Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘obscur’

Peut-être avons-nous le sentiment d’avancer (Christophe Manon)

Posted by arbrealettres sur 17 avril 2024




Illustration: Gilbert Garcin
    
Peut-être
avons-nous
le sentiment d’avancer
quand nous tournons en rond
et que nous creusons
sans même y prendre garde
avec persévérance
la fosse
où nos os blanchiront
ainsi
nous marchons
nus frêles
et tremblants
à notre obscur destin.

*

Peinant et suant
comme bêtes de somme
sous le soleil
d’aplomb poing tendu
vers le ciel vide
avec entre les dents
ce petit os à ronger
— mais nul ne sait
quand cela cessera.

(Christophe Manon)

Recueil: Provisoires
Editions: NOUS

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

La créature impavide qui m’épie (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2024




    
La créature impavide qui m’épie
soulève parfois un léger rideau sombre
qui tremble comme s’il était un coeur.
Autour de lui nous tournons l’un et l’autre,
autour de cette contexture tiède
de fumée presque sans rêve.
Mais il arrive que le rideau vibratile
tourne autour de nous
et lève à son tour l’extrême
de cet obscur regard qui nous unit ou sépare,
cette peau aérienne qui devrait être chair
et non pas être dans l’air,
ce voile suspect d’attentes.
Épiant et épié, nous sentons alors
qu’on nous épie l’un et l’autre,
jusqu’à ce que nous soyons définitivement unis
ou définitivement séparés.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Il se pourrait (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 31 mars 2024



Illustration: Eric Principaud
    
Il se pourrait que la clarté soit dans le dos
et pivote avec moi
quand je me retourne vivement pour la surprendre.

Il se pourrait que cette apparence de jeu soit la plus
sérieuse donnée physiologique
et que la clarté soit une partie de moi,
celle de derrière.

Il se pourrait qu’il n’y ait pas eu erreur mais pureté :
la clarté, sans mains ;
les yeux donc, près d’autres yeux.

Il se pourrait que tout tende à ouvrir quelque chose,
à nous mettre les mains ou les yeux
dans l’unique clarté tangible,
dans le dos de l’autre,
nous apprenant à faire volte-face dans l’autre.

Il se pourrait que la clarté soit un organe
pour multiplier l’obscur à travers nous,
par on ne sait quelle affaire sans nous.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

La vie déconcerte les coins obscurs (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 30 mars 2024



Illustration: Drew Ernst
    
La vie déconcerte les coins obscurs,
dénoue les mains vers le dehors
et relève les bouches qui tombent.

Mais la vie joue aussi à ne pas vivre.
Ainsi, de temps en temps,
allume des lampes en plein jour,
apprivoise des escaliers
et commence à n’être rien comme Dieu.
Alors, l’amour fait des clins d’oeil à la mort
et ton oreille me regarde, non m’écoute

Et parfois, dans son jeu,
la vie se déguise en plus de vie,
comme l’âme en femme ou Dieu en Dieu.

Jusqu’à ce que le songe le plus furtif
(le songe d’une pierre) la réveille.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Discours d’ouverture du Congrès littéraire international – 7 juin 1878 (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024




    
Discours d’ouverture du Congrès littéraire international – 7 juin 1878

[…]

Ah ! la lumière !
la lumière toujours !
la lumière partout !

Le besoin de tout c’est la lumière.
La lumière est dans le livre.
Ouvrez le livre tout grand.
Laissez-le rayonner, laissez-le faire.

Qui que vous soyez
qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser,
mettez des livres partout ;
enseignez, montrez, démontrez ;
multipliez les écoles ;
les écoles sont les points lumineux de la civilisation.

Vous avez soin de vos villes,
vous voulez être en sûreté dans vos demeures,
vous êtes préoccupés de ce péril, laisser la rue obscure ;
songez à ce péril plus grand encore, laisser obscur l’esprit humain.

Les intelligences sont des routes ouvertes ;
elles ont des allants et venants,
elles ont des visiteurs, bien ou mal intentionnés,
elles peuvent avoir des passants funestes ;
une mauvaise pensée est identique à un voleur de nuit,
l’âme a des malfaiteurs ; faites le jour partout ;

ne laissez pas dans l’intelligence humaine
de ces coins ténébreux où peut se blottir la superstition,
où peut se cacher l’erreur, où peut s’embusquer le mensonge.

