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Poésie

Posts Tagged ‘marbre’

Bouche de la fontaine (Rainer Maria Rilke)

Posted by arbrealettres sur 27 février 2024




    
Bouche de la fontaine

Bouche de la fontaine, ô bouche généreuse,
disant inépuisablement la même eau pure.
Masque de marbre devant la figure
de l’eau ruisselante. Et d’en arrière

les aqueducs s’en viennent. De loin.
Longeant les tombes, des pentes de l’Apennin
ils t’apportent ce chant qu’ensuite
laisse couler ton vieux menton noirci

dans l’auge ouverte. Oreille endormie,
oreille en marbre dans laquelle
tu murmures toujours…

Oreille de la terre. Elle ne parle donc
jamais qu’à elle-même ? Et quand s’interpose la cruche,
il lui semble que tu l’interromps.

(Rainer Maria Rilke)

Recueil: Sonnets à Orphée
Editions:

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L’ÉPOUVANTE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024



Illustration: Edouard Vuillard    
    
L’ÉPOUVANTE

Bon appétit, cher vieux et chère vieille !
Nous voici tous les trois rompant le même pain,
À table, assis en paix. Chers vieux, avez-vous faim ?
Qu’est-ce que notre vie hier, ce soir, demain ?
Une chose longue et toujours pareille.

Nos jours sur nos jours dorment sans bouger.
Nos yeux n’attendent rien en regardant la porte.
La servante va, vient, apporte un plat, l’emporte,
C’est tout… Quel froid aigu me perce de la sorte ?
Emportez tout ! Je ne peux plus manger.

Un soir, ainsi, la table sera mise
À la même lueur des mêmes chandeliers,
L’horloge hachera l’heure à coups réguliers,
Et moi, seule, entre tous nos objets familiers,
J’aurai le coeur plein de brusque surprise.

Je chercherai longtemps autour de moi,
À ma gauche, toi, père, et toi, mère, à ma droite ;
J’écouterai respirer la maison étroite,
Stupéfaite, perdue et l’âme maladroite
Se heurtant partout sans savoir pourquoi.

J’essayerai d’y voir, de tout reconnaître,
Les carreaux effrités et la tenture à fleurs,
Cherchant dans les dessins du marbre, ses couleurs,
Noue passé comme une trace de voleurs,
Tel un chien qui suit l’odeur de son maître.

Et chaque profil du temps ancien,
Je le retrouverai, les yeux béants, stupide,
Considérant, le coeur trahi par chaque guide,
Tous les objets présents et la demeure vide…
— Mère, laissez-moi, je ne veux plus rien.

Mère, toi, mère à ma droite attablée,
Tu sortiras dehors par cette porte un jour.
Les gens endimanchés t’attendront dans la cour.
Passant au milieu d’eux, tout droit et sans retour,
Tu conduiras ta dernière assemblée.

Ô père, un soir, comme ces étrangers
Qu’on chasse dans la nuit, un soir de sombre alerte,
T’arrachant de ton lit, chose d’un drap couverte,
On te jettera hors de ta maison ouverte…
C’est vrai… c’est sûr… Et pourtant vous mangez.

Vous irez errants parmi des ténèbres,
— Je ne sais pas quelles ténèbres, — dans un trou,
— Je ne sais pas lequel… — Je ne saurai pas où
Vous rejoindre et vaguant çà et là comme un fou,
Je me perdrai sur des routes funèbres.

Et vous mangez ! Tranquilles, vous portez
La gaîté des fruits mûrs à votre lèvre blême !
Laissez-moi vous toucher, je vous ai, je vous aime…
(Pardon, je suis parfois maladroite à l’extrême
Et sans le vouloir je vous ai heurtés).

Êtes-vous là ? Je vous vois et j’en doute.
Je vous touche, chers vieux, êtes-vous encor là ?
Cette table, ce pain, ces vases, tout cela,
N’est-ce qu’un songe, une forme qui s’envola ?
Une vapeur déjà dissoute ?

Ah ! sauvons-nous vite, n’emportons rien.
D’un seul pas devançant l’heure qui nous menace,
Sans regarder derrière nous, tant qu’en l’espace
Nos pieds épouvantés trouveront de la place,
Cachons-nous bien, vite, cachons-nous bien !

Que n’est-il un lieu sûr, secret des hommes,
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit !
Hélas ! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes.

Petite minute obscure du jour,
Ni bonne, ni mauvaise, incolore, sans gloire,
Minute, vague odeur de manger et de boire,
Tintement de vaisselle et bruit vil de mâchoire,
Minute sans ciel, sans fleur, sans amour ;

Instant mort-né dont le néant accouche ;
Place informe du temps où tous trois nous voici
Arrivés, les yeux pleins d’horizon rétréci,
Mâchant un peu de viande et de pain, sans souci
Que de parfois nous essuyer la bouche ;

Petite minute, ah ! si tu pouvais,
Toujours la même en ton ennui paralysée.
Durer encor, durer toujours, jamais usée,
Et prolonger sans fin, sans fin éternisée,
Notre geste étroit de manger en paix !

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Traduction:
Editions: Gallimard

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Voluptueuse (Jean-Baptiste Besnard)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2023



Voluptueuse

Tu touches à la plénitude
Tenant dans tes mains
Un bouquet de rêves
Que tu effeuilles comme des roses
Dans le jardin des espoirs

Dans la brume qui fleurit
Au flanc de la colline
Tu traces avec un ongle verni
La blessure de l’aurore
Sur le ventre nu
De l’adolescence du jour

Tu souris à la pierre qui médite
Sur le seuil de ta maison
Où la clarté achève
De démêler ta chevelure sombre
Qui tombe sur les épaules de la nuit

Tu agites les plis de ta robe
Sur tes jambes de marbre
Et le vent dévoile tes cuisses
Bien au-dessus des bas

(Jean-Baptiste Besnard)


Illustration: Guillaume Seignac

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Grand air (Paul Eluard)

Posted by arbrealettres sur 2 décembre 2023



La rive les mains tremblantes
Descendait sous la pluie
Un escalier de brumes
Tu sortais toute nue
Faux marbre palpitant
Teint de bon matin
Trésor gardé par des bêtes immenses
Qui gardaient elles du soleil sous leurs ailes
pour toi
Des bêtes que nous connaissions sans les voir

Par-delà les murs de nos nuits
Par-delà l’horizon de nos baisers
Le rire contagieux des hyènes
Pouvait bien ronger les vieux os
Des êtres qui vivent un par un

Nous jouions au soleil à la pluie à la mer
A n’avoir qu’un regard qu’un ciel et qu’une mer
Les nôtres.

(Paul Eluard)

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Toi Franz Toussaint)

Posted by arbrealettres sur 20 novembre 2023




    
Toi

Ta chevelure,
qui est l’étendard
de mon amour.

Ton front,
tiède et bombé
comme une cassolette.

Tes yeux,
qui sont couchés
sur ton visage.

Tes lèvres,
cette porte
du Jardin.

Tes dents,
entre tes lèvres,
comme de la neige
sur de la pourpre.

Ta langue,
qui a mûri
pour ma bouche.

Ton cou,
qui est une colonne d’ivoire.

Ton épaule,
lisse
comme la margelle d’un puits.

Tes bras,
qui seront deux flammes
autour de mon corps.

Tes seins,
qui jaillissent
pour se donner.

Ton ventre,
ce parvis de marbre.

Tes jambes,
réunies
comme deux agneaux craintifs.

Tes pieds,
qui ont franchi le seuil de ma demeure
et que je pose sur mon front.

(Franz Toussaint)

Recueil: L’AMOUR en Poésie
Editions: Folio Junior

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LES SPIRES (William Butler Yeats)

Posted by arbrealettres sur 17 octobre 2023



Illustration: William Blake
    
LES SPIRES

Les Spires ! Les Spires ! Vieux Visage de Pierre, regarde ;
A penser trop longtemps, tu ne peux plus penser,
Trop de beauté se tue, trop de valeur aussi,
Les formes de jadis sont aujourd’hui perdues.
Un sang irrationnel coule et salit la terre ;
Empédocle partout a semé le désordre ;
Hector est mort, il y a des flammes à Troie ;
Et nos yeux qui regardent ont un rire tragique.

