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QUAND JE SUIS PRISE DE DOUTES (Aksinia Mihaylova)

Posted by arbrealettres sur 24 avril 2024



Illustration: OTSUKIMI: Fête de la pleine lune! 
    
QUAND JE SUIS PRISE DE DOUTES

Quoi que tu écrives, tu n’exprimeras point le sens,
car au commencement n’était pas le verbe
mais la joie des corps.

Ensuite est venue la saison de la douce faim.

L’horizon a blanchi et les oiseaux ont attaqué les blés.
Les petits fauves des mots que nous nous lancions
mordaient, de plus en plus acharnés,
notre avenir commun et j’ai compris
que seuls mes sens articulaient
toutes les nuances du bleu
dont ton langage est imprégné.
C’est alors que je t’ai perdu
à la fin d’un poème.

À présent, le silence dans le coeur,
je regarde le ventre lisse de la lune d’août
frémir dans la tasse en porcelaine,
mais tu ne peux pénétrer dans ce paysage
car au-dessus des épaules
tu es un véritable hiver.

Aussi je reste dans ma réalité:
je te rends les mots
je garder ma joie.

(Aksinia Mihaylova)

Recueil: Ciel à perdre
Editions: Gallimard

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Aucun amant n’a osé… (Maria-Mercè Marçal)

Posted by arbrealettres sur 24 mars 2024




    
Aucun amant n’a osé…

Aucun amant n’a osé approcher
cet endroit extrême d’où tu me touches.
Dedans dehors, amour, je sens la houle
et je deviens dune et grève et rocher.

Sable et souvenir de demain, mains braves du risque,
miroir de l’ombre de l’hier qui t’a ourdie
hôte de moi, lierre.
Je vis en toi, tes gestes et abordages.

Tu vis en moi, vas dans le clos commun
— eau aux aguets des échos de la terre
qui lave au sel les traces de la guerre —.

Sens-tu le vent qui sonde, coeur à jeun,
les quais lointains où mon orgueil se perd?
Montant en toi, la mer et moi font un.

(Maria-Mercè Marçal)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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ESSAYE-MOI D’ABORD (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024



Illustration: François-Joseph Durand
    
ESSAYE-MOI D’ABORD

Essaye-moi,
Essaye-moi d’abord
Avant de t’enflammer
Puis avant de sombrer
dans la loi des chassés croisés
Teste-moi d’abord

Avant qu’on se divise qu’on se sépare en deux
Avant qu’on se dégrise du vertige amoureux

Avant qu’on baisse les bras
Avant qu’on baisse les yeux

Rompons la glace
Ouvrons nos corps
Et d’un commun accord
Testons-nous encore

Avant que nos miroirs se brisent
Avant qu’on n’en puisse plus
Que nos âmes et nos corps s’enlisent
Plus vite qu’on ne l’aurait cru

Avant que sonne la disgrâce
Et la fin de nos face à face
Avant qu’on se volatilise
Qu’on se déguise en courant d’air

Avant qu’on ait perdu les traces
Du chemin qui restait à faire

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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LES AMIS COMMUNS (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 4 mars 2024




    

LES AMIS COMMUNS

Nous avons des amis communs sur Facebook
Des amis communs morts
Personne ne supprime leur profil
Se contentant d’afficher les fleurs

C’est comme d’avoir une grand-mère
Enterrée au cimetière municipal
Et dont le pommier planté à sa tombe
a entremêlé ses racines avec le thuya de la tombe voisine
Je viens nettoyer la veille de Pâques
Des fois qu’elle décide
De se relever cette année

J’enlève les mauvaises herbes
Pour ne pas avoir honte lorsqu’elle se lèvera
J’allume les bougies
Pour avoir de la lumière lorsqu’elle se lèvera

Mais que faire des amis Facebook
Qui ont rejoint un monde meilleur
Alors que leur profil est resté dans ce bas monde

Est-ce qu’ils se relèveront
Vont-ils écrire quelques mots dans le chat
Feront-ils un selfie
Ou mettront-ils un like à ce poème ?

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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DESTINÉE COMMUNE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




    
DESTINÉE COMMUNE

Mes chemins,
vos chemins,
et puis ça.

Lui,
moi,
et puis ça.

Les Mai nouveaux
mariés, l’habit approprié
et puis ça.

Le sentiment sans armes,
le couteau caché
et puis ça.

La soif qui chemine,
la bonne Samaritaine
et puis ça.

La longévité des rêves,
les espoirs industrieux
et puis ça.

Les serments sautant par-dessus le temps,
la mémoire feuillue
et puis ça.

Le soleil nécessaire,
la bonne humeur soudaine
et puis ça.

Les feuilles jaunies qui rivalisent
de sang-froid dans la chute,
la poésie qui les anime
et puis ça.

La sécheresse,
la pluie
et puis ça.

Votre angoisse,
mon angoisse,
et puis ça.

