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LES OISELETS DE MON PAYS (Gace Brulé)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024



    

LES OISELETS DE MON PAYS

Les oiselets de mon pays,
en Bretagne, je les ai entendus.
Ce chant, il me semble bien,
je l’entendais jadis,
je ne peux m’y tromper,
dans ma douce Champagne.
Ils m’ont mis en de si douces pensées
que j’ai entrepris mon chant
dans l’espoir de la récompense
qu’Amour m’a toujours promise.

En cette longue attente, je languis
mais je ne me plains pas.
Je perds le goût des rires et des jeux
car celui que torturent les affres de l’amour,
rien d’autre ne le soucie.
Mon corps et mon visage
se tendent si souvent sous l’effet de l’angoisse
que j’en parais stupide.
Si d’autres trahissent l’Amour,
je n’ai jamais été l’un des leurs.

D’un baiser ma douce et noble dame
s’est emparée de mon coeur.
Quelle folie de m’abandonner ainsi
pour celle qui me tourmente !
Mais, hélas ! il m’a quitté
sans que je m’en aperçoive.
Elle me l’a pris si doucement,
un seul soupir l’a emporté vers elle.
Mon désir me fascine à me rendre fou
mais elle n’aura jamais pitié de moi.

Le souvenir remonte en moi
d’un baiser dont j’ai l’impression
à tout moment, ô trahison !
qu’il se pose à nouveau sur mes lèvres.
Dieu ! quand elle l’accepta, ce baiser,
que ne me suis-je protégé contre ma mort !
Elle sait bien que je me tue
en cette longue attente
qui me mine et me défait.

J’en perds les rires et les jeux
et je meurs de mon désir.
Amour me fait trop souvent cher payer
les joies qu’il me donne.
Hélas ! je n’ose aller vers ma dame
car, en me faisant paraître ridicule,
les faux amants causent ma perte.
Je meurs quand je les vois lui parler,
à elle en qui personne ne peut relever
la moindre hypocrisie.

(Gace Brulé)

Recueil:
Traduction: André Mary
Editions:

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Lorsque l’été et la douce saison (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
Lorsque l’été et la douce saison
Font feuille et fleur et les prés reverdir,
Et le doux chant des menus oisillons
Fait à plusieurs de joie se souvenir,
Las ! chacun chante, et je pleure et soupire,
Et si n’est pas droiture ni raison,
C’est du moins toute mon intention,
Dame, de vous honorer et servir.

Si j’avais le bon-sens qu’eut Salomon,
Amour me ferait bien pour fol tenir ;
Car tant est forte et cruelle sa prison
Qu’elle me fait essayer et sentir.
Ne me veut à son service retenir
Ni m’enseigner quelle est ma guérison ;
Pourtant j’ai aimé longuement en perte
Et aimerai toujours sans repentir.

Moult m’émerveille pour quelle raison
Elle me fait si longuement languir.
Je sais fort bien qu’elle croit les félons,
Les médisants que Dieu puisse maudire.
Toute leur peine ont mise à me trahir ;
Mais ne leur vaut leur mortelle trahison,
Quand sauront quelle sera ma récompense,
Dame, que j’aime, à qui ne sait mentir…

Si vous daignez ma prière écouter,
Douce Dame, je vous prie et demande
Que vous pensiez à me récompenser :
Ne penserai qu’à bien servir tout temps.
Tous les maux que j’ai me seront néant,
Douce Dame, si me voulez aimer.
En peu de temps pouvez récompenser
Les biens d’amour que j’ai attendus tant.

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil: Troubadours et trouvères
Traduction: France Igly
Editions: Pierre Seghers

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Le matériau dont les mots sont faits (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 15 avril 2024



Illustration: Wordart Nuages de Mots
    
Le matériau dont les mots sont faits et le mortier qui les unit
m’ont peu à peu enseigné un rythme secret et solitaire.

J’ai appris que toute construction est une musique
et que toute musique est faite de regards.
Le regard d’un mot est son sens,
entre les paupières tremblantes d’une perte.