Qu’importe si triomphe une vision de mort
Si le corps est meurtri, sali de boue, de sang ?
Qu’importe? Les soupirs et les larmes sont vains,
La grâce de nos jours plus beaux s’en est allée ;
Je ne désire plus trouver des figures peintes
Ni des boîtes de fard dans les anciens tombeaux ;
Qu’importe ? Une voix sort du fond de ces cavernes,
Et ne sait que ce cri : «Homme, Réjouis-toi ! ».

Nos actions et nos actes, notre âme aussi sont vils,
Qu’importe ? Ceux que chérit ce Visage de Pierre,
Amoureux des chevaux et amoureux des femmes,
Sauront, brisant enfin le marbre du sépulcre,
Hors de la nuit étrange des fouines et des hiboux,
Ou de tout le néant riche et noir, déterrer
Le saint, le noble, l’ouvrier, et de nouveau
Le monde tournera sur la spire insolite.

***

THE GYRES

The gyres! the gyres! Old Rocky Face, look forth;
Things thought too long can be no longer thought,
For beauty dies of beauty, worth of worth,
And ancient lineaments are blotted out.
Irrational streams of blood are staining earth;
Empedocles has thrown all things about;
Hector is dead and there’s a light in Troy;
We that look on but laugh in tragic joy.

What matter though numb nightmare ride on top,
And blood and mire the sensitive body stain?
What matter? Heave no sigh, let no tear drop,
A greater, a more gracious time has gone;
For painted forms or boxes of make-up
In ancient tombs I sighed, but not again;
What matter? Out of cavern comes a voice,
And all it knows is that one word ‘Rejoice!’

Conduct and work grow coarse, and coarse the soul,
What matter? Those that Rocky Face holds dear,
Lovers of horses and of women, shall,
From marble of a broken sepulchre,
Or dark betwixt the polecat and the owl,
Or any rich, dark nothing disinter
The workman, noble and saint, and all things run
On that unfashionable gyre again.
And blood and mire the sensitive body stain.

(William Butler Yeats)

Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS

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Mes cinquante ans venus (William Butler Yeats)

Posted by arbrealettres sur 17 octobre 2023



Illustration: William Butler Yeats

    

Mes cinquante ans venus, passés,
J’étais assis, solitaire,
Parmi la foule d’un magasin de Londres,
Livre ouvert, tasse vide
Sur le marbre d’une table.

Mon regard errait du magasin à la rue
Quand soudain tout mon corps s’embrasa
Et pendant près de vingt minutes
Il me sembla, tel était mon bonheur,
Que j’étais béni, que je pouvais bénir.

***

My fiftieth year had come and gone,
I sat, a solitary man,
In a crowded London shop,
An open book and empty cup
On the marble table-top.

While on the shop and street I gazed
My body of a sudden blazed;
And twenty minutes more or less
It seemed, so great my happiness,
That I was blessèd and could bless.

(William Butler Yeats)

Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS

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Je vous ai vue trois fois (Marina Tsvetaeva)

Posted by arbrealettres sur 30 septembre 2023




Illustration: Amedeo Bocchi
    
Je vous ai vue trois fois,
Mais nous ne restons pas séparées :
Votre première phrase brûlante
M’a transpercé le coeur !

Son sens m’est aussi obscur
Que le bruissement de jeunes feuilles.
Vous êtes un vrai portrait d’album
Et je ne saurai pas qui vous êtes.

Tout ici est, dit-on, hasard…
On peut refermer l’album
Oh ! Le front de marbre ! Mystère
Derrière ce front immense !

Écoutez, je suis sincère
Jusqu’au défi, jusqu’à l’angoisse :
Ma crinière dorée
Ignore la caresse.

Mon esprit n’obéit à personne
Nous sommes des âmes de différentes castes !
Et mon démon insoumis
Ne me permettra pas de vous aimer

— Alors qu’était-ce ?
— Cela Seule un autre Juge le dira.
Ici peu de réponses
Et vous ne saurez pas qui je suis.