L’initiation des statues
à nos méthodes d’ennui à nous,
le sacrifice d’Iphigénies successives
pour un méchant souffle de vent,
et puis ça.

Les mots qu’on entraîne
à passer par le silence,
le silence qu’on entraîne
à passer par les mots
et puis ça.

L’avenir sévèrement gardé
qui sera pour finir
emporté par ça :

L’échec.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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Deux miroirs face à face (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 27 janvier 2024



Illustration
    
Deux miroirs face à face ne se révèlent
l’un l’autre que leur commune inanité.

Deux miroirs qui se mirent
découvriront l’absence
de leur image en l’autre
puisque l’autre reflète
une absence d’image

Dans la chambre d’amour
que les miroirs s’accouplent
à distance
pour accueillir entre eux
la vie

(Robert Mallet)

 

Recueil: Cette plume qui tournoie
Editions: Gallimard

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LES VACHES (Pierre Vinclair)

Posted by arbrealettres sur 6 janvier 2024




    
LES VACHES NE sont pas des animaux sauvages;
les taches, assez nombreuses sur la peau posée près de la cheminée
font un planisphère inutile pour s’orienter où que ce soit ;
elles ne portent non plus de microcosme en boucle d’oreille fractale,
sont peu crédibles en déesses à bouses purifiantes,
meuglant leur « mâ » d’amour à la terre-mère commune,
comme on dit; nous ne libérerons jamais les vaches.

(Pierre Vinclair)

Recueil: La Sauvagerie
Editions: Biophilia

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SÉRÉNITÉ (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 10 novembre 2023




    
SÉRÉNITÉ

Mes sommets étaient à ma taille
J’ai roulé dans tous mes ravins
Et je suis bien certain que ma vie est banale
Mes amours ont poussé dans un jardin commun
Mes vérités et mes erreurs
J’ai pu les peser comme on pèse
Le blé qui double le soleil
Ou bien celui qui manque aux granges
J’ai donné à ma soif l’ombre d’un gouffre lourd
J’ai donné à ma joie de comprendre la forme
D’une jarre parfaite.

(Paul Eluard)

Recueil: Eluard amoureux
Editions: Bruno Doucey

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ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE (I) (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 8 novembre 2023




    
ÉCRIRE DESSINER INSCRIRE (I)

Sept fois la réalité
Sept fois sept fois la vérité.

I

Nous étions deux et nous venions de vivre
Une journée d’amour ensoleillé
Notre soleil nous l’embrassions ensemble
La vie entière nous était visible
Quand la nuit vint nous restâmes sans ombre
À polir l’or de notre sang commun
Nous étions deux au cœur du seul trésor
Dont la lumière ne s’endort jamais.

*

Le brouillard mêle sa lumière
À la verdure des ténèbres
Toi tu mêles ta chair tiède
À mes désirs acharnés

*

Tu te couvres tu t’éclaires
Tu t’endors et tu t’éveilles
Au long des saisons fidèles

Tu bâtis une maison
Et ton cœur la mûrit
Comme un lit comme un fruit

Et ton corps s’y réfugie
Et tes rêves s’y prolongent
C’est la maison des jours tendres

Et des baisers de la nuit.

*

Les flots de la rivière
La croissance du ciel
Le vent la feuille et l’aile
Le regard la parole
Et le fait que je t’aime
Tout est en mouvement.

*

Une bonne nouvelle
Arrive ce matin
Tu as rêvé de moi.

*

Je voudrais associer notre amour solitaire
Aux lieux les plus peuplés du monde
Qu’il puisse laisser de la place
À ceux qui s’aiment comme nous
Ils sont nombreux ils sont trop peu.

*

Je m’en prends à mon cœur je m’en prends à mon corps
Mais je ne fais pas mal à celle que j’adore.

(Paul Eluard)

Recueil: Eluard amoureux
Editions: Bruno Doucey

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LA MORT, L’AMOUR, LA VIE (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 14 octobre 2023



Illustration: Valentine Hugo 
    
LA MORT, L’AMOUR, LA VIE

J’ai cru pouvoir briser la profondeur l’immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m’a semblé plus vive que le sang

Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon coeur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu’il n’y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J’avais éliminé le glaçon des mains jointes
J’avais éliminé l’hivernale ossature
Du voeu de vivre qui s’annule

Tu es venue le feu s’est alors ranimé
L’ombre a cédé le froid d’en bas s’est étoilé
Et la terre s’est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J’avais un guide sur la terre je savais
Me diriger, je me savais démesuré
J’avançais je gagnais de l’espace et du temps

J’allais vers toi j’allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l’espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l’aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j’adorais l’amour comme à mes premiers jours.

Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n’est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent

Les hommes sont faits pour s’entendre
Pour se comprendre pour s’aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.

(Paul Eluard)

Recueil: Paul Eluard par Louis Parrot
Editions: Seghers

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