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Poésie

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La bataille commença (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 4 Mai 2024



Illustration: An He
    
La bataille commença.
Comment ? Par un doux sourire.
Elle me dit : — Comme ça,
Vous ne voulez pas m’écrire ?

— Un billet doux ? — Non, des vers.
— Je n’en fais point, répondis— je. —
Ainsi parfois de travers
Le dialogue voltige.

Après le sourire vint
Un regard, oh ! qu’elle est fière !
Moi, candidat quinze-vingt,
Je me dis : Elle est rosière.

Et je me mis à songer
À cent vertus, rehaussées
Par mes mauvaises pensées
D’adolescent en danger.

Je me taisais, cela passe
Pour puissance et profondeur.
Son sourire était la grâce,
Et son regard la pudeur.

Ce regard et ce sourire
M’entraient dans l’âme. Soudain,
Elle chanta. Comment dire
Ce murmure de l’Éden,

Cette voix grave, touchante,
Tendre, aux soupirs nuancés !…
— Quoi ! m’écriai-je, méchante,
Vous achevez les blessés

(Victor Hugo)

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Je lisais (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 1 Mai 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poème éternel ! — La Bible ? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.

J’épelle les buissons, les brins d’herbe, les sources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,

Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, —

J’étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : « Ô pauvre homme, tremblant

Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t’emplissent de clarté !

Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !

Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,

A des rayons : la roue au dur moyeu, l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,

L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.

Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’oeuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.
L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.

Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,

La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme : DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui dure peu ;

Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée ;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s’épanouit ;

Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin ;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.

Ainsi tu fais ; aussi l’aube est sur ton front sombre ;
Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. »
Je répondis : « Hélas ! tu te trompes, oiseau.

Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe ;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant. »
Et je continuai la lecture du champ.

(Victor Hugo)

Recueil: Les Contemplations
Editions:

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DESTINÉE COMMUNE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




    
DESTINÉE COMMUNE

Mes chemins,
vos chemins,
et puis ça.

Lui,
moi,
et puis ça.

Les Mai nouveaux
mariés, l’habit approprié
et puis ça.

Le sentiment sans armes,
le couteau caché
et puis ça.

La soif qui chemine,
la bonne Samaritaine
et puis ça.

La longévité des rêves,
les espoirs industrieux
et puis ça.

Les serments sautant par-dessus le temps,
la mémoire feuillue
et puis ça.

Le soleil nécessaire,
la bonne humeur soudaine
et puis ça.

Les feuilles jaunies qui rivalisent
de sang-froid dans la chute,
la poésie qui les anime
et puis ça.

La sécheresse,
la pluie
et puis ça.

Votre angoisse,
mon angoisse,
et puis ça.

L’initiation des statues
à nos méthodes d’ennui à nous,
le sacrifice d’Iphigénies successives
pour un méchant souffle de vent,
et puis ça.

Les mots qu’on entraîne
à passer par le silence,
le silence qu’on entraîne
à passer par les mots
et puis ça.

L’avenir sévèrement gardé
qui sera pour finir
emporté par ça :

L’échec.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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La peur est victorieuse (Brigitte Fontaine)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2024



    

La peur est victorieuse
partout partout partout
la peur large et vicieuse
dur dur le méchant loup

(Brigitte Fontaine)

Recueil: FATRASIE
Editions: LE TRIPODE

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LES PLUMES (Ron Padgett)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2024



    

LES PLUMES

s’envolent et font bang loin
de l’oiseau qu’elles étaient.

Maintenant nous allons tirer sur le poteau
et tuer la clôture. Il est

bon de balancer les choses par terre
et de les détruire. Nous sommes

comme une grosse tempête ou un
tremblement de terre avec de la lave.

La vie reviendra d’elle-même
Et nous reviendrons aussi.

Nous ne sommes pas des gens méchants.
Nous sommes de gentils monstres.

(Ron Padgett)

 

Recueil: On ne sait jamais
Traduction: Claire Guillot
Editions: Joca Seria

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Le crocodile et l’esturgeon (Jean-Pierre Claris de Florian)

Posted by arbrealettres sur 10 janvier 2024




    
Le crocodile et l’esturgeon

Sur la rive du Nil un jour deux beaux enfants
S’amusaient à faire sur l’onde,
Avec des cailloux plats, ronds, légers et tranchants,
Les plus beaux ricochets du monde.

Un crocodile affreux arrive entre deux eaux,
S’élance tout-à-coup, happe l’un des marmots,
Qui crie et disparaît dans sa gueule profonde,
L’autre fuit, en pleurant son pauvre compagnon.

Un honnête et digne esturgeon,
Témoin de cette tragédie,
S’éloigne avec horreur, se cache au fond des flots ;
Mais bientôt il entend le coupable amphibie

Gémir et pousser des sanglots :
Le monstre a des remords, dit-il : ô providence,
Tu venges souvent l’innocence ;
Pourquoi ne la sauves-tu pas ?

Ce scélérat du moins pleure ses attentats ;
L’instant est propice, je pense,
Pour lui prêcher la pénitence :
Je m’en vais lui parler.

Plein de compassion,
Notre saint homme d’esturgeon
Vers le crocodile s’avance :
Pleurez, lui cria-t-il, pleurez votre forfait ;

Livrez votre âme impitoyable
Au remords, qui des dieux est le dernier bienfait,
Le seul médiateur entre eux et le coupable.
Malheureux, manger un enfant !