(Marina Tsvetaeva)

Recueil: Poèmes de Russie (1912-1920) suivi de La Porte arrachée par Marina
Traduction: Véronique Lossky & Georges Nivat
Editions: Des Syrthes

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TOUSSAINT POUR TOI MAMAN (Odette Romeu)

Posted by arbrealettres sur 15 septembre 2023




    

« Puis à l’heure par Dieu choisie
Je partirai pour les grands Cieux
Adieu la terre, adieu la vie
Où l’on ne peut pas être heureux »
Marguerite ORRIT
(1962, juste avant sa mort)

TOUSSAINT POUR TOI MAMAN
A mon père A mon frère A ma tante

Toussaint… et j’omettais de t’envoyer des fleurs
M’en voudras-tu, maman, toi jadis toujours prête
A t’enfuir comme moi vers l’azur des poètes ?
Je pense qu’aujourd’hui l’amertume des pleurs

Qui brouillent mon regard et baignent mon visage
Et cette main qui tremble au long de cette page
Te prouveront assez, qu’après bientôt dix ans,
Je garde au fond du coeur, tranchant comme une lame,

Aussi dense, aussi dur, le souvenir du drame
De cette nuit hagarde où pendant si longtemps
J’ai dû, pâle et glacée, accourir vers ces lieux
Où tu n’étais plus qu’ombre en la clarté funèbre

Des cierges vacillant au milieu des ténèbres,
Toi dont je n’avais pu fermer les pauvres yeux.
Depuis, sourde à la voix d’un cyprès d’où retombent
Des écailles tissant un linceul clairsemé,

Tu dors : un cyclamen, quelques glaïeuls, des tombes…
Et sur ce clou profond mon coeur s’est refermé.
Pourtant je ne crois pas qu’un mur longtemps résiste

Même si c’est la Mort, aux assauts de l’Amour
Et j’entrevois en songe un collier d’améthyste
Où tu luiras pour moi, plus pure encore, un jour.

Mais avant, que d’écueils, mais avant, que de larmes
Sur ma route d’exil je devrai rencontrer.
Dis, toutes ces douleurs, dis, toutes ces alarmes,
Si l’amour jusqu’à toi les force à pénétrer,

A travers ce linceul dont nous t’avions drapée
Ne les ressens-tu pas encor comme une épée ?
Et n’as-tu pas encor, graves et triomphants,
Des mots mélodieux pour bercer ton enfant ?

Quand mon corps se révolte à l’acmé de sa fièvre,
N’est-ce pas toi qui clos d’un doigt tendre mes lèvres ?
Ce bleu vers le zénith, dis, n’est-ce pas ta main
Dans l’arc-en-ciel mouvant, qui montre le chemin ?

Et pour que n’erre plus mon âme solitaire,
N’as-tu pas fait reluire un nouveau sanctuaire ?
Toi qui me chérissais si maladroitement,
Prête à donner ta vie afin que je renaisse,
Toi qui voyais le monde à travers un tourment,
Qui m’irritais parfois à force de tendresse,

A force de vouloir, éperdument, mourir,
De trop scruter le ciel sans regarder à terre,
De trop heurter du pied, à chaque pas, des pierres,
Toi que dans mon oubli je n’ai pas su fleurir
De ces roses, miroir de ton âme rêveuse
Où tes yeux auraient vu passer ma main pieuse,

En ce jour de Toussaint où croulent tant de fleurs,
Où tant de marbre luit sous tant de chrysanthèmes,
De mes doigts sans bouquet recueille ce poème
Où chaque rose perle et tremble comme un pleur.

(Odette Romeu)

Recueil: Sur les rives du Jourdain
Editions: émergences

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RETOUCHE AU CLOITRE (Daniel Boulanger)

Posted by arbrealettres sur 22 juillet 2023



 

Jean-Pierre Alaux -

RETOUCHE AU CLOITRE

L’infante
sur l’escalier de marbre
monte vers le soleil
qui ne tient que par un fil
et le vent poivré qui sort de la forteresse
incline son navire

(Daniel Boulanger)

Illustration: Jean-Pierre Alaux

 

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