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Poésie

Posts Tagged ‘énigme’

ÉNIGME (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 9 Mai 2024




ÉNIGME

Seigneur du vertige,
l’épervier
solitaire dans la hauteur
trace un signe,
aussitôt
évanoui dans la lumière, dans l’air.
Obstiné, de l’aube jusqu’au soir
il le répète.
Il dessine, sans le savoir,
une question :
le pouvoir est-il liberté,
la liberté est-elle destin ?
Lumière et air.

(Octavio Paz)

Illustration

 

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J’AI ACCEPTÉ DE NE PAS SAVOIR (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 22 février 2024




    
J’AI ACCEPTÉ DE NE PAS SAVOIR

Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Jamais de ma vie je n’ai fait de mal à une énigme :
je n’en ai résolu aucune.
Même pas celles qui voulaient mourir
aux côtés de mon enfance :
j’ai dans mon petit tonneau deux petits vins différents.
Je l’ai gardée jusqu’à présent
intacte inexpliquée,
car jusqu’à présent
deux petits vins différents, c’est ce que contient
tout ce qui m’arrive, soluble ou insoluble.
J’ai cohabité rudement
avec un grand moine qui n’a pas d’os
sans jamais lui demander
de quel feu il est le fils,
vers quel dieu il monte et me quitte.

Je n’ai pas réduit le nombre
des êtres masqués du monde,
j’ai nourri le mystère du monde
par sacrifices et privations.
Avec le sang qui m’a été donné
pour l’expliquer.

Ce qui est venu les yeux bandés
avec des intentions cachées
je m’en suis séparée
tel que je l’avais reçu :
Énigme empruntée,
énigme rendue.
J’ai accepté de ne pas savoir
comment se résout un hier,
un ça dépend,
l’énigme des asymptotes.
J’ai accepté de ne pas savoir ce que je touche,
un visage ou un je suis pressé.

Toi je ne t’ai pas non plus tiré dans la lumière
pour mieux te voir.
Je suis restée Pénélope
dans ton incurie obscure.
Et si une fois j’ai demandé comment te résoudre,
et si tu es source ou fontaine,
ce devait être un jour d’été
où, Pénélopes ou non,
s’empare de nous ce démon de l’eau
pour que grâces soient rendues à l’énigme
de ce que nous gardons notre soif.
Je quitte le monde des mystères
tranquillement.
Sans péché :
avec ma soif.

Vers l’énigme de la mort
je m’en vais bravement.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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À force de mystère … (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 29 janvier 2024



Illustration: Philippe Zacharie
    
À force de mystère …

À force de mystère
sous l’étoffe opaque et rigide
ton corps n’est plus
qu’indifférence à l’autre
mort des pudeurs de l’innocence
impudence hermétique
énigme qui se voue elle-même
à n’être plus qu’absence d’énigme

Ne sois pas inimaginable
et cachée. N’imite pas Dieu
couvre-toi de transparence
pour être désirée

(Robert Mallet)

 

Recueil: Presqu’îles presqu’amours
Editions: Gallimard

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Visage intarissable (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 17 décembre 2023




    
Visage intarissable

Visages d’années précises,
mais de telles énigmes !

Visages sans rumeurs
Visages à l’affût
Visages qui s’enfantent
Visages de limaille

Visages tels que vous êtes,
Et déjà n’êtes plus !

Jamais ne tarira le battement sous l’écorce
Ni ma soif de te dire

Visage le plus nu !

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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Épreuves du langage (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 14 octobre 2023



Andrée Chedid
    
Épreuves du langage
I

D’où vient le son
Qui nous ébranle
Où va le sens
Qui se dérobe
D’où vient le mot
Qui libère
Où va le chant
Qui nous entraîne
D’où surgit la parole
Qui comble le vide
Qui fauche le temps ?

II

Quel alphabet
Prend en compte
Nos clartés comme nos ombres
Quel langage
Raboté par nos riens
Ameute le souffle
Quel désir
Devient cadences
Images … métamorphoses
Quel cri
Se ramifie
Pour reverdir ailleurs
Quel poème
Fructifie
Pour se dire autrement ?

III

Issu de notre chair
Tissé de siècles
Et d’océans
Quel verbe
Criblera nos murs
Sondera nos puits
Modèlera nos saisons ?

Avec quels mots
Saisir les miettes
Du mystère
Qui nous enchâsse
Ou de l’énigme
Qui nous surprend ?

IV

Que veut la Poésie
Qui dit
Sans vraiment dire
Qui dévoie la parole
Et multiplie l’horizon

Que cherche-t-elle
Devant les grilles
De l’indicible
Dont nous sommes
Fleur et racine
Mais jamais ne posséderons ?

V

Ainsi chemine
Le langage
De terre en terre
De voix en voix

Ainsi nous devance
Le poème
Plus tenace que la soif
Plus affranchi que le vent !

(Andrée Chedid)

Recueil: Poèmes & Poèmes Les plus belles poésies de la langue française
Editions: Castor Poche

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Par ma fenêtre ouverte… (Lucie Delarue-Mardrus)

Posted by arbrealettres sur 13 juin 2023



Illustration: Edward Hopper
    
Par ma fenêtre ouverte…

Par ma fenêtre ouverte ou la clarté s’attarde,
Dans la douceur du soir printanier, je regarde…

Chaque arbre, chaque toit qui s’élance dans l’air,
Tel le roc qui finit où commence la mer,
Marque la fin d’un monde au bord d’un autre monde.
Ici la terre et là le vide où, toute ronde,
Cette terre, toupie en marche dans l’éther,
Sans sa pauvre ceinture d’air
Ne serait à son tour qu’une lune inféconde.

