Topique nocturne
On se protège des étoiles
dans la maison.
La nuit s’effondre.
A l’intérieur, il y a une enfant morte
avec une rose écarlate
cachée dans les cheveux.
Six rossignols
pleurent aux grilles.
Des gens soupirent
avec les guitares ouvertes.
***
BARRIO DE CÓRDOBA
Tópico nocturno
En la casa se defienden
de las estrellas.
La noche se derrumba.
Dentro, hay una niña muerta
con una rosa encarnada
oculta en la cabellera.
Seis ruiseñores la lloran
en la reja.
Las gentes van suspirando
con las guitarras abiertas.
(Federico Garcia Lorca)
Recueil: Romancero gitan Poème du chant profond
Traduction: Claude Esteban
Editions: Aubier
Beaux yeux, mes beaux yeux,
en prison sous mes cheveux.
Le vent entr’ouvre et ferme
et secoue la prison.
Il fait jour, il fait nuit.
Je cours à travers champs.
Mes seins, mes seins blancs,
en prison sous mes mains.
Le vent passe entre les grilles,
le vent glisse entre les doigts.
Il fait chaud, il fait froid.
Je cours à travers bois.
Mais ton coeur, ô ton coeur,
en prison dans mon coeur!
Le vent chante et rit et pleure dans la prison.
— Entends des portes s’ouvrir et se fermer dans le vent. —
Cours à travers champs, cours à travers bois,
cours délivrer ton coeur, cours après moi !
(Paul Fort)
Recueil: Ballades du beau hasard
Editions: Flammarion
A la place déserte
conduit un labyrinthe de ruelles.
D’un côté, le vieux mur sombre
d’une église en ruine;
de l’autre, la clôture blanchâtre
d’un jardin de cyprès et de palmiers,
et, devant moi, la maison,
et sur la maison la grille
devant la vitre où se dessine, brume légère,
sa silhouette paisible et rieuse.
Je m’en irai.
Je ne veux pas frapper à ta fenêtre…
Le Printemps vient
— son blanc manteau flotte
dans l’air de la place morte –;
il vient incendier les roses
rouges de tes rosiers…
C’est lui que je veux voir.
(Antonio Machado)
Recueil: Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre
Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé
Editions: Gallimard
L’odeur du feu de bois, du pain grillé,
l’odeur de four, d’étincelle et de vie
soyez adroits puisque vous les aimez
si proches d’être odeurs de l’incendie.
J’aime tant ton visage
que je n’en dors plus.
Je veille sur ton enfance.
Le vent peut battre mes vitres,
le chat sur le tapis de Perse
peut s’étirer devant le feu,
le plafond en ses recoins d’ombre,
receler tous les mystères de notre amour,
et les redire à la nuit qui enveloppe ma maison,
rien ne pourra atteindre en moi ta présence
toujours renouvelée,
perpétuellement vagabonde,
et tes mains qui font une grille à mes rêves.
Faut-il pour un amant
Que ce couvent soit ma résidence ?
Verrais-je avec plaisir
Bientôt finir ce temps de souffrir ?
Sans cesse dans l’impatience
Dois-je donc perdre l’expérience
De voir le lieu charmant
Où mon amant me fit son serment ?
2
Ce jour délicieux
Est trop heureux que je le regrette.
Mes yeux vous ont perdu.
Vœux superflus. Non, je ne sors plus.
Voltigeons de ce vert bocage.
Cessez donc votre joyeux ramage.
Julie est au couvent.
Bien tristement, loin de son amant.
3
Ce jour peu consolant
Trop auniant(*) fatale retraite
Je vois de mes beaux jours
Le triste cours passer sans amour.
Loin de l’amant que je regrette
Je pleure et je languis seulette,
Hélas que devenir,
Toujours gémir. Il faut donc mourir !
4
Grille, triste parloir,
Votre pouvoir fait couler mes larmes.
Peu ou plus de fierté !
De la dureté pour ma liberté !
Au monde, je n’ai plus des charmes
Mes plaisirs se changent en alarmes.
Amour, grand dieu des cœurs
Calmez mes pleurs, changez mon malheur.
5
Vous qui sous des verrous
Parut jaloux me donnant des chaînes
Est-ce un crime d’aimer et de charmer !
Pourquoi m’alarmer
Ignorez-vous toutes les peines
Que j’endure amante inhumaine
L’amant dont j’ai la foi
Est loin de moi sans savoir pourquoi.
6
Barbare de mon cœur
Votre fureur quand finira-t-elle ?
J’aimerai mon amant
Sincèrement éternellement.
Quand je fermerai mes paupières
Au ciel je ferai ma prière
Qu’il vive heureux content.
Puis en mourant, adieu mon amant !
7
Petits oiseaux du bois
Joignez ma voix, plaignez mon martyre
Aux bergers d’alentour.
Chantez toujours mes tristes amours.
Je me plains, hélas je soupire.
C’est en vain que je le désire
Amour, grand dieu des cœurs
Calmez mes pleurs, changez mon malheur.
(*) Auniant : mesurant à la longueur de l’aune, comme l’auneur avant la Révolution…
D’où vient le son
Qui nous ébranle
Où va le sens
Qui se dérobe
D’où vient le mot
Qui libère
Où va le chant
Qui nous entraîne
D’où surgit la parole
Qui comble le vide
Qui fauche le temps ?
II
Quel alphabet
Prend en compte
Nos clartés comme nos ombres
Quel langage
Raboté par nos riens
Ameute le souffle
Quel désir
Devient cadences
Images … métamorphoses
Quel cri
Se ramifie
Pour reverdir ailleurs
Quel poème
Fructifie
Pour se dire autrement ?
III
Issu de notre chair
Tissé de siècles
Et d’océans
Quel verbe
Criblera nos murs
Sondera nos puits
Modèlera nos saisons ?
Avec quels mots
Saisir les miettes
Du mystère
Qui nous enchâsse
Ou de l’énigme
Qui nous surprend ?
IV
Que veut la Poésie
Qui dit
Sans vraiment dire
Qui dévoie la parole
Et multiplie l’horizon
Que cherche-t-elle
Devant les grilles
De l’indicible
Dont nous sommes
Fleur et racine
Mais jamais ne posséderons ?
V
Ainsi chemine
Le langage
De terre en terre
De voix en voix
Ainsi nous devance
Le poème
Plus tenace que la soif
Plus affranchi que le vent !
(Andrée Chedid)
Recueil: Poèmes & Poèmes Les plus belles poésies de la langue française
Editions: Castor Poche
Je ne puis trouver le repos.
J’ai soif d’infini.
Mon âme languissante
aspire aux inconnus lointains.
Grand Au-Delà,
O le poignant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours
que je n’ai pas d’ailes pour voler,
que je suis éternellement attaché à la terre.
Mon âme est ardente et le sommeil me fuit ;
je suis un étranger dans un pays étrange !
Tu murmures à mon oreille un espoir impossible.
Mon coeur connaît ta voix
comme si c’était la sienne.
Grand Inconnu,
O le poignant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours
que je ne sais pas le chemin,
que je n’ai pas le cheval ailé.
Je ne puis trouver la quiétude ;
je suis étranger à mon propre coeur.
Dans la brume ensoleillée des heures langoureuses.
Quelle immense vision de Toi
apparaît sur le bleu du ciel !
Grand Inconnaissable,
O le poignant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours
que partout les grilles sont fermées
dans la maison où je demeure solitaire !