Car ce n’est pas nous qui regardons les mots :
ce sont eux qui nous regardent
et peut-être aussi au-delà de nous,
en battant des paupières d’un rythme secret et solitaire.

Peut-être que demain je trouverai un mot
qui ne regarde plus vers nulle part
et ne batte pas non plus des paupières.
Un mot qui se laisse regarder.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Il est des messages (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 13 avril 2024




    
Il est des messages dont le destin est la perte,
des mots antérieurs ou postérieurs à leur destinataire,
des images qui viennent de l’autre côté de la vision,
des signes qui pointent plus haut ou plus bas que leur cible,
des signaux sans code,
des messages enrobés dans d’autres messages,
des gestes qui butent contre la paroi,
un parfum qui régresse sans retrouver son origine,
une musique qui se déverse sur elle-même
comme un escargot définitivement abandonné.

Mais toute perte est le prétexte d’une rencontre.
Les messages perdus inventent toujours qui doit les trouver.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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Croquis-Démolition (Extraits) Patricia Cottron-Daubigné)

Posted by arbrealettres sur 24 mars 2024



    

Croquis-Démolition (Extraits)

Je recule devant le coeur gueulant de l’usine, la brutalité de la machine;
ils ouvrent une porte, blindée, une deuxième, épaisses les deux et je recule,
le ventre tordu de l’odeur qui suffoque : des tuyaux, des fils, du bruit qui hurle,
du liquide partout qui pue et gicle, sur les parois, partout;
et les mains pleines, ne pas se sentir mal, il faut que je touche,
c’est la puissance de la machine qui claque ses roulements métal contre métal,
ne pas se sentir mal, je suis dans le coeur de la fierté de l’homme qui affronte la machine, la pire.
J’entends mal ce qu’ils expliquent, le roulement, le passage, la meule, la surveillance,
chaque jour et combien de fois, le ventre blindé de l’homme face,
et ses poumons comment blindés de quoi, le travail qui fait vivre et mourir je me dis,
les fils de mon cerveau raccrochent moins bien, le travail, sa perte,
vivre sans, et vivre avec, dans cette violence, je ne sais pas comment.

Les mains sont restées serrées dans les poches.
«On disait rien.» L’un après l’autre, les noms sont tombés
«C’est étrange comme on était calme. On disait rien.
Pourtant on avait envie, on sait pas, de crier, de casser;
la tension était là dans notre silence la colère tout au fond.
C’étaient pas des fainéants, pas des tire-au-flanc qu’on nous arrachait.
Des mecs bien, qui bossaient.» À la tristesse, ils ajoutaient la honte,
c’est ce qu’ils disaient «on a rien fait ».
Ils sont restés silencieux, en bleu de travail dans les odeurs d’huiles et de dissolvants,
avec des envies de pleurer. Il y avait le silence des machines et soi qui ne partait pas.

(Patricia Cottron-Daubigné)

Recueil: L’insurrection poétique Manifeste pour vivre ici
Editions: Bruno Doucey

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La colline que nous gravissons (Amanda Gorman)

Posted by arbrealettres sur 5 mars 2024




    
La colline que nous gravissons

[…]

Quand vient le jour, nous nous demandons :
Où trouver la lumière
Dans cette ombre qui sans fin s’étire ?
Le poids de nos pertes, une mer à franchir.

[…]

Quand vient le jour, nous sortons de l’ombre,
Ardents et vaillants.
L’aube nouvelle s’épanouit à mesure que nous la délivrons,
Car il y a toujours de la lumière,
Pourvu que nous ayons le courage de la voir paraître,
Pourvu que nous ayons le courage de l’être.

***
The hill we climb

[…]

When day comes, we ask ourselves:
Where can we find light
In this never-ending shade?
The loss we carry, a sea we must wade.

[…]

When day comes, we step out of the shade,
Aflame and unafraid.
The new dawn blooms as we free it,
For there is always light,
If only we’re brave enough to see it,
If only we’re brave enough to be it.