L’ignorance est un crépuscule ; le mal y rôde.
Songez à l’éclairage des rues, soit ;
mais songez aussi, songez surtout,
à l’éclairage des esprits.

[…]

(Victor Hugo)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE CAFÉ (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024



 


   
LE CAFÉ

D’où remonte que noir est le café en tasse,
Profond dès sa surface ? Et que peut-il vouloir,
Que veut-il que je fasse autre chose que boire
Ce breuvage de choix rallongé d’eau fadasse ?

Hé ! il vient de la nuit qui affleure au matin,
Tel un miroir sans tain où la ténèbre luit.
À sept heures moins vingt un relent de minuit.
Tout l’obscur s’amenuise au clair du kaolin.

Le vieux fond de mystère en fumée se dissipe.
Le principe s’éclaire aux abords de la lippe.
Les lointains amenés sur les rivages sus

Délaissent l’ambigu pour la clarté donnée
À travers le feuillu d’un coeur acuminé.
Attaquons la journée maintenant que c’est bu.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

ROSACES SOUS L’ANGLE D’OR (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2024




    

ROSACES SOUS L’ANGLE D’OR

Lorsque nous nous regardons
Des nappes de neige étincellent
Sous le soleil qui se rapproche

Des fenêtres ouvrent leurs bras
Tout le long de la voie du bien
S’ouvrent des mains et des oiseaux
S’ouvrent les jours s’ouvrent les nuits
Et les étoiles de l’enfance
Aux quatre coins du ciel immense
Par grand besoin chantent menu

Lorsque nous nous regardons
La peur disparaît le poison
Se perd dans l’herbe fine fraîche

Les ronces dans les temples morts
Tirent de l’ombre enracinée
Leurs fruits ardents rouges et noirs
Le vin de la terre écumante
Noie les abeilles en plein vol
Et les paysans se souviennent
Des années les mieux enfournées

Lorsque nous nous regardons
La distance s’ouvre les veines
Le flot touche à toutes les plages

Les lions les biches les colombes
Tremblants d’air pur regardent naître
Leur semblable comme un printemps
Et l’abondante femme mère
Accorde vie à la luxure
Le monde change de couleur
Naissance contrarie absence

Lorsque nous nous regardons
Les murs brûlent de vie ancienne
Les murs brûlent de vie nouvelle
Dehors le lit de la nature
Est en innocence dressé
Crépusculaire le ciel baigne
Ta sanglotante et souriante
Figure de musicienne
Toujours plus nue esclave et reine
D’un feuillage perpétuel

Lorsque nous nous regardons
Toi la limpide moi l’obscur
Voir est partout souffle et désir

Créent le premier le dernier songe.

(Paul Eluard)

Recueil: Le livre ouvert 1938-1944
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

À la joie (Missak Manouchian)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024



bsp;


   &n
À la joie

Ô joie, souffle enthousiaste,
Quand tu jaillis des cœurs gros de chagrins,
De détresse et de souffrance,
Doux et fécond est ton torrent de volupté !

Sur tes visages, tel un baiser de lumière,
Tantôt tu répands une ineffable rêverie,
Tantôt tu allumes de multiples appels lancinants
Dans les yeux, comme un inextinguible feu.
Tu es semblable à ces sources limpides
Venues du plus profond des montagnes…
Et qui comme les abondants ruisseaux printaniers
Donnent la vie à tous dans leur course.

Fertilisée par les ardeurs de l’hiver,
Aimée par le baiser ivre du soleil,
Tu es parfois une oasis née du sable,
Où d’innombrables lassitudes viennent te bénir.
Ô joie, lumière débordante,
Toi, fontaine enchantée, feu, sacré,
Telle la clarté vivifiante du soleil,
Sois inépuisable pour les cœurs obscurs !…

(Missak Manouchian)

Recueil: Ivre d’un grand rêve de liberté
Traduction: Stéphane Cermakian
Editions: Points

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

J’AI ACCEPTÉ DE NE PAS SAVOIR (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024




    
J’AI ACCEPTÉ DE NE PAS SAVOIR

Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Jamais de ma vie je n’ai fait de mal à une énigme :
je n’en ai résolu aucune.
Même pas celles qui voulaient mourir
aux côtés de mon enfance :
j’ai dans mon petit tonneau deux petits vins différents.
Je l’ai gardée jusqu’à présent
intacte inexpliquée,
car jusqu’à présent
deux petits vins différents, c’est ce que contient
tout ce qui m’arrive, soluble ou insoluble.
J’ai cohabité rudement
avec un grand moine qui n’a pas d’os
sans jamais lui demander
de quel feu il est le fils,
vers quel dieu il monte et me quitte.