Je contemple ce toit et cet arbre, montés
Vers l’insondable énigme et ses immensités.
En bas, la rue est calme et le printemps tranquille.
Rien ne trouble la paix de la petite ville.
On entend au lointain un merle. Il fait très beau.
C’est tout.
— Pourquoi mes yeux regardent-ils si haut ?

(Lucie Delarue-Mardrus)

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FOUILLES (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 13 janvier 2023




    
FOUILLES

Fouiller les sols
Jusqu’à saisir leur âme
Se déplacer dans l’espace
De notre terre
Face à l’infini cosmos

Se mouvoir d’un lieu
A l’autre
Faire face à l’énigme
Dans sa complexité

Épouser ses silences
Découvrir ses replis
Plonger dans ses secrets
Accéder au mystère.

(Andrée Chedid)

 

Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion

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Les frontières sont là (Inger Christensen)

Posted by arbrealettres sur 25 novembre 2022



    

les frontières sont là, les rues, l’oubli

et l’herbe et les concombres, et les chèvres et le genêt,
l’enthousiasme est là, oui les frontières sont là;

les branches sont là, le vent qui les agite
est là, et l’unique signe des branches

de cet arbre qu’on appelle précisément le chêne est là,
de cet arbre qu’on appelle précisément le frêne, le bouleau
le cèdre est là, et le signe répété

est là, sur le gravillon de l’allée; elles sont là
aussi les larmes, l’armoise et le laurier sont là,
les otages, l’oie cendrée, et les petits de l’oie cendrée;

et les fusils sont là, un jardin d’énigmes,
sec et sauvage, orné des seules groseilles,
les fusils sont là; au milieu du ghetto
éclairé et chimique ils sont là les fusils oui,
avec leur précision ancienne et paisible ils sont là

les fusils, et les pleureuses sont là, rassasiées
comme hiboux inassouvis, le lieu du crime est là;
le lieu du crime oui, insouciant, naturel, abstrait,
baigné d’une lumière de chaux, pitoyable,
ce poème tout blanc, vénéneux, qui s’effrite

***

grænserne findes, gaderne, glemslen

og græs og agurker og geder og gyvel,
begejstringen findes, graenserne findes;

grenene findes, vinden der løfter dem
findes, og grenenes eneste tegning

af netop det træ der kaldes egetræet findes,
af netop det træ der kaldes asketræet, birketræet,
cedertrœet findes, og tegningen gentaget

findes, i havegangens grus; findes
også gråden, og gederams og gråbynke findes,
gidslerne, grågåsen, grågåsens unger;

og geværerne findes, en gådefuld baghave,
tilgroet, gold og kun smykket med ribs,
geværerne findes; midt i den oplyste
kemiske ghetto findes geværerne,
med deres gammeldags, fredelige præcision findes

geværerne, og grædekonerne findes, mætte
som grådige ugler, gerningsstedet findes;
gerningsstedet, døsigt, normalt og abstrakt,
badet i et hvidkalket, gudsforladt lys,
dette giftige, hvide, forvitrende digt

(Inger Christensen)

Traduction de Zéno Bianu,
avec la collaboration de Karl Ejby Poulsen

 

Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers

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Souriant aux complots du désir (Roger Dextre)

Posted by arbrealettres sur 21 septembre 2022



Illustration: Christiane Rabasse
    
Souriant aux complots du désir

Le langage
parle d’inventer
les traits d’
un seul visage,
l’équilibre des désirs
et d’un regard, mais
ne trouve rien:
une démarche dans les phrases,
volant autour,
la mémoire,
saluant un corps,
des paupières
baissées, le visage élargi:
voilà une pénombre
avec, sommeil, respiration,
des midis alternant,
l’énigme
entière en dispersion
produisant la beauté
éliminante
jaillissante
au coeur même d’un nom.

(Roger Dextre)

Œuvres poétiques, T. 2, 2013.

 

Recueil: La Beauté Éphéméride poétique pour chanter la vie
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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MAIN COUPEE (Robert Goffin)

Posted by arbrealettres sur 9 août 2022



Sam Wolfe Connelly hj [1280x768]

 

MAIN COUPEE

Pour te rejoindre femme blonde
Il m’a fallu cent mille aïeux
Qui renouèrent en ce monde
L’aboutissement d’être à deux
Venus du destin de la terre
Ils n’ont fleuri qu’un seul matin
Pour restituer au mystère
Un limon qui n’a pas de fin
Je suis l’humble part d’existence
Qui lie en sa fragilité
Les deux rives d’une substance
Soudant le futur an passé
Je viens d’une énigme impossible
Qui n’a pas de solution
Et comme la flèche à sa cible
Nous touchons sans rémission
A la rive qui n’est semblable
Qu’à celle dont je suis venu
J’ai rendez-vous avec le sable
De mes ancêtres inconnus
Mais quand tu seras chair d’aurore
Rendue au détour du limon
Survivrons nous mêlés encore
Dans l’amalgame de nos noms
Ou retournant à l’épopée
De l’argile et de l’océan
Comme on souffre à sa main coupée
Aurai-je mal à ton néant.

(Robert Goffin)

Illustration: Sam Wolfe Connelly

 

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