Cela a pu arriver. Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin. Pas à toi.
Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c’était à gauche. Car c’était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l’ombre.
Car le temps était ensoleillé.
Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n’y avait pas d’arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l’eau.
Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu du concours de circonstances.
Tu es encore là? Sorti d’un instant encore entrouvert?
Le filet n’avait qu’une maille et toi tu es passé au travers?
Je ne puis assez m’étonner, me taire.
Écoute
comme ton coeur me bat vite.
(Wislawa Szymborska)
Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey
Italie – Toscane – Rgion de Sienne – Chemin de campagne et cyprs // Landscape around Sienne – Tuscany – Italy
Sur le bas-côté ensoleillé dans le silence
habituel de la blanche campagne
je me berce d’une solitude mortelle
dans le mortel matin, qui depuis toujours
blanchit de sa lumière l’intense campagne.
Mais sous cette lumière monotone (où je rêve)
souffle un filet de vent, et l’or s’enflamme
dans les frondaisons des frênes lointains.
J’attends ? Nulle chose
dans cet espace ouvert auquel je fais face
ce vaste désert, cette lumière hors de moi,
rien que mon rêve jusqu’à l’horizon,
pas au-delà… Tout est muet.
Un enfant crie, je rêve ?, crie ou chante
il crie dans la muette campagne, je suis vivant,
un enfant crie.
***
Per i cigli assolati e il consueto
silenzio della candida campagna
cullo una solitudine mortale
nel mortale mattino; che da sempre
imbianca col suo lume i vivi campi.
Ma in quel lume monotono (o io sogno)
scorre un filo di vento; e accende oro
tra le fronde di frassini remoti.
Che cosa attendo? Nulla che non sia
in questo spazio aperto a cui sono volto,
questo esteso deserto, questo lume
fuori di me, tutto il mio sogno, fino,
non oltre, l’orizzonte… Tutto è muto.
Grida un fanciullo, sogno? , grida Ô canta,
grida nei muti campi, sono vivo,
grida un fanciullo.
(Pier Paolo Pasolini)
Recueil: Je suis vivant
Traduction: Olivier Apert et Ivan Messac
Editions: NOUS
Viens à moi dans le silence de la nuit ;
Viens dans le silence éloquent d’un rêve ;
Viens, les joues rondes et douces, les yeux étincelants
Comme un ruisseau ensoleillé ;
Reviens en pleurs,
O souvenir, espoir, amour d’années révolues.
O rêve si doux, trop doux, trop doux-amer,
Dont le réveil aurait dû se produire au Paradis
Où des âmes comblées d’amour vivent et se rencontrent,
Où des yeux assoiffés de désir
Observent la porte qui, doucement,
Laisse entrer pour ne plus laisser sortir.
Pourtant, reviens-moi en rêve, que je revive
Ma vie bien que mortellement transie :
Reviens-moi en rêve, que je rende
Pulsation pour pulsation, souffle pour souffle :
Baisse la voix, penche-toi bien,
Comme il y a longtemps, mon amour, bien longtemps.
Sept fois la réalité
Sept fois sept fois la vérité.
I
Nous étions deux et nous venions de vivre
Une journée d’amour ensoleillé
Notre soleil nous l’embrassions ensemble
La vie entière nous était visible
Quand la nuit vint nous restâmes sans ombre
À polir l’or de notre sang commun
Nous étions deux au cœur du seul trésor
Dont la lumière ne s’endort jamais.
*
Le brouillard mêle sa lumière
À la verdure des ténèbres
Toi tu mêles ta chair tiède
À mes désirs acharnés
*
Tu te couvres tu t’éclaires
Tu t’endors et tu t’éveilles
Au long des saisons fidèles
Tu bâtis une maison
Et ton cœur la mûrit
Comme un lit comme un fruit
Et ton corps s’y réfugie
Et tes rêves s’y prolongent
C’est la maison des jours tendres
Et des baisers de la nuit.
*
Les flots de la rivière
La croissance du ciel
Le vent la feuille et l’aile
Le regard la parole
Et le fait que je t’aime
Tout est en mouvement.
*
Une bonne nouvelle
Arrive ce matin
Tu as rêvé de moi.
*
Je voudrais associer notre amour solitaire
Aux lieux les plus peuplés du monde
Qu’il puisse laisser de la place
À ceux qui s’aiment comme nous
Ils sont nombreux ils sont trop peu.
*
Je m’en prends à mon cœur je m’en prends à mon corps
Mais je ne fais pas mal à celle que j’adore.
Malgré le soir qui s’avance à pas lents
et qui fait taire toutes les chansons ;
Malgré le départ de tes compagnes et ta fatigue ;
Malgré la peur qui court dans les ténèbres ;
malgré le ciel voilé ;
Oiseau, ô mon oiseau écoute-moi ;
ne ferme pas tes ailes.
L’obscurité qui t’environne
n’est pas celle des feuilles de la forêt ;
c’est la mer qui se gonfle
comme un immense serpent noir.
Les fleurs du jasmin ne dansent pas devant toi ;
c’est l’écume des vagues qui étincelle.
Ah ! où est la rive verte et ensoleillée ?
où est ton nid ?
Oiseau, ô mon oiseau écoute-moi ;
ne ferme pas tes ailes.
Étoiles muettes comptent les heures ;
la lune pâlie baigne dans la nuit profonde.
Oiseau, ô mon oiseau écoute-moi,
ne ferme pas tes ailes.
Pour toi il n’y a ni espoir ni crainte ;
il n’y a pas de paroles, pas de murmures, pas de cris.
Il n’y a ni abri, ni lit de repos…
Il n’y a que ta paire d’ailes et le ciel infini.
Oiseau, ô mon oiseau, écoute-moi :
ne ferme pas tes ailes.
Je ne puis trouver le repos.
J’ai soif d’infini.
Mon âme languissante
aspire aux inconnus lointains.
Grand Au-Delà,
O le poignant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours
que je n’ai pas d’ailes pour voler,
que je suis éternellement attaché à la terre.
Mon âme est ardente et le sommeil me fuit ;
je suis un étranger dans un pays étrange !
Tu murmures à mon oreille un espoir impossible.
Mon coeur connaît ta voix
comme si c’était la sienne.
Grand Inconnu,
O le poignant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours
que je ne sais pas le chemin,
que je n’ai pas le cheval ailé.
Je ne puis trouver la quiétude ;
je suis étranger à mon propre coeur.
Dans la brume ensoleillée des heures langoureuses.
Quelle immense vision de Toi
apparaît sur le bleu du ciel !
Grand Inconnaissable,
O le poignant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours
que partout les grilles sont fermées
dans la maison où je demeure solitaire !
À l’époque où nous étions ensemble
à chaque moment — quand nous
étions blottis allongés l’un contre
l’autre — quand nous admirions
les merveilles de Florence —
quand nous marchions ensemble
sur un chemin ensoleillé — quand
nous étions assis ensemble —
et même dans les moments
où le bonheur aurait dû être le plus
intense — la lumière du bonheur
m’atteignait seulement comme
par une porte entrebâillée —
une porte qui séparait ma sombre
cellule de la grande et lumineuse
salle de bal de la vie
(Edvard Munch)
Recueil: Mots de Munch
Traduction: Hélène Hervieu
Editions: de la réunion des grands musées nationaux – Grand Palais
Ton âme était un chaton qui poussait la pelote ensoleillée de la vie,
reculant parfois une seconde de stupeur,
reprenant son jeu à la seconde suivante.
(Christian Bobin)
Recueil: Carnet du soleil
Traduction:
Editions: Lettres Vives