Je n’ai pas réduit le nombre
des êtres masqués du monde,
j’ai nourri le mystère du monde
par sacrifices et privations.
Avec le sang qui m’a été donné
pour l’expliquer.

Ce qui est venu les yeux bandés
avec des intentions cachées
je m’en suis séparée
tel que je l’avais reçu :
Énigme empruntée,
énigme rendue.
J’ai accepté de ne pas savoir
comment se résout un hier,
un ça dépend,
l’énigme des asymptotes.
J’ai accepté de ne pas savoir ce que je touche,
un visage ou un je suis pressé.

Toi je ne t’ai pas non plus tiré dans la lumière
pour mieux te voir.
Je suis restée Pénélope
dans ton incurie obscure.
Et si une fois j’ai demandé comment te résoudre,
et si tu es source ou fontaine,
ce devait être un jour d’été
où, Pénélopes ou non,
s’empare de nous ce démon de l’eau
pour que grâces soient rendues à l’énigme
de ce que nous gardons notre soif.
Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Sans péché :
avec ma soif.

Vers l’énigme de la mort
je m’en vais bravement.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

PASSÉE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Illustration: ArbreaPhotos
    
PASSÉE

Je marche et la nuit tombe.
Je décide et la nuit tombe.
Non, je n’ai pas de chagrin.

J’ai été curieuse et studieuse.
Je sais un peu de tout. Rien qu’un peu.
Le nom des fleurs quand elles se fanent,
et quand les mots verdissent et quand nous avons froid.
La serrure des sentiments si simple à ouvrir
avec la moindre clé d’oubli.
Non, je n’ai pas de chagrin.

Passée par des journées de pluie
je me suis tendue derrière
ces barbelés liquides
patiente, inaperçue,
comme la douleur des arbres
quand l’ultime feuille les quitte
et comme la peur des courageux.
Non, je n’ai pas de chagrin.

Passée par des jardins, m’arrêtant aux fontaines
j’ai vu plein de petites statues sourire
à d’invisibles causes de joie.
Et des petits Amours vantards.
Leurs arcs bandés sont apparus
demi-lunes dans mes nuits mes rêveries.
J’ai fait bien des beaux rêves
et me suis vue oubliée.
Non, je n’ai pas de chagrin.

J’ai beaucoup marché parmi les sentiments,
les miens et ceux des autres,
et il restait toujours de la place entre eux
pour le passage du temps si large.
Passée par des bureaux de poste j’y suis repassée.
J’ai écrit, réécrit des lettres
et inlassable j’ai prié le dieu des réponses.
J’ai reçu des cartes brèves :
cordial adieu de Patras
et les salutations de la vieille Tour de Pise.
Non, je n’ai pas de chagrin de voir le jour vieillir.

J’ai beaucoup parlé. Aux gens,
aux lampadaires, aux photos.
Beaucoup aux chaînes aussi.
J’ai appris à lire les mains
et à perdre les mains.
Non, je n’ai pas de chagrin.

J’ai même voyagé.
Je suis allée par-ci, allée par-là …
Partout le monde prêt à vieillir.
J’ai perdu par-ci, perdu par-là.
Perdu à cause de mon attention
et de mon inattention.
Je suis allée aussi à la mer.
On me devait une étendue. Disons que je l’ai eue.
J’ai craint la solitude
j’ai imaginé des gens.
Je les ai vus tomber
de la main d’une poussière tranquille,
qui traversait un rayon de soleil
et d’autres du son d’une cloche minuscule.
J’ai retenti dans des carillons
de désert orthodoxe.
Non, je n’ai pas de chagrin.

J’ai même pris feu et me suis consumée.
J’ai même eu droit à l’expérience des lunes.
Leur disparition au-dessus des mers et des yeux,
obscure, m’a aiguisée.
Non, je n’ai pas de chagrin.

Autant que j’ai pu j’ai résisté au fleuve
quand il était plein d’eau,
j’ai vu de l’eau tant que c’était possible
dans les rivières à sec
et elles m’ont emportée.

Non, je n’ai pas de chagrin.
La nuit tombe à l’heure juste.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »