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Poésie

Posts Tagged ‘lunaire’

La chambre (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024




    
La chambre

Merveilleuse histoire à conter, ma foi:
Belle et frêle, ardente, une femme choit.
C’était peut-être faux, peut-être vrai:
Les faits à tous deux nous indifféraient.
Mais le vin, la fumée de ton cigare
Transformaient le tout en plaisante histoire
Plus qu’en sujet d’opprobre ou de péché:
À la femme déchue que reprocher?
Rien, tant qu’il n’y avait à découvrir
Que sa beauté, sa fougue et son plaisir.
Mais tu partis, on baissa les lumières,
La brise entra, et la pâleur lunaire:
Et je perçus une voix féminine,
Impuissante plainte au mutisme incline.
Montée du tréfonds d’infinies ténèbres
Elle emplit la pièce d’une angoisse funèbre.
Morte, cette femme ne pouvait nier:
Les femmes aux plaintes sont destinées.
Aussi me fallut-il la nuit durant,
Moi l’étrangère, écouter ce tourment…
Les femmes aux plaintes sont destinées,
Les hommes à écouter… et soupirer…

***

The Haunted Chamber

Of course ’twas an excellent story to tell
Of a fair, frail, passionate woman who fell.
It may have been false, it may have been true.
That was nothing to me—it was less to you.
But with bottle between us, and clouds of smoke
From your last cigar, ’twas more of a joke
Than a matter of sin or a matter of shame
That a woman had fallen, and nothing to blame
So far as you or I could discover,
But her beauty, her blood and an ardent lover.
But when you were gone and the lights were low
And the breeze came in with the moon’s pale glow
The far, faint voice of a woman, I heard,
‘Twas but a wail, and it spoke no word.
It rose from the depths of some infinite gloom
And its tremulous anguish filled the room.
Yet the woman was dead and could not deny,
But women forever will whine and cry.
So now I must listen the whole night through
To the torment with which I had nothing to do—
But women forever will whine and cry
And men forever must listen—and sigh—

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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La pendule — Quelle heure est-il? (Marina Tsvetaeva)

Posted by arbrealettres sur 1 octobre 2023




    
La pendule — Quelle heure est-il?
A déjà sonné !
Creux immenses de vos yeux,
Votre robe à reflets de satin…
Je vous vois à peine,
À peine, à peine.

Au perron de la maison voisine
— Lumière éteinte.
Quelque part, l’amour à la folie !
Le dessin de votre visage
Me fait peur.

La chambre est presque noire,
Nuit unique !
Le clair de lune à la fenêtre
Profonde ressemble
À de la glace.

— Vous vous êtes rendue ? C’est la question.
— Je n’ai pas lutté.
La voix est glacée par la lune,
Venue de très loin,
C’est bien cette voix-là !

Le rayon de lune dressé entre nous
Dirige le monde.
Éclat de cheveux fous,
Foncés et roux,
Brillant tel du métal.

Oubliée la course de l’histoire
Dans la course lunaire.
Le miroir brise la lune,
Les fers des chevaux tintent au loin
La charrette grince.

Le réverbère est éteint.
La course est ralentie.
Bientôt le coq chantera
La séparation
De deux jeunes femmes.

(Marina Tsvetaeva)

Recueil: Poèmes de Russie (1912-1920) suivi de La Porte arrachée par Marina
Traduction: Véronique Lossky & Georges Nivat
Editions: Des Syrthes

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SABBAT (Georg Trakl)

Posted by arbrealettres sur 30 juin 2023




    
SABBAT

Un souffle de plantes vénéneuses en fièvre
Me fait rêver dans des crépuscules lunaires,
Et je me sens enlacé en silence,
Et vois, comme un sabbat de sorcières folles,

Des fleurs couleur de sang dans l’éclat des miroirs
Pressurer de mon cœur des fureurs enflammées,
Et leurs lèvres rompues à tous les arts
Se gonfler de colère contre ma gorge enivrée.

Fleurs couleur de peste des rives tropicales,
Elles tendent à mes lèvres leurs coupes,
Les troubles fontaines de bave de tourments écoeurant

Et l’une enlace — Ô Ménade en furie —
Ma chair exténuée par les lourds effluves,
Et ravie de douleur par de terribles luxures.

(Georg Trakl)

Recueil: Oeuvres complètes
Traduction: de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider
Editions: Gallimard

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L’AVENTURIER (Jaroslav Seifert)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2023




    
L’AVENTURIER

Dans le noeud bleu des veines
que voile une peau tendre
il vit une carte des fleuves ;
combien il désirait
ces courants bleus ! S’y rendre
sans retour désormais !

Au souffle de la bouche
qui effleura son visage
il sut le sel des mers.
Là-bas, une tempête bouge
et, hors des livres des mages,
passe un songe fiévreux.

