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Posts Tagged ‘lampe’

UN RÉVEIL (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 7 Mai 2024




UN RÉVEIL

À l’intérieur d’un rêve j’étais emmuré.
Ses murs n’avaient ni consistance
ni poids : leur vide était leur poids.
Les murs étaient des heures et les heures
pesanteur fixe, accumulée.
Le temps de ces heures n’était pas du temps.

Je sautai par une brèche : il était quatre heures
dans ce monde. La chambre était ma chambre
et dans chaque chose mon fantôme.
Je n’y étais pas. Je regardai par la fenêtre :
sous la lumière électrique pas une âme.
Réverbères en veille, neige sale,
maisons et voitures endormies, l’insomnie
d’une lampe, le chêne qui parle tout seul,
le vent et ses couteaux, l’écriture
des constellations, illisible.

En elles-mêmes les choses s’abîmaient
et mes yeux de chair les voyaient
accablées d’être, réalités
nues de leurs noms. Mes deux yeux
étaient des âmes en peine par le monde.
Dans la rue sans personne la présence
passait sans passer, dissipée
dans ses créatures, fixe dans ses mutations,
déjà devenue maisons, chênes, neige, temps.
Vie et mort fluaient confondues.
Regard inhabité, la présence
avec les yeux de personne me regardait :
faisceau de reflets sur précipices.
Je me retournai : la chambre était ma chambre
et je n’étais pas là. À l’être rien ne manque
– toujours plein de soi, jamais le même –
même si nous n’y sommes plus… Dehors,
encore indécises, des clartés :
l’aube entre des terrasses confuses.
Déjà les constellations s’effaçaient.

(Octavio Paz)

Illustration: Katerina Kockova  (Le Rêve d’un intellectuel fatigué)

 

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Intérieur (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 7 Mai 2024




Intérieur

Pensées en guerre
veulent briser mon front

Par des chemins d’oiseaux
avance l’écriture

La main pense à voix haute
le mot en convie un autre

Sur la feuille où j’écris
vont et viennent les êtres que je vois

Le livre et le cahier
replient les ailes et reposent

On a déjà allumé les lampes
comme un lit l’heure s’ouvre et se ferme

Les bas rouges et le visage clair
vous entrez toi et la nuit

***

Interior

Pensamientos en guerra
quieren romper mi frente

Por caminos de pájaros
avanza la escritura

La mano piensa en voz alfa
una palabra llama a otra

En la hoja en que escribo
van y vienen los seres que veo

El libro y el cuaderno
repliegan las alas y reposan

Ya encendieron las lámparas
la hora se abre y cierra como un lecho

Con medias rojas y cara pálida
entran tú y la noche

(Octavio Paz)

Illustration: Giuseppe de Nittis

 

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INTIMITÉ (Albert Lozeau)

Posted by arbrealettres sur 7 Mai 2024



Illustration: Raymond Peynet
    
INTIMITÉ

En attendant le jour où vous viendrez à moi,
Les regards pleins d’amour, de pudeur et de foi,
Je rêve à tous les mots futurs de votre bouche,
Qui sembleront un air de musique qui touche

Et dont je goûterai le charme à vos genoux…
Et ce rêve m’est cher comme un baiser de vous!
Votre beauté saura m’être indulgente et bonne,
Et vos lèvres auront le goût des fruits d’automne !

Par les longs soirs d’hiver, sous la lampe qui luit,
Douce, vous resterez près de moi, sans ennui,
Tandis que feuilletant les pages d’un vieux livre,
Dans les poètes morts je m’écouterai vivre;

Ou que, songeant depuis des heures, revenu
D’un voyage lointain en pays inconnu,
Heureux, j’apercevrai, sereine et chaste ivresse,
A mon côté veillant, la fidèle tendresse!

Et notre amour sera comme un beau jour de mai,
Calme, plein de soleil,joyeux et parfumé!
Et nous vivrons ainsi, dans une paix profonde,

Isolés du vain bruit dont s’étourdit le monde,
Seuls comme deux amants qui n’ont besoin entre eux
Que de se regarder, pour s’aimer, dans les yeux!

(Albert Lozeau)

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Quand il m’arrive d’oublier (Jean-François Mathé)

Posted by arbrealettres sur 4 Mai 2024




    
Quand il m’arrive d’oublier que vous êtes morts,
je vous entends venir,
comme du vent plein d’arbres,
rendre toutes ses feuilles à ma mémoire.

Tout ce temps que vous rapportez,
ma maison si petite aujourd’hui
le contient à peine,

seule s’agrandit la page,
mieux éclairée par vos ombres que par des lampes,
où j’écris ce que vous me murmurez.

(Jean-François Mathé)

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Tu me plais quand tu te tais (Pablo Neruda)

Posted by arbrealettres sur 27 avril 2024



Illustration: Leslie Adams
    
Tu me plais quand tu te tais car tu es comme absente,
et tu m’entends de loin, et ma voix point ne te touche.
On dirait que tes yeux se seraient envolés
et on dirait qu’un baiser t’aurait scellé la bouche.

Comme toutes les choses sont emplies de mon âme
tu émerges des choses, de toute mon âme emplie.
Papillon de songe, tu ressembles à mon âme,
et tu ressembles au mot mélancolie.

Tu me plais quand tu te tais et sembles distante.
Et tu sembles gémir, papillon dans la berceuse.
Et tu m’entends de loin, et ma voix ne t’atteint pas :
laisse-moi me taire avec ton silence.

