Je suis nue
Et la mort chante.
Je suis nue sous mes cheveux déployés
Et tes yeux impurs cernés d’émail
Me découvrent.
Je suis nue
Et le noir illimité de minuit
M’épouvante
Car mes rêves enchâssés dans ma tête charnue
Abdiquent
Et la mort chante…
(Joyce Mansour)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
N’oublie pas, mon trésor, qu’on s’est aimées un jour.
Libérée aujourd’hui, cependant, souviens-toi
Qu’il était nu, poisseux, humide, notre amour,
Et que toute ta peau frémissait sous mes doigts.
Le monde avance, et toi avec, tu te convaincs
Que rien de tout cela n’a existé vraiment.
Crois-moi: ton coeur se moquera de ton chagrin.
C’est un étrange traître, aux costumes changeants.
Remords, remémorer — ces syllabes sont soeurs,
Si elles sonnent pareil, qu’il en soit donc ainsi !
Va, passe de mon coeur à un tout autre coeur,
Mais remémore-toi notre amour à demi.
(Vita Sackville-West)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
Le coeur tremblant, la joue en feu,
J’emporte dans mes cheveux
Tes lèvres encore tièdes.
Tes baisers restent suspendus
Sur mon front et mes bras nus
Comme des papillons humides.
Je garde aussi ton bras d’amant,
Autoritaire enlacement,
Comme une ceinture à ma taille.
(Cécile Sauvage)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
Sur le lit plein de ton parfum
Je vais dormir comme en tes bras
Et revivre encore tes caresses,
Te retenir nu contre moi
Sentir tes formes sur les miennes
Et ton désir lourd et tremblant
Grelotter de fièvre à mon flanc.
J’aurais faim de ta chair vivante,
J’aurais ta vie entre mes mains.
(Cécile Sauvage)
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
Les enfants de la liberté
ne s’habillent pas en Petit Bateau.
Leur peau s’habitue vite à une étoffe rêche.
Les enfants de la liberté
ont des vêtements usés
et des chaussures trop grandes pour leurs pieds.
Souvent ils enfilent l’air nu ou la terre.
Les enfants de la liberté
ne connaissent pas le goût de la banane
ni de la fraise.
Ils mangent du pain sec
trempé dans l’eau de la patience.
Le soir,
les enfants de la liberté
ne prennent pas de bain,
ils ne soufflent pas dans des bulles de savon.
Ils jouent avec des pneus, des cailloux
et les débris
des bombes.
Avant de dormir,
les enfants de la liberté ne se brossent pas les dents.
Ils n’attendent pas les histoires magiques
de prince et de princesse.
Ils écoutent le bruit de la peur et du froid.
Sur les trottoirs de la rue,
devant les portes de leur maison détruite,
dans les camps des pays voisins ou
dans les tombes.
Les enfants de la liberté
attendent comme
tous les enfants du monde
le retour de leur mère.
(Maram al-Masri)
Recueil: Elle va nue la liberté
Editions: Bruno Doucey
Ils étaient des milliers venus de mille savoirs,
Hagards tailleurs de pierre et sculpteurs pathétiques,
Terrassiers de hasard, charpentiers faméliques,
Turbulents compagnons venus bâtir l’histoire.
S’étaient levés matin à l’appel cardinal,
Cheminant des provinces du vieux pays de France,
Ou de Gand la brumeuse ou de claire Florence,
Ils étaient les mains nues de l’art occidental.
Sous les ordres rugueux d’un vieux moine architecte,
Tour de Babel soudée par la foi catholique,
Ils besognèrent trois siècles en quatre-vingt dialectes,
Mais pour le plus grand nombre, de relève en relève,
La flèche terminale du grand vaisseau gothique,
Ne fut qu’une promesse, et même pas un rêve.
Je te reconnaîtrai aux algues de la mer
au sel de tes cheveux aux herbes de tes mains
Je te reconnaîtrai au profond des paupières
je fermerai les yeux tu me prendras la main
Je te reconnaîtrai quand tu viendras pieds nus
sur les sentiers brûlants d’odeurs et de soleil
les cheveux ruisselants sur tes épaules nues
et les seins ombragés des palmes du sommeil
Je laisserai alors s’envoler les oiseaux
les oiseaux long-courriers qui traversent les mers
Les étoiles aux vents courberont leurs fuseaux
les oiseaux très pressés fuiront dans le ciel clair.