Les serpents, leurs danses : il sait ;
le venin vint d’une lèvre
quand chantonna la flûte.
Abattu, accablé,
dans le demi-jour lunaire
il rentrait par la suite.

Et combien de ses rêves
dans un sein se sont éteints ;
les rires lui étaient pleurs,
les larmes, elles, étaient gaies.
Le doigt tremblait, discret,
contre le tambourin.

(Jaroslav Seifert)

Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud

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PAMPOÉSIE (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 29 octobre 2022




    
PAMPOÉSIE

Poésie, patrimoine étoilé :
il fallut découvrir peu à peu ventre vide et sans guide
ton terrestre héritage,
la clarté lunaire et l’épi secret.

La clef, de la solitude à la foule,
se perdait dans les rues et dans les bois
et sous les pierres et dans les trains.

La condition obscure en est le premier sceau,
l’ivresse grave avec un simple verre d’eau,
le corps rassasié sans avoir mangé,
le coeur qui mendie avec son orgueil.

Et bien d’autres choses que taisent les livres
remplis d’une splendeur sans joie : il faut
entamer peu à peu la pierre qui écrase,
dissoudre peu à peu le minerai de l’âme
jusqu’à ce que tu sois celui qui lit,
jusqu’à ce que l’eau chante par ta bouche.

Ce qui est plus facile que la mer à boire
et plus difficile aussi que naître sans fin.
C’est un étrange office qui te cherche
et qui se cache quand on l’a cherché,
c’est une ombre au toit crevassé
mais où dans chaque trou il y a une étoile.

(Pablo Neruda)

Recueil: Mémorial de l’Île Noire
Traduction: Claude Gouffon
Editions: Gallimard

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Ce que nous avons cherché (Guy Goffette)

Posted by arbrealettres sur 22 octobre 2022




    
Ce que nous avons cherché, ce que tous
nous continuons d’attendre et qui bat

comme une porte la nuit dans le silence
mal équarri des campagnes, ce qui

nous tient longtemps les yeux ouverts sur
rien : un coin décollé du papier peint,

l’arête lunaire de la garde-robe, le chapeau
rouge de jadis, poussiéreux mais toujours

prêt à couvrir tes cheveux blancs, voilà
bien ce qui toujours manque à nos vies

quand rien ne manque, et le désir demeure
comme l’été à la barbe de l’hiver

(Guy Goffette)

Recueil: Le désir en nous comme un défi au monde 84 Poètes d’aujourd’hui
Traduction:
Editions: Le Castor Astral

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Regrets de France (Jules Supervielle)

Posted by arbrealettres sur 27 Mai 2021




Regrets de France

La lune dans l’étang
Se souvient d’elle-même,
Veut se donner pour thème
A son enchantement,

Mais sa candeur précise
Au frais toucher de l’eau,
De délices se brise,

Et flotte la surprise
Des lunaires morceaux.

(Jules Supervielle)

Illustration

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J’appelle une rivière (Paul-Marie Lapointe)

Posted by arbrealettres sur 11 juin 2020


 


Fidel Garcia  - Mexican Figurative and Abstract Expressionist painter - Tutt'Art@ (55)

j’appelle une rivière où le flanc rose de ta nuque
suit le sillage profond d’une truite lunaire

(Paul-Marie Lapointe)

Illustration: Fidel Garcia

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Carrières d’automne (Eugenio Montale)

Posted by arbrealettres sur 12 mars 2020



Carrières d’automne

sur lesquelles descend un printemps lunaire
qui nimbe de candeur chaque découpure,
éclats de pin, éclaboussure
aveuglante de filets tendus, de débris,

elle reviendra, reviendra sur le gel,
la bonté d’une main,
et franchira le ciel lointain
la chiourme lumineuse qui nous saccage.

***

Cave d’autunno

su cui discende la primavera lunare
e nimba di candore ogni frastaglio,
schianti di pigne, abbaglio
di red stese e schegge,

ritornerà ritornerà sul gelo
la bontà d’una mano,
varcherà il cielo lontano
la ciurma luminosa che ci saccheggia.

(Eugenio Montale)

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Un vide (Adonis)

Posted by arbrealettres sur 15 novembre 2019



Illustration: Edvard Munch
    
Un vide entre ma poitrine et mon cou.
Vide
entre la chaleur du croissant réfléchi sur les eaux
du triangle et la chaleur des mains –
Comment dire
ce vide à tes membres lunaires ? Et quand ?
Comment détruire ses murs ?
Alors que tu es l’interlocuteur, et le détenteur
de ses secrets ?

(Adonis)

 

Recueil: Lexique amoureux
Traduction: Vénus Khoury-Ghata Issa Makhlouf Houria Abdelouahed
Editions: Gallimard

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