Laisse-moi aussi te parler avec ton silence.
clair comme une lampe, simple comme un anneau.
Tu es comme la nuit, muette et constellée.
Ton silence est d’étoile, si lointain et simple.

Tu me plais quand tu te tais car tu es comme absente.
Distante et endolorie comme si tu étais morte.
Un mot alors, un sourire suffisent.
Et la joie que ce ne soit pas vrai, la joie m’emporte.

***

Me gustas cuando callas porque estás como ausente,
y me oyes desde lejos, y mi voz no te toca.
Parece que los ojos se te hubieran volado
y parece que un beso te cerrara la boca.

Como todas las cosas están llenas de mi alma
emerges de las cosas, llena del alma mía.
Mariposa de sueño, te pareces a mi alma,
y te pareces a la palabra melancolía.

Me gustas cuando callas y estás como distante.
Y estás como quejándote, mariposa en arrullo.
Y me oyes desde lejos, y mi voz no te alcanza :
Déjame que me calle con el silencio tuyo.

Déjame que te hable también con tu silencio
claro como una lámpara, simple como un anillo.
Eres como la noche, callada y constelada.
Tu silencio es de estrella, tan lejano y sencillo.

Me gustas cuando callas porque estás como ausente.
Distante y dolorosa como si hubieras muerto.
Una palabra entonces, una sonrisa bastan.
Y estoy alegre, alegre de que no sea cierto.

(Pablo Neruda)

Recueil: Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée suivi des vers du capitaine
Traduction: Claude Couffon et Christian Rinderknecht
Editions: Gallimard

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S’allument soudain toutes les lampes (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024




    
S’allument soudain toutes les lampes
et la lumière nous exténue
comme un drap trop blanc
pour qu’on puisse s’en couvrir.

L’écheveau intérieur
lui prête alors un peu de son fil,
un peu de sa réserve d’ombre,
pour modérer le tissu éclatant
et que l’homme puisse se couvrir.

Le tout de la lumière
est plus insupportable que le néant.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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L’illustre soumission (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2024




 Illustration: Johann Gosselet
    
L’illustre soumission
selon quoi la vie nous rend à la pierre
n’est pas simplement le halo
d’une lampe qui s’éteint,
mais le geste précis
d’une lampe qui jamais ne s’alluma.

Et les lampes qui jamais ne s’allumèrent abaissent les visages
et les filtrent au sûr tamis de la terre.

Peut-être le seul objet de la vie est-il de refléter le corps aveugle
des lampes qui jamais ne s’allumèrent.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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La vie déconcerte les coins obscurs (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024



Illustration: Drew Ernst
    
La vie déconcerte les coins obscurs,
dénoue les mains vers le dehors
et relève les bouches qui tombent.

Mais la vie joue aussi à ne pas vivre.
Ainsi, de temps en temps,
allume des lampes en plein jour,
apprivoise des escaliers
et commence à n’être rien comme Dieu.
Alors, l’amour fait des clins d’oeil à la mort
et ton oreille me regarde, non m’écoute

Et parfois, dans son jeu,
la vie se déguise en plus de vie,
comme l’âme en femme ou Dieu en Dieu.

Jusqu’à ce que le songe le plus furtif
(le songe d’une pierre) la réveille.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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POÈME DE LA SOLEÁ (Federico Garcia Lorca)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024




    
POÈME DE LA SOLEÁ
ÉVOCATION

Terre sèche,
terre sage
des nuits
immenses.

(Vent sur l’oliveraie,
vent sur la montagne.)

Terre
vieille
de la lampe
et de la peine.
Terre
des citernes profondes.
Terre
de la mort sans yeux,
terre des flèches.

(Vent sur les routes.
Brise dans les peupliers.)

***

POEMA DE LA SOLEA
EVOCACIÓN

Tierra seca,
tierra quieta
de noches
inmensas.

(Viento en el olivar,
viento en la sierra.)

Tierra
vieja
del candil
y la pena.
Tierra
de las hondas cisternas.
Tierra
de la muerte sin ojos
y las flechas.

(Viento por los caminos.
Brisa en las alamedas.)

(Federico Garcia Lorca)

Recueil: Romancero gitan Poème du chant profond
Traduction: Claude Esteban
Editions: Aubier

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La fièvre aux tempes (Frankétienne)

Posted by arbrealettres sur 20 février 2024



Illustration: Salvador Dali
    
La fièvre aux tempes, le corps entransé de désirs,
je me couche dans le vif de ma lampe,
j’apprends à dormir au centre de ma flamme.
Et je prépare mon réveil aux éclats de mes songes.

Par effraction, je m’installe au plus profond du mystère
à la recherche de mes noeuds.
Je brûle mes livres mes images mes parasites mes vermines
et mes yeux pour la permanence du refus,
le bourgeonnement du cri, la germination du sang
et la résonance de mes gouffres.

Masque et métamorphose.
D’avoir marché
D’avoir tant vu
D’avoir trop lu
D’avoir trop dit
D’avoir changé
D’avoir dansé
Et d’avoir trébuché si souvent
Nous nous méfions des grimaces de nos ombres.

Une lueur de sang creuse la passion du voyeur
enfiévré par la lumière du massacre
La phrase du crime assassine le sommeil du témoin
Tympan crevé en héritage
La surdité du ciel
La solitude du pouvoir

(Frankétienne)

Recueil: Anthologie secrète
Editions: Mémoire d’encrier

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