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Poésie

Posts Tagged ‘étranger’

Peu à peu la campagne s’étend (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 17 Mai 2024




    
Peu à peu la campagne s’étend et se couvre d’or.
Le matin s’égare sur les reliefs de la plaine.
Je suis étranger au spectacle que je vois : je le vois.
Il est en dehors de moi. Aucun sentiment ne me rattache à lui,
Et c’est bien ce sentiment qui me relie à la naissance du jour.

(Fernando Pessoa)

Recueil: Poèmes jamais assemblés
Traduction: du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade,Fabienne Vallin
Editions: Unes

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Ah, que de fois (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 16 avril 2024




    
Ah, que de fois, à l’heure douce
Où je m’oublie moi-même,
Je vois passer un vol d’oiseau
Et je me remplis de tristesse !

Pourquoi est-il léger, agile, juste,
Dans l’air philtre d’amour ?
Pourquoi s’en va-t-il sous le ciel ouvert
Sans le moindre détour ?

Pourquoi avoir des ailes symbolise-t-il
La liberté, la liberté
Que la vie dénie, dont l’âme a besoin ?
Je sais que m’envahit

Une horreur d’être mien qui vient
Comme une crue couvrir
Mon coeur, et déverser
Sur mon âme étrangère

Un désir, non pas d’être oiseau,
Mais de pouvoir avoir
Un je-ne-sais-quoi du doux vol
Au-dedans de mon être.

(Fernando Pessoa)

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Huis-clos (Pierre Kobel)

Posted by arbrealettres sur 22 mars 2024




    Huis-clos

Ils ont cassé ma voix
Parce que je ne disais pas comme eux
Ils ont crevé mes yeux
Parce que je ne voyais pas comme eux
Ils ont brisé mes mains
Parce que je ne saluais pas comme eux
Ils ont frappé mon crâne
Parce que je ne pensais pas comme eux

Je suis un homme de barbelés
J’ai des prisons par tout mon corps
Je suis l’autre le dissident
La femme ou l’étranger
L’enfant l’homo
La différence
J’existe dans un monde
Qui rétrécit de toutes parts

Ils me jettent à la mer
Me torturent me tuent
Ils me font disparaître
Mais je serai là demain
toujours

Et j’ouvrirai les portes du grand large
malgré la parole refusée
malgré les regards aveuglés
malgré les pas attachés
malgré l’esprit déchiré

(Pierre Kobel)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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ÉTRANGER DANS UNE VILLE LOINTAINE (Mahmoud Darwich)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024




    
ÉTRANGER DANS UNE VILLE LOINTAINE

Quand j’étais petit
Et beau,
La rose était ma demeure,
Les sources étaient mes mers.
La rose est devenue blessure
Et les sources sont, désormais, soifs.
— As-tu beaucoup changé ?
— Je n’ai pas beaucoup changé.
Lorsque nous rentrerons comme le vent
A la maison,
Scrute mon front.
Tu y verras les roses, palmiers,
Les sources, sueur,
Et tu me retrouveras, tel que j’étais,
Petit
Et beau…

(Mahmoud Darwich)

 

Recueil: La terre nous est étroite
Traduction: Elias Sanbar
Editions: Gallimard

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Adieu à la poésie (Louise Ackermann)

Posted by arbrealettres sur 27 février 2024



Louise-Victorine Ackermann

Illustration: Marcellin Desboutin 
    
Adieu à la poésie

Mes pleurs sont à moi, nul au monde
Ne les a comptés ni reçus,
Pas un oeil étranger qui sonde
Les désespoirs que j’ai conçus

L’être qui souffre est un mystère
Parmi ses frères ici-bas ;
Il faut qu’il aille solitaire
S’asseoir aux portes du trépas.

J’irai seule et brisant ma lyre,
Souffrant mes maux sans les chanter ;
Car je sentirais à les dire
Plus de douleur qu’à les porter

Paris, 1835

(Louise Ackermann)

Recueil: Premières poésies (1871)
Editions:

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AUTOCONSERVATION (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




    
AUTOCONSERVATION

Ce devait être le printemps
car le souvenir qui arrive
saute par-dessus des coquelicots.
Sauf si la nostalgie
dans sa hâte,
a mal vu le souvenu.
Tout se ressemble tant
au moment de la perte.
Mais la mémoire est peut-être exacte
et ce fond étranger,
et les coquelicots issus
d’une autre histoire,
mienne ou étrangère.
La mémoire fait des coups pareils.
Par amour du beau ou par vanité.

