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Lorsque l’enfant paraît (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 3 Mai 2024




    

Lorsque l’enfant paraît

Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l’âme
Qui s’élève en priant ;
L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S’arrête en souriant.

La nuit, quand l’homme dort, quand l’esprit rêve, à l’heure
Où l’on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L’onde entre les roseaux,
Si l’aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d’oiseaux.

Enfant, vous êtes l’aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S’emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N’ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n’ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l’auréole d’or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l’arche.
Vos pieds tendres et purs n’ont point l’âge où l’on marche.
Vos ailes sont d’azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n’est immonde,
Âme où rien n’est impur !

Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

(Victor Hugo)

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CHANSON DE LA MÉLANCOLIE (Paul Fort)

Posted by arbrealettres sur 19 février 2024



Illustration
    
CHANSON DE LA MÉLANCOLIE

Aimer et rire ont perdu ma jeunesse.
J’aimais l’amour dans sa délicatesse
et la gaîté fragile du printemps.
L’orage éclate et brise ma jeunesse
avec tes fleurs, jardin de mes parents!
Et j’ai pleuré sur de grands dahlias.

Vie trop sévère! Est-on bien fait pour ça?

Aimer encore et songer
m’ont perdu la fleur de l’âme,
aux temps où je m’en fus
rêvant un rêve inconnu de la femme :
j’adorai ciel et terre et fus perdu!
J’ai tout donné, j’ai tout donné mon âme.
Et je pleurais par ces rues que voilà.

Vie trop sévère! Est-on bien fait pour ça?

Aimer toujours et pleurer jusqu’à mort?
— J’ai fait revivre et l’esprit et le corps,
dès que j’en vins à moquer la douleur,
et l’amour même et la vie et la mort!
Voir et savoir ont bien perdu mon coeur.
Je ris de tout à présent, triste et las.

Vie trop sévère! Est-on donc fait pour ça?

J’entends ce soir — quel bonheur est dans l’air?
— j’entends ce soir chanter douze oiseaux clairs,
par le ciel rose et couleur de lilas.
O jeune fille, ô tes cheveux dans l’air
flottant sous un vol de pigeons… là-bas…
Dernier amour, tu ne me réponds pas?

Vie trop sévère! Est-on bien fait pour ça?

(Paul Fort)

Recueil: Ballades du beau hasard
Editions: Flammarion

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L’oiseau magique (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024



Illustration: Bruno Feitussi
    
L’oiseau magique

Un oiseau dans l’été sur la branche a chanté.
il a joué tout le jour sa palpitante extase.
Pour l’écouter chanter ses merveilles j’ai fait halte
Pour saisir les ombres scintillantes de la branche.
Ah! l’oiseau magique dont j’ai tant aimé la voix !
C’est fini, il ne chantera plus au midi.
Faiblement j’ai perçu l’ultime bruissement d’aile,
Ultime note de ce chant que j’aimais tant.
Mais là-bas où croît le coquelicot de feu
Plus doux que le sommeil sur le sein de la nuit
Il est un chant d’oiseaux qui jamais ne s’envolent,
Tout là-bas où croît le coquelicot de feu.

***

Ah! Magic Bird

In summertime a bird sang on the bough.
His fluty throat throbbed rapture all day long.
I stopped to listen to his wondrous song
And catch the glinting shadows of the bough.
Ah! magic bird whose voice I loved so well!
No longer in the noontide will he sing.
I heard the last faint flutter of his wing,
The last note of the song I loved so well.
But yonder where the flaming poppies grow,
More soft than sleep upon the breast of night
Is song of birds that never take their flight
Yonder in fields where flaming poppies grow.

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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ALBUM (Ron Padgett)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2024




    
ALBUM

Les images mentales que je conserve de mes parents
et de mes grands-parents et de mon enfance
commencent à se briser en petits morceaux,
soufflés loin de moi dans l’espace vide,
par le même vent qui m’aspire là-bas si doucement,
si doucement qu’il ne dresse pas un seul de mes cheveux sur ma tête
(il faut dire qu’il n’y en a plus beaucoup à dresser).

L’idée de la mort comme la fin m’est aujourd’hui plus difficile à supporter.
Autrefois j’avais tendance à me demander
pourquoi les gens jugeaient la vie tragique ou triste.
N’est-elle pas également comique et drôle?
Et par-dessus tout, n’est-elle pas étonnante et merveilleuse?

Oui, mais seulement si on l’a.
Et je commence à ne plus l’avoir.
Les photos se désintègrent, comme si leurs molécules disaient « J’en ai assez »,
prêtes à s’en aller former une nouvelle configuration ailleurs.
Elles nous trahissent, ces particules, nous qui tes avons tant aimées.
Elles nous traitent comme des moins que rien.

(Ron Padgett)

 

Recueil: On ne sait jamais
Traduction: Claire Guillot
Editions: Joca Seria

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SONNET DU VIEUX MOI RENCONTRE (André Berry)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2024




    
SONNET DU VIEUX MOI RENCONTRÉ

Par un soir de Toussaint, le long de la Garonne,
Comme je cheminais aux confins de l’effroi,
Là-bas, entre les joncs que la vase environne,
J’ai vu dans le brouillard surgir mon ancien Moi.

