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Lorsque l’été et la douce saison (Le Chatelain de Coucy)

Posted by arbrealettres sur 5 Mai 2024




    
Lorsque l’été et la douce saison
Font feuille et fleur et les prés reverdir,
Et le doux chant des menus oisillons
Fait à plusieurs de joie se souvenir,
Las ! chacun chante, et je pleure et soupire,
Et si n’est pas droiture ni raison,
C’est du moins toute mon intention,
Dame, de vous honorer et servir.

Si j’avais le bon-sens qu’eut Salomon,
Amour me ferait bien pour fol tenir ;
Car tant est forte et cruelle sa prison
Qu’elle me fait essayer et sentir.
Ne me veut à son service retenir
Ni m’enseigner quelle est ma guérison ;
Pourtant j’ai aimé longuement en perte
Et aimerai toujours sans repentir.

Moult m’émerveille pour quelle raison
Elle me fait si longuement languir.
Je sais fort bien qu’elle croit les félons,
Les médisants que Dieu puisse maudire.
Toute leur peine ont mise à me trahir ;
Mais ne leur vaut leur mortelle trahison,
Quand sauront quelle sera ma récompense,
Dame, que j’aime, à qui ne sait mentir…

Si vous daignez ma prière écouter,
Douce Dame, je vous prie et demande
Que vous pensiez à me récompenser :
Ne penserai qu’à bien servir tout temps.
Tous les maux que j’ai me seront néant,
Douce Dame, si me voulez aimer.
En peu de temps pouvez récompenser
Les biens d’amour que j’ai attendus tant.

(Le Chatelain de Coucy)

Recueil: Troubadours et trouvères
Traduction: France Igly
Editions: Pierre Seghers

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Les regards (Roberto Juarroz)

Posted by arbrealettres sur 11 avril 2024



Illustration: Catherine Thiam-Vernanchet
    
Les regards essaient des rencontres nouvelles.

Deux regards perpendiculaires
se croisent sans se voir
ou en se voyant d’autre manière.

Deux regards convergents
se rencontrent dans la pierre qu’ils regardent.

Deux regards qui se séparent
se touchent derrière leurs commencements.

Deux regards parallèles
se frôlent par leur bord le plus fin.

A nul regard il ne suffit de regarder.

(Roberto Juarroz)

Recueil: Poésie verticale
Traduction: de l’espagnol par Roger Munier
Editions: Gallimard

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ESSAYE-MOI D’ABORD (Jacques Higelin)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2024



Illustration: François-Joseph Durand
    
ESSAYE-MOI D’ABORD

Essaye-moi,
Essaye-moi d’abord
Avant de t’enflammer
Puis avant de sombrer
dans la loi des chassés croisés
Teste-moi d’abord

Avant qu’on se divise qu’on se sépare en deux
Avant qu’on se dégrise du vertige amoureux

Avant qu’on baisse les bras
Avant qu’on baisse les yeux

Rompons la glace
Ouvrons nos corps
Et d’un commun accord
Testons-nous encore

Avant que nos miroirs se brisent
Avant qu’on n’en puisse plus
Que nos âmes et nos corps s’enlisent
Plus vite qu’on ne l’aurait cru

Avant que sonne la disgrâce
Et la fin de nos face à face
Avant qu’on se volatilise
Qu’on se déguise en courant d’air

Avant qu’on ait perdu les traces
Du chemin qui restait à faire

(Jacques Higelin)

Recueil: Flâner entre les intervalles
Editions: Pauvert

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Quand la neige fond, où va le blanc ? (Mélanie Leblanc)

Posted by arbrealettres sur 9 février 2024




    
Quand la neige fond, où va le blanc ?
Sur les pâquerettes, peut-être ?

Pâquerettes filles de pâques,

foulées au pied
vous êtes pourtant
parmi mes préférées

vous offrez le plus court chemin
vers l’enfance et ses trésors

de mes doigts maladroits
j’essaie toujours de faire
des colliers de pâquerettes
avec les mots

(Mélanie Leblanc)

Recueil: Soleils vivaces vibrent dans nos mains
Editions: Le Castor Astral

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Images meurtrières (Edith Bruck)

Posted by arbrealettres sur 5 février 2024




    
Images meurtrières

Des images meurtrières à travers les yeux
ont anéanti mon âme,
je n’ai plus de dettes envers le Seigneur.
Le corps-machine résiste à tout
les dommages seront peut-être réparables
un jour peut-être même avec des pièces de rechange !
Le coeur s’illusionne, espère et guette le gardien
ravi par le soleil qui se pointe
derrière les nuages noirs qui descendent compacts.
J’en profite pour dérober une touffe d’herbes
une fleur vivante entre bottes et sabots,
j’essaie de lire un bout de journal,
Martha s’évanouit de plus en plus souvent elle veut mourir
elle fixe le fil barbelé où comme des épouvantails
sont agrippées deux sœurs.

