacer de son front des taches et des rides ;
S’éprendre d’art, de vers, de voyages arides,
De cieux lointains, de mers où s’égarent nos pas ;
Redemander cet âge où l’on ne dormait pas ;

Se dire qu’on était bien malheureux, bien triste,
Bien fou, que maintenant on respire, on existe,
Et, plus vieux de dix ans, s’enfermer tout un jour
Pour relire avec pleurs quelques lettres d’amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées
Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,
Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,
Boire le reste amer de ces parfums aigris,

Être sage, et railler l’amant et le poète,
Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,
Suivre en les rappelant d’un oeil mouillé de pleurs
Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l’homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d’ombre.
C’est donc avoir vécu ! c’est donc avoir été !
Dans la joie et l’amour et la félicité

C’est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !
Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l’enfance où le coeur dort,

Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !
Où donc est le bonheur, disais-je ? – Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l’avez donné !

(Victor Hugo)

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THE NIGHT YOU SLEPT (Cesare Pavese)

Posted by arbrealettres sur 28 avril 2024



    

THE NIGHT YOU SLEPT

La nuit elle aussi te ressemble,
nuit lointaine qui pleure
muette, dans le coeur profond,
et mornes les étoiles passent.

Une joue effleure une joue
— c’est un frisson glacé,
quelqu’un se débat et t’implore,
seul, perdu en toi, dans ta fièvre.

La nuit souffre et aspire vers
l’aube, pauvre coeur qui tressailles.
O visage fermé, sombre angoisse,
fièvre qui attristes les étoiles,

certains attendent l’aube
comme toi épiant ton visage en silence.
Tu reposes sous la nuit
comme un horizon mort et fermé.

Pauvre coeur qui tressailles,
un jour lointain tu étais l’aube.

(Cesare Pavese)

Recueil: Travailler fatigue La mort viendra et aura tes yeux
Traduction: Gilles de Van
Editions: Gallimard

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Je souffre avec ma créature de tous les jours (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024



Illustration: Guy Swyngedau
    
Je souffre avec ma créature de tous les jours
et j’aime avec ma créature de toutes les nuits,
mais derrière elles deux il est une autre créature
qui n’est pas forcément moins pauvre,
avec quoi je palpe les alentours du monde.

Je ne sais quand sont nées mes trois créatures,
ni quand elles ont appris à se connaître,
mais les trois écoutent quelque chose qui les appelle
de derrière le néant
et savent que le visible est une faille de l’invisible
et peut-être même un appel de l’invisible,
qui peut-être est seul
comme une autre créature
et les attend elles trois.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Nous qui savons si mal souffrir (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 3 avril 2024




    
nous qui savons
si mal souffrir

apprendre

consentir

toujours à geindre
ou renoncer

ouvrir des chemins
inutiles

sans soupçonner
que l’issue
est dans l’oeil

la pupille
qui se fait
face

(Charles Juliet)

Recueil: L’oeil se scrute
Editions: Fata Morgana

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LA CHANSON D’UNE PLINTHE (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 15 mars 2024



    

LA CHANSON D’UNE PLINTHE

Il était une fois une modeste plinthe
(Modeste pour la plinthe est très-pléonastique
Qu’elle soit composée de bois ou de plastique)
Trop modeste en tout cas pour s’être jamais plainte.

Elle avait bien son lot d’accumulés moutons
Qui provoquaient bientôt de vifs coups de balai
Qui lui tombaient dessus lui pleuvant tout le long.
Ce dont elle souffrait davantage encor c’est

Que nul événement dans sa vie ne survienne:
Uniquement des murs, des couloirs, des jours mornes
Où elle poursuivait sa triste vie de chienne,

N’ayant d’autre horizon que celui qu’elle borne.
Ah! quelle perspective entrevoir pour la plinthe ?
Quelle expérience avoir? Offrons-lui la complainte.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

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LA PETITE FILLE PERDUE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



Illustration: William Blake
    
LA PETITE FILLE PERDUE

Dans l’avenir,
En vérité, je vous le dis,
La terre au-dessus du sommeil
(Gravez profondément la phrase)

Se lèvera et cherchera
Son doux créateur ;
Et le désert sauvage
Deviendra un jardin de douceur.

