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SEIGNEUR, DITES-MOI FRANCHEMENT (Guillaume Le Vinier)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
SEIGNEUR, DITES-MOI FRANCHEMENT

Seigneur, dites-moi franchement
ce qui vous plairait davantage :
que votre amie
vous ait invité
à passer la nuit
allongé à ses côtés, nu à nu,
mais sans que vous la regardiez,
ou que, de jour, elle vous embrasse et vous sourie
dans un beau pré,
sans toutefois vous accorder
de plus grandes faveurs ?

Guillaume, c’est une bien grande folie
que propose votre chanson :
le berger d’une abbaye
n’aurait pas mieux parlé !
Quand j’aurai, étendue à mes côtés,
mon coeur, ma dame, mon amie,
celle que j’ai toute ma vie
désirée,
je vous abandonnerai volontiers le badinage
et les menus propos du pré.
(… )

Seigneur, je ne voudrais pour rien au monde
qu’on m’eût mené jusque là. Si je pouvais contempler
le visage de celle que j’aimerais,
à qui j’appartiendrais,
l’embrasser pour ma plus grande joie
et la serrer dans mes bras
à ma guise,
sachez-le, si je ne choisissais pas ce parti,
je ne serais pas un vrai amant.

Guillaume, par Dieu,
vous avez choisi un parti bien peu sage :
si je la tenais nue entre mes bras,
je ne donnerais pas le Paradis en échange,
et contempler son visage
ne me suffirait pas
si je n’obtenais rien d’autre.
J’ai pris le meilleur parti :
quand vous vous séparerez, si elle vous suit du regard,
vous n’emporterez qu’un sourire menteur.

Seigneur, Amour est mon maître,
je suis à lui, où que je sois,
et je m’en remettrai à la décision de Gilles
pour savoir qui a pris le bon chemin
et qui a pris le mauvais.

Guillaume, vous connaîtrez toujours
folie et inquiétude :
qui fait ainsi sa cour
est bien misérable !
Je veux bien en croire Gilles,
mais je m’en remets à Jean.

(Guillaume Le Vinier)

Recueil: Poèmes d’amour des XIIé et XIIIè siècles
Traduction: Emmanuèle Baumgartner et Françoise Ferrand
Editions: Cahiers de Civilisation Médiévale Année 1986

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La bataille commença (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 4 Mai 2024



Illustration: An He
    
La bataille commença.
Comment ? Par un doux sourire.
Elle me dit : — Comme ça,
Vous ne voulez pas m’écrire ?

— Un billet doux ? — Non, des vers.
— Je n’en fais point, répondis— je. —
Ainsi parfois de travers
Le dialogue voltige.

Après le sourire vint
Un regard, oh ! qu’elle est fière !
Moi, candidat quinze-vingt,
Je me dis : Elle est rosière.

Et je me mis à songer
À cent vertus, rehaussées
Par mes mauvaises pensées
D’adolescent en danger.

Je me taisais, cela passe
Pour puissance et profondeur.
Son sourire était la grâce,
Et son regard la pudeur.

Ce regard et ce sourire
M’entraient dans l’âme. Soudain,
Elle chanta. Comment dire
Ce murmure de l’Éden,

Cette voix grave, touchante,
Tendre, aux soupirs nuancés !…
— Quoi ! m’écriai-je, méchante,
Vous achevez les blessés

(Victor Hugo)

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UN PAN DE MUR JAUNE (Jean-Michel Maulpoix)

Posted by arbrealettres sur 21 avril 2024



Illustration: Pierre Buraglio
    
UN PAN DE MUR JAUNE

I

Quand elle traverse la rue trop vite
En faisant ses courses le soir sous la pluie
Le petit lui donne des coups de pied dans le ventre
Mais elle essuie ses joues elle ne se plaint pas

Entre citernes et clapiers il y a de l’herbe
On n’oserait pas dire que c’est un jardin
À cause de ces bidons d’essence et de ces bagnoles défoncées
Où des moineaux morts et des pigeons fermentent

On voit le long de l’autoroute des carrés frisés de laitues
Hérissés de pieds de tomates et de haricots
De petits vieux cassés grattent et ratissent
On s’étonne des baraques de planches où leurs outils sont remisés.

