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Poésie

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Lorsque l’été et la douce saison (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
Lorsque l’été et la douce saison
Font feuille et fleur et les prés reverdir,
Et le doux chant des menus oisillons
Fait à plusieurs de joie se souvenir,
Las ! chacun chante, et je pleure et soupire,
Et si n’est pas droiture ni raison,
C’est du moins toute mon intention,
Dame, de vous honorer et servir.

Si j’avais le bon-sens qu’eut Salomon,
Amour me ferait bien pour fol tenir ;
Car tant est forte et cruelle sa prison
Qu’elle me fait essayer et sentir.
Ne me veut à son service retenir
Ni m’enseigner quelle est ma guérison ;
Pourtant j’ai aimé longuement en perte
Et aimerai toujours sans repentir.

Moult m’émerveille pour quelle raison
Elle me fait si longuement languir.
Je sais fort bien qu’elle croit les félons,
Les médisants que Dieu puisse maudire.
Toute leur peine ont mise à me trahir ;
Mais ne leur vaut leur mortelle trahison,
Quand sauront quelle sera ma récompense,
Dame, que j’aime, à qui ne sait mentir…

Si vous daignez ma prière écouter,
Douce Dame, je vous prie et demande
Que vous pensiez à me récompenser :
Ne penserai qu’à bien servir tout temps.
Tous les maux que j’ai me seront néant,
Douce Dame, si me voulez aimer.
En peu de temps pouvez récompenser
Les biens d’amour que j’ai attendus tant.

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil: Troubadours et trouvères
Traduction: France Igly
Editions: Pierre Seghers

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Je lisais (Victor Hugo)

Posted by arbrealettres sur 1 Mai 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
Je lisais. Que lisais-je ? Oh ! le vieux livre austère,
Le poème éternel ! — La Bible ? — Non, la terre.
Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,
Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.

J’épelle les buissons, les brins d’herbe, les sources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.
Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,

Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,
Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.
Donc, courbé, — c’est ainsi qu’en marchant je traduis
La lumière en idée, en syllabes les bruits, —

J’étais en train de lire un champ, page fleurie.
Je fus interrompu dans cette rêverie ;
Un doux martinet noir avec un ventre blanc
Me parlait ; il disait : « Ô pauvre homme, tremblant

Entre le doute morne et la foi qui délivre,
Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.
Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,
Et que les champs profonds t’emplissent de clarté !

Il est sain de toujours feuilleter la nature,
Car c’est la grande lettre et la grande écriture ;
Car la terre, cantique où nous nous abîmons,
A pour versets les bois et pour strophes les monts !

Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme
Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.
Médite. Tout est plein de jour, même la nuit ;
Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,

A des rayons : la roue au dur moyeu, l’étoile,
La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.
Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.
Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,

L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage
Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.
Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu ;
Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.

Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.
Le monde est l’oeuvre où rien ne ment et ne dévie,
Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.
L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.

Oui, la création tout entière, les choses,
Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,
Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,
L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,

La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,
Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,
Compose en se croisant ce chiffre énorme : DIEU.
L’éternel est écrit dans ce qui dure peu ;

Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,
Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée ;
On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.
Le lys que tu comprends en toi s’épanouit ;

Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.
Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,
Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin ;
C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.

Ainsi tu fais ; aussi l’aube est sur ton front sombre ;
Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre
Tu reprends la candeur sublime du berceau. »
Je répondis : « Hélas ! tu te trompes, oiseau.

Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe ;
Mon âme ne sera blanche que dans la tombe ;
Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant. »
Et je continuai la lecture du champ.

(Victor Hugo)

Recueil: Les Contemplations
Editions:

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Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment (Elvira Sastre)

Posted by arbrealettres sur 18 avril 2024



Illustration: Clémence F. Dupuch
    
Comme quelqu’un qui s’aime en aimant ceux qui aiment

Et si tu m’avais rencontrée propre,
sans mauvaise conscience,
sans peine dans le sommeil,
sans les morsures d’autres femmes ancrées sur mes épaules.

Aurais-tu baigné mon corps au petit matin,
léché mes humeurs d’yeux,
coiffé mon insomnie,
caressé mes mains ravinées par tes dents ?

Et si j’avais endossé
des tenues semblables aux tiennes,
si je t’avais menti en ce qui me concerne,
si je t’avais confié que tu étais la seule
et non la première.

M’aurais-tu déshabillée les yeux fermés
de tes mains expertes,
embrassée quand je te racontais ma vie,
aurais-tu mis sur un piédestal
ton nom au niveau du mien
et fait du nôtre un amour égal ?

Si je m’étais vendue
comme l’amour de ta vie,
si je t’avais achetée
comme l’amour de la mienne.

Serions-nous tombées amoureuses
comme quelqu’un qui s’aime
en aimant ceux qui aiment ?

(Elvira Sastre)

Recueil: Tu es la plus belle chose que j’ai faite pour moi
Traduction: de l’espagnol par Isabelle Gugnon
Editions: NIL

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Le silence de ce qui ne peut parler (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024




    
Le silence de ce qui ne peut parler
est différent du silence de ce qui peut parler.

La lumière et ses substitutions
ne se reflètent pas de la même manière
dans le premier silence et dans le second.
Les choses et leurs ombres
n’ont pas même mesure.
La poussière et ses échos
ne se déposent pas de la même manière.

Les mains
ne se mentent pas de la même manière.
Et les mots pour mettre dans l’un
ne peuvent servir
à mettre dans l’autre.

Mais vaut par contre pour tous les deux
le grand silence indépendant
qui les entoure et nous entoure.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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LA TOURTERELLE (Laurent Albarracin)

Posted by arbrealettres sur 17 mars 2024




    
LA TOURTERELLE

Je l’entends roucouler dans le beau jardin de Mai,
pourquoi cette idée que son chant serait faux?
Elle a l’air de rouler son air dans un appeau,
Dans un leurre où raboule à travers le ciel bleu

Toutes celles qu’en foule elle rappelle et piège.
Et bien qu’elle soit là et que son chant soit doux
J’ai l’étrange impression qu’elle nous amadoue,
Qu’elle nous embobine et minaude en stratège.

Il est pourtant idiot de penser qu’elle ment,
Qu’elle nous bernerait avec son bercement.
Mais sa phrase revient, son confondant rourou,

Son refrain hypocrite avec ces tons pareils,
Gorgée de faux-semblance et d’un mielleux soleil.
Elle nous joue un tour quand elle fait la roue.

(Laurent Albarracin)

Recueil: Contrebande
Editions: Le corridor bleu

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Je décidai d’être raisonnable (Robert Mallet)

Posted by arbrealettres sur 26 janvier 2024




    
Je décidai d’être raisonnable, ou plutôt
je me décidai à l’être. Comme le ciel trop
bleu.
Sceautres.

Quand je succombe à la raison
est-ce dans l’eau de rose eau-de-vie
est-ce dans l’impossible symphonie
la flûte qui meurt du clairon
est-ce dans l’odeur des parfumeries
le coup de vent des grandes prairies ?

est-ce dans le bouquet des fleurs bleues
la corolle rouge sur terre noire
est-ce dans la terre sableuse
un peu d’humus, est-ce dans la mémoire
un peu de souvenir du futur
est-ce dans la lézarde du mur
entre le jour et moi un peu de ciment ?

Ne serait-ce pas dans le ciel impur
du désir qui jamais ne ment
le mensonge de l’azur

(Robert Mallet)

 

Recueil:Quand le miroir s’étonne
Editions: Gallimard

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Viens (Gisèle Prassinos)

Posted by arbrealettres sur 9 janvier 2024




    
Viens

Viens retournons là-bas
Dans les champs
les maisons de feuilles abritent encore nos ombres petites.
Regarde sur ton front la verte gloire n’est pas flétrie
– l’autre ne fut qu’un rêve –
et dans les vergers
les fruits d’alors n’ont pu décider
sans toi
de se changer en arbre.

Viens mon Rouge prends tes armes
j’ai mes chardons
et je m’appelle Fleur de cerisier.

Le temps n’est rien
il n’y a pas de lits pour nos morts
pas de fin pour nos figures
les corps mentent
les miroirs sont ivres.

(Gisèle Prassinos)

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LA MORT ROSE (André Breton)

Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2024




Illustration: ArbreaPhotos
    
LA MORT ROSE

Les pieuvres ailées guideront une dernière fois la barque
dont les voiles sont faites de ce seul jour heure par heure
C’est la veillée unique après quoi
tu sentiras monter dans tes cheveux le soleil blanc et noir
Des cachots suintera une liqueur plus forte que la mort
Quand on la contemple du haut d’un précipice
Les comètes s’appuieront tendrement aux forêts avant de les foudroyer
Et tout passera dans l’amour invincible
Si jamais le motif des fleuves disparaît
Avant qu’il fasse complètement nuit tu observeras
La grande pause de l’argent
Sur un pêcher en fleur apparaîtront les mains
Qui écrivirent ces vers et qui seront des fuseaux d’argent
Elles aussi et aussi des hirondelles d’argent sur le métier de la pluie
Tu verras l’horizon s’entrouvrir
et c’en sera fini tout à coup du baiser de l’espace
Mais la peur n’existera déjà plus et les carreaux du ciel et de la mer
Voleront au vent plus fort que nous
Que ferai-je du tremblement de ta voix
Souris valseuse autour du seul lustre qui ne tombera pas
Treuil du temps
Je monterai les cœurs des hommes
Pour une suprême lapidation
Ma faim tournoiera comme un diamant trop taillé
Elle nattera les cheveux de son enfant le feu
Silence et vie
Mais les noms des amants seront oubliés
Comme l’adonide goutte de sang
Dans la lumière folle
Demain tu mentiras à ta propre jeunesse
A ta grande jeunesse luciole
Les échos mouleront seuls tous ces lieux qui furent
Et dans l’infinie végétation transparente
Tu te promèneras avec la vitesse
Qui commande aux bêtes des bois
Mon épave peut-être tu t’y égratigneras
Sans la voir comme on se jette sur une arme flottante
C’est que j’appartiendrai au vide semblable aux marches
D’un escalier dont le mouvement s’appelle bien en peine
A toi les parfums dès lors les parfums défendus
L’angélique
Sous la mousse creuse et sous tes pas qui n’en sont pas
Mes rêves seront formels et vains
comme le bruit de paupières de l’eau dans l’ombre
Je m’introduirai dans les tiens pour y sonder la profondeur de tes larmes
Mes appels te laisseront doucement incertaine
Et dans le train fait de tortues de glace
Tu n’auras pas à tirer le signal d’alarme
Tu arriveras seule sur cette plage perdue
Où une étoile descendra sur tes bagages de sable

(André Breton)

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ÉPITAPHE POUR UN CENTAURE (Joseph Brodski)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2023



ÉPITAPHE POUR UN CENTAURE

Dire qu’il fut malheureux serait trop dire,
ou trop peu : fonction de l’auditoire.
Pourtant l’odeur qu’il dégageait était légèrement offensante
et son galop, bien difficile à suivre à hauteur.
Il disait, On avait prévu une statue, mais quelque chose avait raté :
le moule ? la fabrication ? la gestion ?
Ou la guerre n’avait pas eu lieu, on avait pactisé avec l’ennemi,
et lui, on l’avait laissé là, sans doute avec mission d’incarner
l’Intransigeance, l’Incompatibilité, ces choses qui ne prouvent pas tant
la singularité d’un être, sa valeur, mais un simple probable.
Des années durant, tel un nuage, il avait erré dans les champs d’oliviers,
admirant que l’unijambisme engendrât l’immobilité.
Il apprit à se mentir à lui-même et en fit un art,
faute de meilleure compagnie, et pour vérifier sa santé mentale.
Et il mourut assez jeune, parce qu’il trouva que
sa part animale était moins durable que son humanité.

(Joseph Brodski)

Illustration: Gustave Moreau

 

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Ne me regardez plus (Claude Esteban)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2023


femmes

 

Ne me regardez plus.
Je fais semblant de vivre avec des gestes.
J’ai mal et je vous mens.
Je voudrais tant que vous m’aimiez, filles secrètes.
Que vous m’emportiez avec vous, filles très douces de l’obscur.
Ouvrez les bras, acceptez que je dorme dans vos cavernes.
Je boira à vos sucs.
Je me perdrai, le soir,
dans vos chemins.

(Claude Esteban)

 

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