Dans les pays du Sud
Où l’aube de l’été
Ne se fane jamais,
La charmante Lyca est étendue.

Elle avait sept ans,
On la nommait la charmante Lyca ;
Elle avait erré longtemps,
Écoutant le chant des oiseaux sauvages.

« Doux sommeil ; viens à moi
Sous cet arbre.
Papa et maman pleurent-ils ?
Où peut dormir la petite Lyca ?

Elle est perdue dans le désert sauvage,
Votre petite enfant.
Comment Lyca dormirait-elle,
Puisque sa maman pleure ?

Si son coeur souffre
Alors que Lyca veille ;
Si sa maman sommeille
Lyca ne pleurera pas.

Menaçante, menaçante nuit,
Sur ce désert étincelant
Que ta lune s’élève
Pendant que je ferme les yeux. »

Lyca endormie était étendue
Pendant que les bêtes de proie,
Venues des cavernes profondes,
Contemplaient la petite endormie.

Le royal lion s’arrêta
Et contempla la petite fille.
Puis il tourna
Autour du lieu sacré.

Léopards, tigres jouent
Autour d’elle tandis qu’elle reposait,
Pendant que le vieux lion
Inclinait sa crinière d’or,

Et il lèche sa poitrine
Et sur son cou
De ses yeux de flamme
Tombent des larmes vermeilles,

Pendant que la lionne
Détache la robe légère
Et ils emportèrent nue
Dans leur tanière la petite fille endormie.

***

The Little Girl Lost (1794)

In futurity
I prophetic see
That the earth from sleep
(Grave the sentence deep)

Shall arise and seek
For her Maker meek;
And the desert wild
Become a garden mild.

In the southern clime,
Where the summer’s prime
Never fades away,
Lovely Lyca lay.

Seven summers old
Lovely Lyca told;
She had wander’d long
Hearing wild birds’ song.

‘Sweet sleep, come to me
Underneath this tree.
Do father, mother, weep?
Where can Lyca sleep?

‘Lost in desert wild
Is your little child.
How can Lyca sleep
If her mother weep?

‘If her heart does ache
Then let Lyca wake;
If my mother sleep,
Lyca shall not weep.

‘Frowning, frowning night,
O’er this desert bright,
Let thy moon arise
While I close my eyes.’

Sleeping Lyca lay
While the beasts of prey,
Come from caverns deep,
View’d the maid asleep.

The kingly lion stood,
And the virgin view’d,
Then he gamboll’d round
O’er the hallow’d ground.

Leopards, tigers, play
Round her as she lay,
While the lion old
Bow’d his mane of gold

And her bosom lick,
And upon her neck
From his eyes of flame
Ruby tears there came;

While the lioness
Loos’d her slender dress,
And naked they convey’d
To caves the sleeping maid.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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IL DIT QUE TOUT IRA BIEN (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 3 mars 2024




    
IL DIT QUE TOUT IRA BIEN

Il dit : les bombes ont détruit ton école
Il dit : la nourriture disparaît, l’argent manque
Il dit : l’aide humanitaire dans les camions blancs est notre unique salut
Il dit : l’aide humanitaire vient de voler en éclats

Il n’y a plus d’école
Comment ça, plus d’école ?
Elle est vide, trouée ou il n’en reste plus rien ?
Qu’est devenue ma photo, accrochée au tableau d’honneur ?
Qu’est devenue ma maîtresse, qui faisait la classe ?

Il dit : ta photo ? qui a besoin de ta photo ?
Il dit : ton école a fondu, cet hiver est trop brûlant
Il dit : je n’ai pas vu ta maîtresse et ne me demande pas d’aller voir
Il dit : j’ai vu ta marraine, elle n’est plus de ce monde

Fuyez
Laissez tout tomber et fuyez
Abandonnez la maison, la cave et les confitures d’abricots
Les chrysanthèmes roses dans la véranda
Abattez les chiens, pour leur éviter de souffrir
Abandonnez cette terre, quittez-la

Il dit : arrête tes bêtises, tous les jours nous en jetons de la terre sur les cercueils
Il dit : tout ira bien, le salut est proche
Il dit : l’aide humanitaire est déjà en route

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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