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Poésie

Posts Tagged ‘croître’

Tout regard est un leurre (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024




    
Tout regard est un leurre.
Un regard vrai
devrait demeurer dans ce qu’il regarde
ou du moins être le flux
qui l’irrigue et le fasse croître.

Toutes choses attendent ce regard.
Et si tout attend quelque chose,
cela peut-il ne pas exister ?

Chacun de nos regards peut-être
pourrait devenir celui que les choses attendent,
si nous savions nous déprendre de lui
comme quiconque donne un pain.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but (Frédéric Nietzsche)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024



 

Sylvie Lemelin_Des fleurs pour ArlequinWEB

Et ainsi Zarathoustra se mit à parler au peuple :
Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but.
Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Maintenant son sol est encore assez riche.
Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir,
où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !

Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante.

Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde.
Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.

Amour ? Création ? Désir ? Etoile ? Qu’est cela ?
Ainsi demande le dernier homme, et il cligne de l’œil.

La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout.
Sa race est indestructible comme celle du puceron; le dernier homme vit le plus longtemps.
Nous avons inventé le bonheur, – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.

Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur.
On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui: car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment.
Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables.
Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.

On travaille encore, car le travail est une distraction.
Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles.
Qui voudrait encore gouverner ?
Qui voudrait obéir encore?
Ce sont deux choses trop pénibles.

Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux :
qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
Autrefois tout le monde était fou, – disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.

On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé c’est ainsi que l’on peut railler sans fin.
On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt – car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.

Nous avons inventé le bonheur, – disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.

(Frédéric Nietzsche)

Illustration: Sylvie Lemelin

 

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LA QUINTESSENCE HUMAINE (William Blake)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2024



Illustration: William Blake
    
LA QUINTESSENCE HUMAINE

La Pitié n’existerait plus
Si nous n’avions pas créé le pauvre ;
Et la Compassion ne pourrait plus être
Si tous étaient aussi heureux que nous.

Et la crainte réciproque amène la Paix
Jusqu’à ce que grandissent les amours égoïstes.
Alors la Cruauté tend un piège
Et dispose ses appâts avec soin.

Elle s’assoit avec crainte, pieusement,
Et inonde le sol de pleurs ;
Puis l’Humilité prend racine
Sous son pied.

Bientôt s’étend l’ombre lugubre
Du Mystère sur sa tête
Et la chenille et la mouche
Se nourrissent du Mystère.

Il porte les fruits de la Ruse
Vermeils et doux à manger
Et le corbeau a fait son nid
Dans le plus épais de son ombre.

Les dieux de la terre et de la mer
Ont fouillé l’univers pour découvrir cet arbre,
Mais leurs recherches furent toujours vaines
Car il croît dans le Cerveau humain.

***

The Human Abstract (1794)

Pity would be no more
If we did not make somebody poor;
And Mercy no more could be
If all were as happy as we.

And mutual fear brings peace,
Till the selfish loves increase;
Then Cruelty knits a snare,
And spreads his baits with care.

He sits down with holy fears,
And waters the ground with tears;
Then Humility takes its root
Underneath his foot.

Soon spreads the dismal shade
Of Mystery over his head;
And the caterpillar and fly
Feed on the Mystery.

And it bears the fruit of Deceit,
Ruddy and sweet to eat;
And the raven his nest has made
In its thickest shade.

The Gods of the earth and sea
Sought thro’ Nature to find this tree;
But their search was all in vain:
There grows one in the Human brain.

(William Blake)

Recueil: Chants d’Innocence et d’Expérience
Traduction: traduction de l’anglais par Marie-Louise et Philippe Soupault
Editions: Les belles lettres

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PRÉSENCE (Jean Follain)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2024




    
PRÉSENCE

La villageoise qui n’aime pas sa fille
brandit contre elle
un imaginaire bâton
le cartel bat dans la ténèbre
elle n’a point sommeil encore
cette jeune tête menacée
d’où jusqu’à mi-corps descend
l’ample chevelure
qui croît, fauve, jour et nuit.