Pourtant ce devait être au printemps
car je vois aussi des abeilles
voler autour de ce souvenir,
et s’entasser avec foi et passion
dans son calice.
Sauf si l’orgasme
est une loi du passé,
un mécanisme de l’unique.

Et s’il reste toujours du pollen dans les choses achevées pour la fécondation
de l’expérience, de la tristesse et du poème.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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LE PAYSAGE (Jean Follain)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2024




    
LE PAYSAGE

Cet homme à l’habit sombre
porte aux pieds des bottines hâves
où montent des insectes fins
les moellons de la maison
sont par le dur ciment liés
il grandit le hêtre rouge
le paysage est celui
où se déroulera
une bataille d’étrangers
dont l’air charriera les bruits
dans cette campagne altérée
où tremblent à peine les cimes.

(Jean Follain)

Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard

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La chambre (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024




    
La chambre

Merveilleuse histoire à conter, ma foi:
Belle et frêle, ardente, une femme choit.
C’était peut-être faux, peut-être vrai:
Les faits à tous deux nous indifféraient.
Mais le vin, la fumée de ton cigare
Transformaient le tout en plaisante histoire
Plus qu’en sujet d’opprobre ou de péché:
À la femme déchue que reprocher?
Rien, tant qu’il n’y avait à découvrir
Que sa beauté, sa fougue et son plaisir.
Mais tu partis, on baissa les lumières,
La brise entra, et la pâleur lunaire:
Et je perçus une voix féminine,
Impuissante plainte au mutisme incline.
Montée du tréfonds d’infinies ténèbres
Elle emplit la pièce d’une angoisse funèbre.
Morte, cette femme ne pouvait nier:
Les femmes aux plaintes sont destinées.
Aussi me fallut-il la nuit durant,
Moi l’étrangère, écouter ce tourment…
Les femmes aux plaintes sont destinées,
Les hommes à écouter… et soupirer…

***

The Haunted Chamber

Of course ’twas an excellent story to tell
Of a fair, frail, passionate woman who fell.
It may have been false, it may have been true.
That was nothing to me—it was less to you.
But with bottle between us, and clouds of smoke
From your last cigar, ’twas more of a joke
Than a matter of sin or a matter of shame
That a woman had fallen, and nothing to blame
So far as you or I could discover,
But her beauty, her blood and an ardent lover.
But when you were gone and the lights were low
And the breeze came in with the moon’s pale glow
The far, faint voice of a woman, I heard,
‘Twas but a wail, and it spoke no word.
It rose from the depths of some infinite gloom
And its tremulous anguish filled the room.
Yet the woman was dead and could not deny,
But women forever will whine and cry.
So now I must listen the whole night through
To the torment with which I had nothing to do—
But women forever will whine and cry
And men forever must listen—and sigh—

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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L’ÉPOUVANTE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Edouard Vuillard    
    
L’ÉPOUVANTE

Bon appétit, cher vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir, demain ?
Une chose longue et toujours pareille.

Nos jours sur nos jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus manger.

Un soir, ainsi, la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets familiers,
J’aurai le coeur plein de brusque surprise.

Je chercherai longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir pourquoi.

J’essayerai d’y voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Noue passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.

Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le coeur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
— Mère, laissez-moi, je ne veux plus rien.

Mère, toi, mère à ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.

Ô père, un soir, comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant vous mangez.

Vous irez errants parmi des ténèbres,
— Je ne sais pas quelles ténèbres, — dans un trou,
— Je ne sais pas lequel… — Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes funèbres.

Et vous mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai heurtés).

Êtes-vous là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?

Ah ! sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite, cachons-nous bien !

Que n’est-il un lieu sûr, secret des hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes.

Petite minute obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans amour ;

Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la bouche ;

Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en paix !

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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