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ENTRÉE DANS L’EXIL (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 4 Mai 2024




    
ENTRÉE DANS L’EXIL.

J’ai fait en arrivant dans l’île connaissance
Avec un frais vallon plein d’ombre et d’innocence,
Qui, comme moi, se plaît au bord des flots profonds.
Au même rayon d’or tous deux nous nous chauffons ;

J’ai tout de suite avec cette humble solitude
Pris une familière et charmante habitude.
Là deux arbres, un frêne, un orme à l’air vivant,
Se querellent et font des gestes dans le vent

Comme deux avocats qui parlent pour et contre ;
J’y vais causer un peu tous les jours, j’y rencontre
Mon ami le lézard, mon ami le moineau ;
Le roc m’offre sa chaise et la source son eau ;

J’entends, quand je suis seul avec cette nature,
Mon âme qui lui dit tout bas son aventure ;
Ces champs sont bonnes gens, et j’aime, en vérité,
Leur douceur, et je crois qu’ils aiment ma fierté.

(Victor Hugo)

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Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 18 avril 2024



Illustration: Clémence F. Dupuch
    
Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment

Et si tu m’avais rencontrée propre,
sans mauvaise conscience,
sans peine dans le sommeil,
sans les morsures d’autres femmes ancrées sur mes épaules.

Aurais-tu baigné mon corps au petit matin,
léché mes humeurs d’yeux,
coiffé mon insomnie,
caressé mes mains ravinées par tes dents ?

Et si j’avais endossé
des tenues semblables aux tiennes,
si je t’avais menti en ce qui me concerne,
si je t’avais confié que tu étais la seule
et non la première.

M’aurais-tu déshabillée les yeux fermés
de tes mains expertes,
embrassée quand je te racontais ma vie,
aurais-tu mis sur un piédestal
ton nom au niveau du mien
et fait du nôtre un amour égal ?

Si je m’étais vendue
comme l’amour de ta vie,
si je t’avais achetée
comme l’amour de la mienne.

Serions-nous tombées amoureuses
comme quelqu’un qui s’aime
en aimant ceux qui aiment ?

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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Nuit. Silence. Ferveur. (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 3 avril 2024




    

Nuit. Silence. Ferveur. Une simple attente.
Exempte de toute avidité.

La nuit où tu descends exige
que tu aies un regard clair et les mains nues.

Sache te faire de plus en plus docile.
C’est la source qui commande.

Mystère de l’être.

Mystère de cet oeil qui éveille la voix.
De cette voix qui aiguise l’oeil.

Bien souvent, je me perds en chemin.
Arrive là où je n’étais pas appelé.

Si tu veux accompagner la vie dans son inlassable mouvement
mets fin à toute fixité.

Ne préjuge pas de ce que sera le chemin.
Ni des rencontres qui se présenteront.
Ni du lieu où tu vas déboucher.

Qui vit dans l’ignorance de soi
n’a aucun accès à la connaissance.

L’immersion en soi est ignorance.
La connaissance est cet oeil qui surplombe.

Si tu veux parvenir à la vue juste,
ton oeil doit travailler à s’affranchir
de ce qui détermine sa vision.

Seul le regard qui s’inverse
peut rencontrer cette lumière
qui délivre la connaissance.

(Charles Juliet)

Recueil: Ce pays de silence précédé de Trop ardente et L’Inexorable
Editions: P.O.L.

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Quand donc un homme (Platon)

Posted by arbrealettres sur 23 mars 2024



    
Quand donc un homme, qu’il soit porté pour les garçons ou pour les femmes,
rencontre celui-là même qui est sa moitié,
c’est un prodige que les transports de tendresse,
de confiance et d’amour dont ils sont saisis;
ils ne voudraient plus se séparer, ne fût-ce qu’un instant.

Et voilà les gens qui passent toute leur vie ensemble,
sans pouvoir dire d’ailleurs ce qu’ils attendent l’un de l’autre;
car il ne semble pas que ce soit le plaisir des sens
qui leur fasse trouver tant de charme dans la compagnie l’un de l’autre.

Il est évident que leur âme à tous deux désire autre chose,
qu’elle ne peut pas dire, mais qu’elle devine et laisse deviner.

(Platon)
, Le Banquet, traduit du grec par Émile Chambry, Garnier-Flammarion, 1964.

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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Aujourd’hui je n’ai rien fait (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 10 mars 2024



Aujourd’hui je n’ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.

Des oiseaux qui n’existent pas
ont trouvé leur nid.

Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.

Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.

Ne rien faire
sauve parfois l’équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance.

(Roberto Juarroz)


Illustration: Anne-François-Louis Janmot

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En rencontrant la peine (Le Recueil des chants du Sud)(Chuci)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024




    
En rencontrant la peine

J’ai planté neuf acres d’orchidées,
Ensemencé cent champs de tournesol,
Piqué pivoines et lève-chars,
Marié les iris aux asarets.
Dans l’attente des tiges et des brins
J’excite l’espoir de la floraison grasse.
À quand le temps juste de la belle récolte ?
Et si elles fanent, mes jolies fleurs ;
Et si elles meurent
À quoi bon la crainte, à quoi bon la peine !
Je m’afflige pourtant de voir un jour
Leur parfum mêlé aux herbes folles.
J’ai vu les hommes se surpasser
En avarice et en cupidité.
Ce qu’ils ont s’ombre toujours
À la lumière de ce qu’ils n’ont pas encore.
Si satisfaits d’eux-mêmes
Vautrés dans l’indulgence
Leurs yeux impitoyables
Ne laissent personne indemne.
Ils cajolent ainsi l’aigreur de leur coeur jaloux.
J’ai quitté l’arène des hommes ;
Mais mon âme court les chemins glorieux
C’est l’âge qui me talonne aujourd’hui ;
Il m’apporte encore le souci du renom.
Je bois les perles d’eau à l’aube du magnolia ;
Le soir, je me nourris du chrysanthème d’automne.
Je suis désormais les accords de mon coeur parfait.
Quel mal y a-t-il à voir mon visage maigre et pâle ?

(Le Recueil des chants du Sud)(Chuci)

(IVè-IIIè siècles av. J.-C. : période des Royaumes Combattants)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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DIALOGUES (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Berthe Morisot   
    
DIALOGUES

Comme la tombe sur les morts mon coeur est lourd,
La tombe sur les morts close avec de la pierre.
Mes yeux veulent toujours regarder en arrière.
Qu’ai-je donc égaré le long du temps qui court ?

— Va prier le soleil pour que mon champ prospère,
C’est ta dot qui mûrit dans nos blés.
— Oui, mon père.

Depuis qu’on a fermé la porte sur ses pas,
La nappe du festin est à jamais pliée.
Je ne sais pas s’il m’a tout à fait oubliée,
Mais quand je le rencontre il ne me parle pas.

— Sommes-nous au couvent ? Cette robe sévère,
Ôte-la. Mets ta robe à volants.
— Oui, ma mère.

J’ai mal… je ne sais pas où souffrir me conduit,
Et dans mon coeur j’entends un rossignol de flamme
Désespéré qui chante, chante à perdre l’âme.
Mais j’attends pour pleurer, comme j’attends la nuit !

_ Soeur, la chanson d’amour que tu savais naguère,
Celle où passe un oiseau, chante-la…
— Oui, mon frère.

Quand donc viendra la mort dont les pas font frémir
pour qu’enfin de l’aimer, enfin ! je me repose…
II sera doux le jour où de la chambre close
On joindra les volets pour me laisser dormir.

_ Soeur, partons ! Serais-tu par hasard endormie ?
Le bal est commencé. Vite, allons !

— Oui, ma mie.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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LES CHANSONS QUE JE FAIS… (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 21 janvier 2024




    
LES CHANSONS QUE JE FAIS…

Les chansons que je fais, qu’est-ce qui les a faites ?…

Souvent il m’en arrive une au plus noir de moi…
Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi
C’est cette folle au lieu de cent que je souhaite.

Dites-moi… Mes chansons de toutes les couleurs,
Où mon esprit qui muse au vent les a-t-il prises ?
Le chant leur vient — d’où donc ? — comme le rose aux fleurs,
Comme le vert à l’herbe et le rouge aux cerises.

Je ne sais pas de quels oiseaux, en quel pays
De buissons creux et pleins de songe elles sont nées…
Elles m’ont rencontrée et moi je m’ébahis
D’entendre battre en moi leurs ailes étonnées.

Mais comment, à la file, en est-il tant et tant
Et tant encor, chacune à la beauté nouvelle,
Comme une abeille après une abeille sortant
Du petit coin de miel que j’ai dans la cervelle ?

Ah ! Je veux de ma main pour les garder longtemps,
Je veux, pour retrouver sans cesse ma trouvaille,
Toutes les attraper avant que le printemps
Les emporte de moi qui me fane et s’en aille.

Toutes, oui ! L’une est gaie et mon coeur joue avec ;
L’autre, jeune, mutine et qui fait sa jolie,
Malicieuse un peu, le taquine du bec…
Mais l’autre me l’a pris dans sa mélancolie ;

L’autre frémit autour de moi comme un baiser
Si doux que j’en mourrai si ce chant continue
Et qu’au bord de mon coeur où son coeur s’est posé,
Une faiblesse après demeure et m’exténue.

Et toutes je les veux, et toutes à la fois
— La dernière surtout dont j’ai le plus envie —
Je vais les mettre en cage et leur lier la voix
Ou je ne dormirai plus jamais de ma vie.

Viens, poète, oiseleur, tends-moi comme un filet
Ta mémoire et prends-moi ces belles que j’écoute.
Retiens dedans surtout ce brin de mot follet
Qui danse au bord mouvant de ma pensée en route.

Moi j’écoute… Je ris quand l’une rit au jour ;
J’ai les larmes aux yeux quand l’autre est bien touchante
Quand elle est tendre, ô Dieu, j’ai le frisson d’amour…
J’écoute et ce qui chante en moi je le rechante.

Mais comme un écolier qui prend trop bas, trop haut,
La note qu’on lui donne et suit mal la mesure,
J’hésite, à plusieurs fois tâtant le son qu’il faut,
Accrochant çà et là ma voix gauche et peu sûre.

Ah ! chanson vive !… Hélas ! pour recueillir sa voix,
C’est au lieu de l’air juste un faux air que je trouve,
Et je cherche, et l’accent que je risque parfois,
Celui qui vibre en moi toujours le désapprouve.

Elle chante… et je laisse échapper de ma main
Les mots flottants qu’elle me jette à la volée,
Si j’en ramasse un ample, il m’en fallait un fin…
Elle chante et sera tout à l’heure en allée.

Elle chante, elle fuit et je m’efforce en vain
De la suivre en courant derrière, je m’essouffle,
Je la saisis au vol, je la perds en chemin
Et quand je ne sais plus j’attends que Dieu me souffle.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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SONNET DU VIEUX MOI RENCONTRE (André Berry)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2024




    
SONNET DU VIEUX MOI RENCONTRÉ

Par un soir de Toussaint, le long de la Garonne,
Comme je cheminais aux confins de l’effroi,
Là-bas, entre les joncs que la vase environne,
J’ai vu dans le brouillard surgir mon ancien Moi.

C’était bien son grand pas, son humeur fanfaronne,
Ses cheveux décoiffés, sa mise en désarroi :
« Où donc est, me dit-il, ta première couronne?
Et ton lis de candeur? et ta robe de foi? »

Surpris, j’examinai l’étrange personnage :
Aussi pâle, aussi blond que moi dans mon jeune âge,
Assez fier, mais liant. Sans accepter sa main

Ni vouloir m’informer si de père ou de frère,
Si du présent moi-même était son caractère,
Embarrassé, confus, je suivis mon chemin.

(André Berry)

 

Recueil: Poèmes involontaires suivi du Petit Ecclésiaste
Traduction:
Editions: René Julliard

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