(Jean Follain)

Recueil: Exister suivi de Territoires
Editions: Gallimard

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L’oiseau magique (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024



Illustration: Bruno Feitussi
    
L’oiseau magique

Un oiseau dans l’été sur la branche a chanté.
il a joué tout le jour sa palpitante extase.
Pour l’écouter chanter ses merveilles j’ai fait halte
Pour saisir les ombres scintillantes de la branche.
Ah! l’oiseau magique dont j’ai tant aimé la voix !
C’est fini, il ne chantera plus au midi.
Faiblement j’ai perçu l’ultime bruissement d’aile,
Ultime note de ce chant que j’aimais tant.
Mais là-bas où croît le coquelicot de feu
Plus doux que le sommeil sur le sein de la nuit
Il est un chant d’oiseaux qui jamais ne s’envolent,
Tout là-bas où croît le coquelicot de feu.

***

Ah! Magic Bird

In summertime a bird sang on the bough.
His fluty throat throbbed rapture all day long.
I stopped to listen to his wondrous song
And catch the glinting shadows of the bough.
Ah! magic bird whose voice I loved so well!
No longer in the noontide will he sing.
I heard the last faint flutter of his wing,
The last note of the song I loved so well.
But yonder where the flaming poppies grow,
More soft than sleep upon the breast of night
Is song of birds that never take their flight
Yonder in fields where flaming poppies grow.

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

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LE VOYAGE (Boris Pasternak)

Posted by arbrealettres sur 16 janvier 2024




Illustration: Claude Monet
    
LE VOYAGE

Lancé derrière sa machine,
A pleins sifflets, le train rugit,
Et la forêt sent la résine,
Et sur les bords croît l’aubépine,
Et le lointain soudain surgit.

Et la voie file à toute allure,
Et se défont les chevelures,
Et l’air devient amer et sur
Quand la suie vole des bogies.

Les bielles, les cylindres hurlent,
Des rails s’échappent des éclairs.
Et l’aigle à la belle envergure
Escorte le chemin de fer.

Le train s’enfuit toujours plus vite,
Emmitouflé dans sa vapeur,
Mais la forêt du temps des mythes,
Qui vit jadis passer les Scythes,
Sans voir qu’alentour on s’agite,
Poursuit sa sieste de bon coeur.

Et loin, très, très loin, des cités
Dansent en lueurs clignotantes,
Et la machine haletante
Amène aux gares somnolentes
Des passagers tout hébétés.

La vieille gare enfin libère
Des flots pressés de voyageurs,
Des cheminots, des wagonnières,
Des contrôleurs, des conducteurs.

Et la voici, secrète, altière,
Qui se dérobe sous les yeux,
En arborant pavés de pierre
Dans un désordre cahoteux,
Affiches, niches, toits, gouttières,
Théâtres, clubs, hôtels, auberges,
Parcs, boulevards, épais tilleuls,

Portes cochères, cours, maisons,
Plaques, paliers, halls en rotonde,
Appartements où les passions
Exaspérées refont le monde.

(Boris Pasternak)

 

Recueil: Ma soeur la vie et autres poèmes
Traduction: sous la direction d’Hélène Henry
Editions: Gallimard

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ENTRE LA LUNE ET LE SOLEIL (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 8 novembre 2023



Illustration: Laurent Folco  
    
ENTRE LA LUNE ET LE SOLEIL

Je te le dis gracieuse et lumineuse
Ta nudité lèche mes yeux d’enfant
Et c’est l’extase des chasseurs heureux
D’avoir fait croître un gibier transparent
Qui se dilate en un vase sans eau
Comme une graine à l’ombre d’un caillou

Je te vois nue arabesque nouée
Aiguille molle à chaque tour d’horloge
Soleil étale au long d’une journée
Rayons tressés nattes de mes plaisirs

(Paul Eluard)

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Le printemps s’en vient (Anonyme)

Posted by arbrealettres sur 3 mars 2023




Illustration: ArbreaPhotos

    
le printemps s’en vient
les herbes croissent
d’elles-mêmes

***


(Anonyme)