II

On n’a pas le pouvoir de passer à travers les murs
Qui voudrait croire que chaque matin à la même heure
Le ciel secoue à la fenêtre ses draps tachés de suie ?
Un mauvais sommeil ne change rien aux lointains

On voit pourtant parfois flotter un ballon rouge
Un mètre au-dessus de la tête d’une Marjolaine
Au-delà c’est pour les fumées les antennes
Rarement pour les oiseaux ou les anges

On entend le soir des musiques aux portes
Et toutes les fenêtres sont bleues à partir de huit heures
On écoute on regarde on n’a rien à se raconter
Mais on cherche toujours un petit pan de mur jaune.

(Jean-Michel Maulpoix)

Recueil: Rue des fleurs
Editions: Mercure de France

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Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 18 avril 2024



Illustration: Clémence F. Dupuch
    
Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment

Et si tu m’avais rencontrée propre,
sans mauvaise conscience,
sans peine dans le sommeil,
sans les morsures d’autres femmes ancrées sur mes épaules.

Aurais-tu baigné mon corps au petit matin,
léché mes humeurs d’yeux,
coiffé mon insomnie,
caressé mes mains ravinées par tes dents ?

Et si j’avais endossé
des tenues semblables aux tiennes,
si je t’avais menti en ce qui me concerne,
si je t’avais confié que tu étais la seule
et non la première.

M’aurais-tu déshabillée les yeux fermés
de tes mains expertes,
embrassée quand je te racontais ma vie,
aurais-tu mis sur un piédestal
ton nom au niveau du mien
et fait du nôtre un amour égal ?

Si je m’étais vendue
comme l’amour de ta vie,
si je t’avais achetée
comme l’amour de la mienne.

Serions-nous tombées amoureuses
comme quelqu’un qui s’aime
en aimant ceux qui aiment ?

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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Discours d’ouverture du Congrès littéraire international – 7 juin 1878 (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024




    
Discours d’ouverture du Congrès littéraire international – 7 juin 1878

[…]

Ah ! la lumière !
la lumière toujours !
la lumière partout !

Le besoin de tout c’est la lumière.
La lumière est dans le livre.
Ouvrez le livre tout grand.
Laissez-le rayonner, laissez-le faire.

Qui que vous soyez
qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser,
mettez des livres partout ;
enseignez, montrez, démontrez ;
multipliez les écoles ;
les écoles sont les points lumineux de la civilisation.

Vous avez soin de vos villes,
vous voulez être en sûreté dans vos demeures,
vous êtes préoccupés de ce péril, laisser la rue obscure ;
songez à ce péril plus grand encore, laisser obscur l’esprit humain.

Les intelligences sont des routes ouvertes ;
elles ont des allants et venants,
elles ont des visiteurs, bien ou mal intentionnés,
elles peuvent avoir des passants funestes ;
une mauvaise pensée est identique à un voleur de nuit,
l’âme a des malfaiteurs ; faites le jour partout ;

ne laissez pas dans l’intelligence humaine
de ces coins ténébreux où peut se blottir la superstition,
où peut se cacher l’erreur, où peut s’embusquer le mensonge.

L’ignorance est un crépuscule ; le mal y rôde.
Songez à l’éclairage des rues, soit ;
mais songez aussi, songez surtout,
à l’éclairage des esprits.

[…]

(Victor Hugo)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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BLASON DE LA CHEVILLE (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 18 mars 2024




    
BLASON DE LA CHEVILLE

La cheville en métrique a bien mauvaise presse
Mais c’est une autre affaire au pied menu des filles
Elle y est à propos comme un anneau en quille,
Et n’y pèse pas plus qu’un fil qui là se tresse.

Elle est un bijou nu, simple colifichet,
Un bracelet de chair que belle jambe enfile.
Un ajout qui convient n’est jamais inutile.
Plus belle jambe encor celle qui s’en fichait.

La beauté est dédain de ses propres atours.
Le mépris qu’elle émet sert encore à l’asseoir
Et la froideur paraît son plus bel accessoire.