(Edith Bruck)

Recueil: Pourquoi aurais-je vécu ?
Editions: Rivages Poche

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L’ÉPOUVANTE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Edouard Vuillard    
    
L’ÉPOUVANTE

Bon appétit, cher vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir, demain ?
Une chose longue et toujours pareille.

Nos jours sur nos jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus manger.

Un soir, ainsi, la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets familiers,
J’aurai le coeur plein de brusque surprise.

Je chercherai longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir pourquoi.

J’essayerai d’y voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Noue passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.

Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le coeur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
— Mère, laissez-moi, je ne veux plus rien.

Mère, toi, mère à ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.

Ô père, un soir, comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant vous mangez.

Vous irez errants parmi des ténèbres,
— Je ne sais pas quelles ténèbres, — dans un trou,
— Je ne sais pas lequel… — Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes funèbres.

Et vous mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai heurtés).

Êtes-vous là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?

Ah ! sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite, cachons-nous bien !

Que n’est-il un lieu sûr, secret des hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes.

Petite minute obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans amour ;

Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la bouche ;

Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en paix !

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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Je marche dans un désert (Jean-Baptiste Besnard)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2023




Je marche dans un désert
dans une forêt
Dans des couloirs
Pour arriver à une oasis
A une clairière
A une chambre
En vain j’essaie d’ouvrir
Une fenêtre sur l’inconnu
Tout autour les murs s’écroulent
Et je ne vois toujours rien
A travers cette fenêtre immobile

(Jean-Baptiste Besnard)

Illustration

 

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L’INSAISIE (Jean-Louis Rambour)

Posted by arbrealettres sur 5 décembre 2023



L’INSAISIE

De la chambre
Je bougeai le rideau
noir.
Un corbeau dans les champs
S’envola,
Qui avait cru
que je soulevais son aile.
J’ai essayé la nuit
et les dentelles.
Mais chaque fois.
J’ai terminé le poème en plein jour.

(Jean-Louis Rambour)

Illustration: Edvard Munch

 

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Je n’ai pas eu le temps (Emily Dickinson)

Posted by arbrealettres sur 24 novembre 2023



Illustration: Carrie Vielle
    
Je n’ai pas eu le temps de détester,
La tombe était trop près, j’aurais
Raté ma haine, une vie est si courte,
L’inimitié si longue à fabriquer.

Je n’ai pas eu, non plus, le temps d’aimer,
Mais puisqu’il faut faire un effort, j’ai éprouvé
Quelques minces douleurs d’amour ; assez
Pour pouvoir dire : j’ai essayé.

***

I had no time to hate, because
The grave would hinder me,
And life was not so ample I
Could finish enmity.

Nor had I time to love; but since
Some industry must be,
The little toil of love, I thought,
Was large enough for me.

(Emily Dickinson)

Recueil: L’AMOUR en Poésie
Editions: Folio Junior

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LE CLOWN (Mireille Gaglio)

Posted by arbrealettres sur 27 septembre 2023




    
LE CLOWN

Le clown…
Regardez le clown qui rit…
Ne croyez pas trop à son rire perlé,
Il rit, mais il rit trop
Pour cacher le fil de son armure
Qui s’est cassé…

Il rit, son rire va se fêler,
Il rit trop,
Et lamentablement essaie
De raccommoder le fil
Le fil de son armure cassé…
Ne pas montrer ses sentiments,
Fais ta pirouette, pauvre fou,
Fais-les rire,
Sinon, tu les ferais pleurer…

Le pauvre clown désarticulé
Nu…
Son armure va tomber…
Ses larmes vont couler…
…Mais non, un effort, un bond,
Une pirouette,
Le sourire renaît,
La cascade du rire
Va recouler ;
Le fil est renoué
L’armure est resserrée…
Riez, bonnes gens, riez…
Et aidez-moi à oublier
Que ce clown pitoyable et attristé
Au fond de moi, il est.

(Mireille Gaglio)

Recueil: La clé de l’évasion
Editions: La pensée universelle

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