Recueil: Cent reflets du paysage Petit traité de haïkus (François Berthier)
Editions: Arléa

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En voyant l’océan (Zao Zao)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2022



Illustration: Shan Sa
    
En voyant l’océan

Par l’orient, du haut de la montagne Jieshi,
J’envisage l’océan infini.
Des eaux bouillonnantes inlassables
Surgissent des pics abrupts et déchirés.
Des arbres y croissent en grappe
Et l’herbe riche forme ses tapis de sève.
Le vent d’automne soupire
Les hautes vagues barattent l’écume
Qu’elles jettent ensuite aux cimes des nues
Soleil et lune, en leur périple,
Semblent trouver là, naissance et repos.
Les étoiles en leur brillance constellée
Émergent de ses profondeurs marines.
Comme est grand mon ravissement !
Je le chante dans ces vers.

(Zao Zao)

(155-220)

 

Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel

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La belle vieille (François Maynard)

Posted by arbrealettres sur 10 octobre 2022



Illustration: Christelle Fontenoy 
    

La belle vieille

Cloris, que dans mon temps j’ai si longtemps servie
Et que ma passion montre à tout l’univers,
Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie
Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?

N’oppose plus ton deuil au bonheur où j’aspire.
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?
Sors de ta nuit funèbre, et permets que j’admire
Les divines clartés des yeux qui m’ont brûlé.

Où s’enfuit ta prudence acquise et naturelle ?
Qu’est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur ?
La folle vanité de paraître fidèle
Aux cendres d’un jaloux, m’expose à ta rigueur.

Eusses-tu fait le voeu d’un éternel veuvage
Pour l’honneur du mari que ton lit a perdu
Et trouvé des Césars dans ton haut parentage,
Ton amour est un bien qui m’est justement dû.

Qu’on a vu revenir de malheurs et de joies,
Qu’on a vu trébucher de peuples et de rois,
Qu’on a pleuré d’Hectors, qu’on a brûlé de Troies
Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois !

Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête,
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

C’est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née ;
C’est de leurs premiers traits que je fus abattu ;
Mais tant que tu brûlas du flambeau d’hyménée,
Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.

Je sais de quel respect il faut que je t’honore
Et mes ressentiments ne l’ont pas violé.
Si quelquefois j’ai dit le soin qui me dévore,
C’est à des confidents qui n’ont jamais parlé.

Pour adoucir l’aigreur des peines que j’endure
Je me plains aux rochers et demande conseil
A ces vieilles forêts dont l’épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.

L’âme pleine d’amour et de mélancolie
Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.

Ce fleuve impérieux à qui tout fit hommage
Et dont Neptune même endure le mépris,
A su qu’en mon esprit j’adorais ton image
Au lieu de chercher Rome en ses vastes débris.

Cloris, la passion que mon coeur t’a jurée
Ne trouve point d’exemple aux siècles les plus vieux.
Amour et la nature admirent la durée
Du feu de mes désirs et du feu de tes yeux.

La beauté qui te suit depuis ton premier âge
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser,
Et le temps, orgueilleux d’avoir fait ton visage,
En conserve l’éclat et craint de l’effacer.

Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,
Consulte le miroir avec des yeux contents.
On ne voit point tomber ni tes lys, ni tes roses,
Et l’hiver de ta vie est ton second printemps.

Pour moi, je cède aux ans ; et ma tête chenue
M’apprend qu’il faut quitter les hommes et le jour.
Mon sang se refroidit ; ma force diminue
Et je serais sans feu si j’étais sans amour.

C’est dans peu de matins que je croîtrai le nombre
De ceux à qui la Parque a ravi la clarté !
Oh ! qu’on oira souvent les plaintes de mon ombre
Accuser tes mépris de m’avoir maltraité !

Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre ?
Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi ?
Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre
De blâmer ta rigueur et de louer ma foi ?

Si je voyais la fin de l’âge qui te reste,
Ma raison tomberait sous l’excès de mon deuil ;
Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste
Et ferais jour et nuit l’amour à ton cercueil !

(François Maynard)

 

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