Mon cœur en a frémi ; j’entends gémir le vôtre…
Oui, répond l’assassin, je pleure en ce moment
De regret d’avoir manqué l’autre.
Tel est le remords du méchant.

(Jean-Pierre Claris de Florian)

 

Recueil: Fables
Traduction:
Editions:

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Complainte d’une bergère de dix ans (Georges-Emmanuel Clancier)

Posted by arbrealettres sur 6 décembre 2023



Complainte d’une bergère de dix ans

Les vaches ont fines
Cornes de dentelle
Où frémit l’oiseau.
La lune entre les cornes
Le soleil sur le taureau.
A la rondeur du pré
La ronde terre est close.

Mais une bête mais une fleur
Rameau étoilé rêve écouté
Rayon qui saute
Grenouille sotte
Et tête de linotte
En un clin d’oeil
Vident mon tablier.

La nuit j’ai peur
Un monstre ronfle
Au lit des maîtres.
Leur méchant coeur
Jamais ne dort.
Un soir se lèveront
Et me dévoreront.

(Georges-Emmanuel Clancier)

Illustration: Georges Paul François Laurent Laugée

 

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L’AMOUR EN RÊVE ET EN VRAI (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 18 novembre 2023



Illustration: François Boucher
    
L’AMOUR EN RÊVE ET EN VRAI

1

L’autre jour la jeune Annette
Reposait tranquillement.
Un ruisseau près cette belle
Murmurait paisiblement.
L’amour faisait sentinelle
Pour garder ce bel enfant.

2

Je lui dis « Dieu trop sensible,
Ah je te prie d’approuver
Que je fasse un tour risible :
C’est pour t’attendre rêver.
Tu verras qu’il est possible
Le secret je vais trouver. »

3

Je lui pose sur la tête
Des focustes de pavots blancs
Elle s’écrie « Berger arrête,
Je ne crois point tes serments.
Ah méchant, depuis ma fête
Tu m’as troublé tous mes sangs.

4

Finis donc je te supplie
Je vais perdre la raison.
Voyez donc quelle folie !
N’agis point de trahison
Ou je quitte la prairie
Pour courir à la maison.

5

L’amour éclate de rire,
Voyant mon projet rempli.
Le berger qu’il inspire
S’éveille ensuite et pâlit.
Je l’embrasse elle soupire
Voilà le rêve accompli.

(Chansons du XVIIIè)

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L’hirondelle au printemps (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 23 septembre 2023



    

L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n’est plus l’homme, où la vie est toujours;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l’épaisse ramée
La mousse, et, dans les noeuds des branches, les doux toits
Qu’en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l’oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l’abri solitaire et tranquille,
Le seuil qui n’a pas d’yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poète;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
L’oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.

(Victor Hugo)

Recueil: 30 poèmes pour célébrer le Monde
Editions: Belin

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Chanson (Giraut de Borneil)

Posted by arbrealettres sur 20 septembre 2023




    
Chanson

— Hélas, je meurs !
— Qu’as-tu, ami ?
— Je suis trahi !
— Comment cela ?
— Un jour j’ai mis tout mon espoir
Dans les beaux regards d’une Dame.
— C’est pour cela que ton coeur geint ?
— C’est pour cela.
— Ton coeur, l’as-tu laissé au loin ?
— Assurément.
— Es-tu donc si près de la mort ?
— Oui, plus près que je ne peux dire.
— Pourquoi vouloir ainsi mourir ?

— Je suis trop timide et sincère.
— L’as-tu priée ? — Moi ? Par Dieu, non !
— Pourquoi te lamenter si fort
Quand tu ne sais rien de son coeur ?
— Seigneur, elle me fait si peur !
— Comment cela ?

— L’amour d’elle me trouble fort.
— Tu as bien tort.
Crois-tu qu’elle va s’offrir à toi ?
— Non, mais je n’ose m’enhardir.
— Lors, ton mal peut durer longtemps !

— Seigneur, dites, que puis-je faire ?
— Sois bon, courtois.
— Oui, mais encore ?
— Va devant elle sans tarder
Lui faire requête d’amour.
— Et si elle la trouve offensante ?
— Allons, qu’importe !
— Et si sa réponse est méchante ?
— Eh, sois patient,
Toujours la patience triomphe.
— Si le jaloux s’en aperçoit?
— Vous n’en serez que plus rusés.

— Nous ? — Bien sûr !
— Ah, pourvu qu’elle veuille !
— Elle voudra, crois-moi.
— Je vous crois !
— Ta joie vraiment sera doublée
Si tu ne crains pas de parler.
— Seigneur ma douleur est si dure
(elle est mortelle)
qu’il faut part égale pour elle !
— T’aideront donc
Ton audace et ton jugement.
— Et aussi ma bonne espérance.
— Veille à t’expliquer gentement.

— Je ne saurai pas m’exprimer !
— Pourquoi, dis-moi ?
— Je la verrai !
— Tu ne pourras donc lui parler ?
Es-tu à ce point égaré ?
— Oui, quand j’arrive devant elle…
— Tu te défais ?
Oui, je ne suis plus sûr de rien.
– – Tous les amants
Traversent les mêmes misères.
– C’est vrai, je me ferai violence.
_ Bien. Alors, ne perds pas de temps.

– Chacun sait bien
Où l’amour amène les êtres.
Mal vit celui qui meurt d’aimer,
Je sais, je ne peux donc me plaindre !

– Cours au plaisir
Avant que ton secret s’évente.
Ami, ne perds pas ton élan.
Si vulnérable est le bonheur !

(Giraut de Borneil)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

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