Où la cheville tombe elle y a son séjour.
L’attache est à sa place où elle sert le beau,
À resserrer les liens de la chose et du mot.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

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JE MEURS D’ENVIE (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024



Illustration
    
JE MEURS D’ENVIE

je crève
je rêve
d’envie de toi
d’envie de rire
je t’aime
je meurs
sans haine
je pleure
je ris
je meurs
d’envie la vie la mort
ça mène à ça
la voie encore
la peine la joie

l’amour
la haine
je t’aime
je t’aime
et puis
encore
un jour
et puis
encore
l’amour
la nuit
le jour
se lève
je sème
des milliards
de cailloux
pour que tu
me retrouves
aller
retour
le bien
le mal
le rien
le beau
le dur
le doux
le laid
normal
tout m’est égal
le oui
le non

peut-être
le bon
ou le mauvais
ne laisseront
pas de trace
mais
à jamais
mon amour t’enlace

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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LES AMIS COMMUNS (Luba Yakymtchouk)

Posted by arbrealettres sur 4 mars 2024




    

LES AMIS COMMUNS

Nous avons des amis communs sur Facebook
Des amis communs morts
Personne ne supprime leur profil
Se contentant d’afficher les fleurs

C’est comme d’avoir une grand-mère
Enterrée au cimetière municipal
Et dont le pommier planté à sa tombe
a entremêlé ses racines avec le thuya de la tombe voisine
Je viens nettoyer la veille de Pâques
Des fois qu’elle décide
De se relever cette année

J’enlève les mauvaises herbes
Pour ne pas avoir honte lorsqu’elle se lèvera
J’allume les bougies
Pour avoir de la lumière lorsqu’elle se lèvera

Mais que faire des amis Facebook
Qui ont rejoint un monde meilleur
Alors que leur profil est resté dans ce bas monde

Est-ce qu’ils se relèveront
Vont-ils écrire quelques mots dans le chat
Feront-ils un selfie
Ou mettront-ils un like à ce poème ?

***

(Luba Yakymtchouk)

Recueil: Les Abricots du Donbas
Traduction: de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Editions: des femmes

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À LA MAUVAISE HEURE (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024



Illustration: Vincent Van Gogh
    
À LA MAUVAISE HEURE
Été, en Eubée

Entre nuit et petit jour
j’ai trouvé coincée l’heure sans heure.
L’allégresse impie des oiseaux m’a si tôt réveillée
que je suis sortie dans le reflux des ténèbres.
Mon balcon rame paisiblement
dans les hauts-fonds des couleurs.
Les jardins rêvent encore
de fleurs inconnues.
Lentement se déploie le glorieux horizon
comme un vulgaire mètre-ruban.
La mer a des allures d’oubli : on nous délaisse.
L’immensité a des allures d’oubli. Oubli immense.
Un caïque dans le fond n’avance plus,
la distance l’emporte et joue avec.
Le niveau des couleurs monte en murmurant.
Les formes s’approchent au pas de promenade.
Une rame blanche se réveille,
un toit bat des ailes,
un volet a frémi.
Un clocher se lève effrayé,
coupable : la foi doit se réveiller la première.
première avant tout.
Les formes s’approchent au pas de promenade.
Les portes se dessinent fermées
et les limites s’obstinent.
Les montagnes sorties dans la clarté
te ramènent en arrière.
Et toi où vas-tu, espoir?
Ils sont debout depuis longtemps, les refus.

Et moi, moi qui suis et m’appelle
heure avancée, que viens-je faire
parmi ces bonnes humeurs au berceau?

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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Le signe (Edith Bruck)

Posted by arbrealettres sur 5 février 2024




Edith Bruck
    
Le signe

Elle mourut d’impuissance
pourra-t-on écrire sur ma tombe
qui sait où, il n’est pas dit qu’on meure
à l’endroit où l’on est né ou l’on vit
on peut être n’importe où
à cette heure incertaine
il n’y a pas de terres mauvaises et de terres bonnes
mais je voudrais pour signe une petite étoile
à six branches comme celle qui dans mon enfance
brillait sur mon petit manteau usé
gravez-la bien bien dans la pierre
comme ils l’ont gravée sur ma peau
dans ma chair dans mes entrailles
et s’il doit y avoir une autre vie
je serai une étoile jaune
pour vous rappeler qu’il était une fois
Auschwitz.

(Edith Bruck)

Recueil: Pourquoi aurais-je vécu ?
Editions: Rivages Poche

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