(Amanda Gorman)

Recueil: La colline que nous gravissons
Traduction: Lous and the Yakuza
Editions: Fayard

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AUTOCONSERVATION (Kiki Dimoula)

Posted by arbrealettres sur 21 février 2024




    
AUTOCONSERVATION

Ce devait être le printemps
car le souvenir qui arrive
saute par-dessus des coquelicots.
Sauf si la nostalgie
dans sa hâte,
a mal vu le souvenu.
Tout se ressemble tant
au moment de la perte.
Mais la mémoire est peut-être exacte
et ce fond étranger,
et les coquelicots issus
d’une autre histoire,
mienne ou étrangère.
La mémoire fait des coups pareils.
Par amour du beau ou par vanité.

Pourtant ce devait être au printemps
car je vois aussi des abeilles
voler autour de ce souvenir,
et s’entasser avec foi et passion
dans son calice.
Sauf si l’orgasme
est une loi du passé,
un mécanisme de l’unique.

Et s’il reste toujours du pollen dans les choses achevées pour la fécondation
de l’expérience, de la tristesse et du poème.

(Kiki Dimoula)

Recueil: Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais
Traduction: du grec par Michel Volkovitch
Editions: Gallimard

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J’ai toujours su que quelque chose manquait à la vie (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 5 février 2024




Illustration
    
J’ai toujours su que quelque chose manquait à la vie.

J’ai adoré ce manque.
Le printemps rouge des hortensias,
le livre bleu des neiges,
le miracle de l’arc-en-ciel,
les chansons en or de quatre sous,
j’accepte que tout disparaisse
puisque tout reviendra.
J’accepte de tout perdre et que,
dans le temps passager de cette perte,
le nid d’hirondelle qua j’ai dans la poitrine
soit vide, vide, vide,
féériquement vide et appelant.

(Christian Bobin)

Recueil: Un bruit de balançoire
Editions: L’Iconoclaste

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CÂLIN (Ron Padgett)

Posted by arbrealettres sur 15 janvier 2024



Illustration: Plumapi
    
CÂLIN

Plus je vieillis, plus j’aime les câlins.
Quand j’étais petit, les gens qui me faisaient des câlins étaient bien plus grands que moi.
Dans leurs bras je n’étais qu’une poupée de chiffon.
À l’adolescence, mon corps était trop crispé pour s’abandonner aux câlins.
Plus tard, après la perte de ma virginité — qui était tout sauf une perte —
la proximité extrême de l’autre, l’ odeur de ses cheveux, la chaleur de sa peau,
le bruit de son souffle dans le noir — tout cela était mystérieux et suave.

Ce câlin avait deux ingrédients principaux: l’annonce du sexe et le plaisir de l’intimité,
ce plaisir étant lui-même un mélange de confiance et d’affection.
C’est cette dernière forme qu’a prise chez moi le câlin ces dernières années,
un câlin indifférent au genre ou à l’âge.

Quand ce genre de câlin est partagé, pendant un instant le monde est parfait tel qu’il est,
et les larmes que nous versons sont parfaites aussi.
Je pense que c’est une étreinte.

(Ron Padgett)

 

Recueil: On ne sait jamais
Traduction: Claire Guillot
Editions: Joca Seria

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A perte de vue dans le sens de mon corps (Paul Éluard)

Posted by arbrealettres sur 7 janvier 2024



Illustration: Edvard Munch
    
A perte de vue dans le sens de mon corps

Tous les arbres toutes leurs branches toutes leurs feuilles
L’herbe à la base des rochers et les maisons en masse
Au loin la mer que ton œil baigne
Ces images d’un jour après l’autre
Les vices les vertus tellement imparfaits
La transparence des passants dans les rues de hasard
Et les passantes exhalées par tes recherches obstinées
Tes idées fixes au cœur de plomb aux lèvres vierges
Les vices les vertus tellement imparfaits
La ressemblance des regards de permission avec les yeux que tu conquis
La confusion des corps des lassitudes des ardeurs
L’imitation des mots des attitudes des idées
Les vices les vertus tellement imparfaits

L’amour c’est l’homme inachevé

(Paul Éluard)

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