Prisonnier d’un bureau, je connais le plaisir
De goûter, tous les soirs, un moment de loisir.
Je rentre lentement chez moi, je me délasse
Aux cris des écoliers qui sortent de la classe ;
Je traverse un jardin, où j’écoute, en marchant,
Les adieux que les nids font au soleil couchant,
Bruit pareil à celui d’une immense friture.
Content comme un enfant qu’on promène en voiture,
Je regarde, j’admire, et sens avec bonheur
Que j’ai toujours la foi naïve du flâneur.
(François Coppée)
Recueil: Promenades et interieurs
Traduction:
Editions:
Un crépuscule couleur de figue
imprègne les rideaux,
une folie mûrit dans la bouche,
mais tu ne te demandes plus quand
ni qui l’avait plantée là,
tu sors le marteau et les clous
pour réparer le fauteuil cassé
dont tu ne peux te séparer
comme des mille autres échecs
qui arrondissent ton être.
(Aksinia Mihaylova)
Recueil: Le baiser du temps
Traduction:
Editions: Gallimard
Colin gardait un jour les vaches de son père ;
Colin n’avait pas de bergère,
Et s’ennuyait tout seul. Le garde sort du bois :
Depuis l’aube, dit-il, je cours dans cette plaine
Après un vieux chevreuil que j’ai manqué deux fois
Et qui m’a mis tout hors d’haleine.
Il vient de passer par là bas,
Lui répondit Colin : mais, si vous êtes las,
Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place,
Et j’irai faire votre chasse ;
Je réponds du chevreuil. – ma foi, je le veux bien.
Tiens, voilà mon fusil, prends avec toi mon chien,
Va le tuer. Colin s’apprête,
S’arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu’à regret,
Court avec lui vers la forêt.
Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête,
Et voilà le chevreuil… Colin impatient
Tire aussitôt, manque la bête,
Et blesse le pauvre Sultan.
À la suite du chien qui crie,
Colin revient à la prairie.
Il trouve le garde ronflant ;
De vaches, point ; elles étaient volées.
Le malheureux Colin, s’arrachant les cheveux,
Parcourt en gémissant les monts et les vallées ;
Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,
Et lui conte en tremblant l’affaire.
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier,
Corrige son cher fils de ses folles idées,
Puis lui dit : chacun son métier,
Les vaches seront bien gardées.
La vérité, toute nue,
Sortit un jour de son puits.
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits ;
Jeune et vieux fuyaient à sa vue.
La pauvre vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
À ses yeux vient se présenter
La fable, richement vêtue,
Portant plumes et diamants,
La plupart faux, mais très brillants.
Eh ! Vous voilà ! Bon jour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La vérité répond : vous le voyez, je gèle ;
Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous : hélas ! Je le vois bien,
Vieille femme n’obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue :
Mais aussi, dame vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit : tenez, arrangeons-nous ;
Qu’un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
À cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée :
Servant, par ce moyen, chacun selon son goût,
Grâce à votre raison, et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.
Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j’entraîne avec moi plus d’un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d’en sortir même pour un moment ?
J’entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pêle-mêle, les passagers et les marins,
Et j’éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs.
Patapim, Patapam,
Je ne sais d’où elle est sortie,
Elle ne m’a même pas regardé,
Et j’ai perdu tout de suite
Et la faim et la soif.
Patapim, Patapam,
Je ne sais ce qui m’arrive,
Et sans aucune pitié,
Elle va son chemin,
Elle chemine tout droit,
Je ne sais pas son nom,
Pour moi, c’est l’Enchantée,
Pour la voir passer,
Moi, je me mets ici,
Tous les matins à la guetter,
Je ne sais pas son nom,
Pour moi, c’est l’Enchantée,
Je ne fais qu’y penser
Et la nuit et le jour
Et le jour et la nuit.
Moi, toujours j’avais su,
Et dire non et dire adieu,
Moi, jamais je n’avais voulu,
Jamais prier homme ni Dieu,
Maintenant j’ai plié le genou,
Dans l’église, la tête baissée,
Pour mendier ce que je veux :
Respirer à côté d’elle.
De la terre ou du ciel,
Comme la foudre,
Et tout a chaviré,
Rien ne sera plus,
Non, jamais comme avant,
Ni le froid de la neige,
Ni le vert de la prairie,
Ni le chant d’un enfant,
Ni la marche du soleil
Qui fait courir les années.
Je ne sais pas son nom,
Pour moi, c’est l’Enchantée,
Et si ce n’est pas aujourd’hui,
Demain c’est sûr,
J’irai lui parler,
Je ne sais pas son nom,
Pour moi, c’est l’Enchantée,
Demain je lui dirai,
Je n’ai vécu jusqu’ici
Que pour vous rencontrer
***
L’ENCANTADA
Patapim,Patapam,
Non sèi d’on ei sortida,
Non m’a pas briga espiat,
E m’èi pergut suu pic,
E la hami e la set.
Patapim, Patapam,
Non sèi çò qui m’arriba,
E shens nada pieitat,
Que’n va lo son camin,
Que camina tot dret.
Non sèi pas lo son nom,
Tà jo qu’ei l’Encantada,
Tà la véder passar,
Jo que’m hiqui ací,
Tot matin a l’argueit,
Non sèi pas lo son nom,
Tà jo qu’ei l’Encantada,
Non hèi pas qu’i pensar
E la nueit e lo dia
E lo dia e la nueit.
Jo tostemps qu’avi sabut
E díser non e díser adiu,
Jo jamei n’avi volut,
Jamei pregar òmi ni Diu,
Ara qu’ei plegat lo jolh,
Dehens la gleisa capbaishat,
Tà mendicar çò qui voi,
Aledar au son costat.
De la tèrra o deu cèu,
Tau com la periclada,
E tot a capvirat,
Arren non serà mei,
Non jamei com avans,
Ni lo hred de la nèu,
Ni lo verd de la prada,
Ni lo cant d’un mainat,
Ni l’anar deu sorelh
Qui hè córrer los ans.
Non sèi pas lo son nom,
Tà jo qu’ei l’Encantada,
E si n’ei pas tà uei,
Tà doman qu’ei segur,
Que l’anirèi parlar,
Non sèi pas lo son nom,
Tà jo qu’ei l’Encantada,
Doman que’u diserèi,
Dinca ací qu’èi viscut
Sonque tà v’encontrar.