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Poésie

Posts Tagged ‘oublier’

Non-vision (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 9 Mai 2024




Non-vision

Heure nulle, citerne
où ma pensée
elle-même se boit.

Un instant immense
j’ai oublié mon nom.
Peu à peu je dénais,
diaphane avènement.

(Octavio Paz)

Illustration: Odilon Redon

 

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Les grands lys pâles (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024




    

Les grands lys pâles

Songez au sourire pâle des grands lys dans la nuit.
Ils ont des faces tristes et de beaux airs penchés ;
Leur regard s’allonge en lueur douce et poursuit
Ceux qui marchent dans le jardin le front penché.

Songez que les grands lys écoutent les paroles
Qui sortent des abîmes où sommeillent les cœurs.
Ils tendent comme des oreilles leurs corolles
Et ils n’oublient jamais le murmure des cœurs.

Ils écoutent si bien qu’ils entendent le silence ;
Ils entendent le bruit du sang dans les artères,
Ils entendent les épaules frissonner en silence.
Ils entendent ce qu’on fait et qu’on voudrait taire.

Les lys aux faces tristes entendent les dentelles
Que le vent et la vie gonflent sur les corsages,
Ils entendent les cheveux doux comme des dentelles
Qu’un souffle agite et tourmente en signe d’orage.

Les lys aux faces tristes regardent dans la nuit ;
Ils voient lorsque les mains se rapprochent tremblantes
D’avoir osé s’unir un instant dans la nuit,
Et leur sourire a des ironies complaisantes,

Car ils savent ce qu’ignorent les hommes et les femmes
Et ils pourraient prédire aux âmes leurs destins
Et enseigner aux hommes à lire le cœur des femmes :
Songez aux grands lys pâles indulgents et divins.

(Rémy de Gourmont)

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LE SOIR (Rémy de Gourmont)

Posted by arbrealettres sur 6 Mai 2024



Illustration
    
LE SOIR

Heure incertaine, heure charmante et triste : les roses
Ont un sourire si grave et nous disent des choses
Si tendres que nos coeurs en sont tout embaumés ;
Le jour est pâle ainsi qu’une femme oubliée,
La nuit a la douceur des amours qui commencent,
L’air est rempli de songes et de métamorphoses ;
Couchée dans l’herbe pure des divines prairies,
Lasse et ses beaux yeux bleus déjà presque endormis,
La vie offre ses lèvres aux baisers du silence.

Heure incertaine, heure charmante et triste : des voiles
Se promènent à travers les naissantes étoiles
Et leurs ailes se gonflent, amoureuses et timides,
Sous le vent qui les porte aux rives d’Atlantide ;
Une lueur d’amour s’allume comme un adieu
À la croix des clochers qui semblent tout en feu
Et à la cime hautaine et frêle des peupliers :
Le jour est pâle ainsi qu’une femme oubliée
Qui peigne à la fenêtre lentement ses cheveux.

Heure incertaine, heure charmante et triste : les heures
Meurent quand ton parfum, fraîche et dernière fleur,
Épanche sur le monde sa candeur et sa grâce :
La lumière se trouble et s’enfuit dans l’espace,
Un frisson lent descend dans la chair de la terre,
Les arbres sont pareils à des anges en prière.
Oh ! reste, heure dernière ! Restez, fleurs de la vie !
Ouvrez vos beaux yeux bleus déjà presque endormis…

Heure incertaine, heure charmante et triste : les femmes
Laissent dans leurs regards voir un peu de leur âme ;
Le soir a la douceur des amours qui commencent.
Ô profondes amours, blanches filles de l’absence,
Aimez l’heure dont l’oeil est grave et dont la main
Est pleine des parfums qu’on sentira demain ;
Aimez l’heure incertaine où la mort se promène,
Où la vie, fatiguée d’une journée humaine,
Entend chanter enfin, tout au fond du silence,
L’heure des songes légers, l’heure des indolences !

(Rémy de Gourmont)

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Quand il m’arrive d’oublier (Jean-François Mathé)

Posted by arbrealettres sur 4 Mai 2024




    
Quand il m’arrive d’oublier que vous êtes morts,
je vous entends venir,
comme du vent plein d’arbres,
rendre toutes ses feuilles à ma mémoire.

Tout ce temps que vous rapportez,
ma maison si petite aujourd’hui
le contient à peine,

seule s’agrandit la page,
mieux éclairée par vos ombres que par des lampes,
où j’écris ce que vous me murmurez.

(Jean-François Mathé)

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ANALOGUE (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 12 avril 2024




    
ANALOGUE

Oui, joins les mains et prie…
Que tu pries est dans l’air…
Je sens que l’âme est prise
A tout ce que tu penses…

Il n’y a pas de chapelle,
Mais la paix de te croire
Rien que priant : en elle,
Moi, te rêver, te voir…

Rien de tout ça n’est sûr…
Tu souris, tu souris,
Et des nuages près
Planent de leurs profils…

De tous je ne sais rien.
Et je les aime tous…
Dans les nues je m’oublie
Et alors je m’appelle…

Mais le chant a cessé
Qui m’avait fait rêver
Tout cet enchantement…
Laisse-moi ne pas te trouver…

(Fernando Pessoa)

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Bacchante triste (Renée Vivien)

Posted by arbrealettres sur 7 avril 2024



Bacchante triste

LE jour ne perce plus de flèches arrogantes
Les bois émerveillés de la beauté des nuits,
Et c’est l’heure troublée où dansent les Bacchantes
Parmi l’accablement des rythmes alanguis.

Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,
Leurs pieds vifs sont légers comme l’aile des vents,
Et le rose des chairs, la souplesse des lignes,
Ont peuplé la forêt de sourires mouvants.

La plus jeune a des chants qui rappellent le râle :
Sa gorge d’amoureuse est lourde de sanglots.
Elle n’est point pareille aux autres, — elle est pâle ;
Son front a l’amertume et l’orage des flots.

Le vin où le soleil des vendanges persiste
Ne lui ramène plus le généreux oubli ;
Elle est ivre à demi, mais son ivresse est triste,
Et les feuillages noirs ceignent son front pâli.

Tout en elle est lassé des fausses allégresses.
Et le pressentiment des froids et durs matins
Vient corrompre la flamme et le miel des caresses.
Elle songe, parmi les roses des festins.

Celle-là se souvient des baisers qu’on oublie…
Elle n’apprendra pas le désir sans douleurs,
Celle qui voit toujours avec mélancolie
Au fond des soirs d’orgie agoniser les fleurs.

(Renée Vivien)

Illustration: Charles Gleyre

 

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Nous oublions (Charles Juliet)

Posted by arbrealettres sur 6 avril 2024



Illustration: Ludovic Florent
    
nous oublions

pour pouvoir
avancer
nous oublions

et nous errons
dans la soif

puis nous
croulons

nous traînons
encore
un instant

et nous découvrons
soudain que nul
n’en réchappe

que la poussière
reprend toujours
ce qu’elle enfanta

(Charles Juliet)

Recueil: Ce pays de silence précédé de Trop ardente et L’Inexorable
Editions: P.O.L.

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Pourquoi (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 1 avril 2024




    
Pourquoi les feuilles occupent-elles le lieu des feuilles
et non celui qui reste entre les feuilles ?
Pourquoi ton regard occupe-t-il le vide qui est devant la raison
et non celui qui est derrière ?
Pourquoi te souviens-tu que la lumière meurt
et par contre oublies-tu que l’ombre meurt aussi ?

Pourquoi s’affine le coeur de l’air
jusqu’à ce que le chant devienne un autre vide dans le vide ?.
Pourquoi ne fais-tu silence à l’endroit même
où mourir est la juste présence
suspendue à l’arbre de sa propre vie ?

Pourquoi ces traits où le corps cesse
et non un autre corps et un autre et un autre ?
Pourquoi cette courbe du pourquoi et non le signe
d’une droite sans fin avec un point dessus ?

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Pense aux autres (Mahmoud Darwich)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024




    
Pense aux autres

Pense aux autres

Quand tu prépares ton petit-déjeuner,
pense aux autres.
(N’oublie pas le grain aux colombes.)

Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres.
(N’oublie pas ceux qui réclament la paix.)

Quand tu règles la facture d’eau, pense aux autres.
(Qui tètent les nuages.)

Quand tu rentres à la maison, ta maison,
pense aux autres.
(N’oublie pas le peuple des tentes.)

Quand tu comptes les étoiles pour dormir,
pense aux autres.
(Certains n’ont pas le loisir de rêver.)

Quand tu te libères par la métonymie,
pense aux autres.
(Qui ont perdu le droit à la parole.)

Quand tu penses aux autres lointains,
pense à toi.
(Dis-toi : Que ne suis-je une bougie dans le noir ?)

(Mahmoud Darwich)

Recueil: Comme des fleurs d’amandiers ou plus loin
Editions: Actes Sud

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JE SAIS (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024




    
JE SAIS

Je sais
Le coeur qui bat trop fort
et le plaisir des dieux à embrasser
les corps des diables amoureux

L’irrésistible attrait du désir interdit
et les peaux affolées
dans les replis du lit

La sauvage emmêlée les appétits de fauve
l’appel et le rejet les secrets de l’alcôve

Les amants séparés
par la distance et par les heures
les secondes d’éternité crispées sur la douleur

Les impatiences extrêmes les rendez-vous manqués
les taxis qui se traînent quand le corps est pressé

Je sais le feu aux joues
les yeux de braise, les faims de loup
les baisers dans le cou le vent qui rend les amant fous

Je sais

Les aveux suspendus à la bouche cousue
l’incendie des nuits blanches la retenue qui flanche

La rivière des souhaits sous le pont des soupirs
et le poids d’un sourire sur l’arche des regrets

Je sais

Je sais le peu de gratitude
le poison de l’ennui le désert de la solitude
et le froid qui détruit

La passion dans l’impasse
le mot blessant qui chasse le mot doux
qui retient le regard qui s’éteint

les «je t’aime», «je te hais»
le mal, le bien que l’on s’est faits
sans même l’avoir jamais cherché je sais l’aube désabusée

Je sais les mots de braise aux lèvres qui se taisent
et la peur qui nous hante et mes larmes brûlantes

Les appels au secours les signaux de détresse
désespérant d’amour et le vide qui oppresse

Je sais
le geste déplacé
tous les actes manqués
les mots qui dépassent la pensée
et les regards estomaqués

L’innocence des beaux jours les promesses oubliées
les serments pour toujours perdus à tout jamais

Je sais le feu qui passe et le spleen qui revient
le bras qui nous enlace et l’angoisse qui étreint

Mais je sais

Je sais les chagrins qui s’envolent au retour du printemps
et les humeurs frivoles sous le souffle du vent

Les frissons du désir et le temps qui s’étire
comme un chat langoureux comme un homme amoureux

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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