C’était bien son grand pas, son humeur fanfaronne,
Ses cheveux décoiffés, sa mise en désarroi :
« Où donc est, me dit-il, ta première couronne?
Et ton lis de candeur? et ta robe de foi? »

Surpris, j’examinai l’étrange personnage :
Aussi pâle, aussi blond que moi dans mon jeune âge,
Assez fier, mais liant. Sans accepter sa main

Ni vouloir m’informer si de père ou de frère,
Si du présent moi-même était son caractère,
Embarrassé, confus, je suivis mon chemin.

(André Berry)

 

Recueil: Poèmes involontaires suivi du Petit Ecclésiaste
Traduction:
Editions: René Julliard

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Viens (Gisèle Prassinos)

Posted by arbrealettres sur 9 janvier 2024




    
Viens

Viens retournons là-bas
Dans les champs
les maisons de feuilles abritent encore nos ombres petites.
Regarde sur ton front la verte gloire n’est pas flétrie
– l’autre ne fut qu’un rêve –
et dans les vergers
les fruits d’alors n’ont pu décider
sans toi
de se changer en arbre.

Viens mon Rouge prends tes armes
j’ai mes chardons
et je m’appelle Fleur de cerisier.

Le temps n’est rien
il n’y a pas de lits pour nos morts
pas de fin pour nos figures
les corps mentent
les miroirs sont ivres.

(Gisèle Prassinos)

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Respirer (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 25 décembre 2023



Illustration: ArbreaPhotos
    
Respirer

Être ici
Mais dans l’esquive
Des mailles

Être là-bas
Mais dans la pulpe
Du fruit

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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Tout là-bas un ruisseau dans un pré (William Butler Yeats)

Posted by arbrealettres sur 17 octobre 2023



Illustration: He Zhihong
    
Tout là-bas un ruisseau dans un pré,
Dans ses narines l’odeur du foin coupé,
Le noble seigneur de Chou s’écria
En rejetant la neige des montagnes,
«Que passent toutes choses ».

Des roues que tournent des ânes d’un blanc laiteux
Où s’élevaient Ninive ou Babylone ;
Quelque conquérant, serrant la bride, cria
Aux guerriers repus de combats,
« Que passent toutes choses ».

Du coeur de l’homme saoulé de sang
Jaillissent ces branches du jour et de la nuit
Où s’accroche le disque criard de la lune.
Que disent toutes les chansons ?
«Que passent toutes choses ».

***

A rivery field spread out below,
An odour of the new-mown hay
In his nostrils, the great lord of Chou
Cried, casting off the mountain snow,
‘Let all things pass away.’

Wheels by milk-white asses drawn
Where Babylon or Nineveh Rose;
some conqueror drew rein
And cried to battle-weary men,
‘Let all things pass away.’

From man’s blood-sodden heart are sprung
Those branches of the night and day
Where the gaudy moon is hung.
What’s the meaning of all song?
‘Let all things pass away.’

(William Butler Yeats)

Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS

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L’ÎLE AU LAC D’INNISFREE (William Butler Yeats)

Posted by arbrealettres sur 17 octobre 2023




    
L’ÎLE AU LAC D’INNISFREE

Allons, je vais partir, partir pour Innisfree,
Et y bâtir une petite hutte d’argile et de rameaux tressés :
J’aurai là-bas neuf rangs de fèves, une ruche pour l’abeille à miel,
Je vivrai seul dans la clairière embourdonnée d’abeilles.

Là-bas j’aurai un peu de paix, car la paix tombe doucement
Des voiles du matin sur le chant du grillon ;
Là-bas minuit n’est que miroitement et midi y rougeoie d’une pourpre lueur,
Là-bas le soir est plein des ailes de linottes.

Allons je vais partir, car nuit et jour j’entends
L’eau du lac clapoter en murmures légers sur la rive ;
Arrêté sur la route ou sur les pavés gris,
Je l’entends dans le tréfonds du coeur.

***

THE LAKE ISLE OF INNISFREE

I will arise and go now, and go to Innisfree,
And a small cabin build there, of clay and wattles made:
Nine bean-rows will have there, a hive for the honey-bee,
And live alone in the bee-loud glade.

And I shall have some peace there, for peace comes dropping slow,
Dropping from the veils of the morning to where the cricket sings;
There midnight’s all a glimmer, and noon a purple glow,
And evening full of the linnet’s wings.

I will arise and go now, for always night and day
I hear lake water lapping with low sounds by the shore,
While I stand on the roadway, or on the pavements grey,
I hear it in the deep heart’s core.

(William Butler Yeats)

Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS

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Terre de septembre (Jean Fanchette)

Posted by arbrealettres sur 15 octobre 2023




    
Terre de septembre

Plainte du violoncelle dans l’âtre de septembre
Que de sanglots en rire avons-nous transformés
Le temps martèle en vain cette aire de mémoire
Quand l’automne du monde éclaire ton visage

Automne partagé entre l’or et le feu
La rame de septembre éloigne encore l’île
Là-bas la mer dans le temps immobile
Éparpille le feu du soleil de mémoire

L’oubli l’absence ont morcelé le coeur
Terre d’ici terre de septembre
Mes pas confiants dans tes chemins secrets
Apprennent ton histoire.

(Jean Fanchette)

Recueil: L’île Équinoxe
Editions: Philippe Rey

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