Je t’adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l’amour maternel !
Je te chante, et tu peux m’accepter pour ton prêtre,
Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu
Et qui choisis, souvent, quand tu veux disparaître,
L’humble vitre d’une fenêtre
Pour lancer ton dernier adieu !
Tu fais tourner les tournesols du presbytère,
Luire le frère d’or que j’ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu’on n’ose plus marcher !
Gloire à toi sur les prés! Gloire à toi dans les vignes !
Sois béni parmi l’herbe et contre les portails !
Dans les yeux des lézards et sur l’aile des cygnes !
Ô toi qui fais les grandes lignes
Et qui fais les petits détails!
C’est toi qui, découpant la Sœur jumelle et sombre
Qui se couche et s’allonge au pied de ce qui luit,
De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre,
A chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui !
Je t’adore, Soleil ! Tu mets dans l’air des roses,
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson !
Tu prends un arbre obscur et tu l’apothéoses !
Ô Soleil ! toi sans qui les choses
Ne seraient que ce qu’elles sont !
Taverne bénie, pourquoi te cacher?
perdue de frayeurs j’ai longtemps marché.
Je rêvais d’abri, de repos.
Si je te supplie resteras-tu close?
***
0! Blessed Tavern
O! blessed tavern wherefore art thou hidden
I’ve journeyed far with fears and cares beridden,
Longing to find a shelter and a rest.
Wilt thou not open thy door if kindly bidden?
(Kate Chopin)
Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne
Ils étions trois soldats
S’en allaient à la guerre,
S’en allaient à la guerre
Sans pouvoir l’éviter.
Et leurs chères maîtresses
Ne faisaient que pleurer.
2
Le plus jeune des trois
Regrettait bien la sienne,
Regrettait bien la sienne.
Puisqu’il faut la quitter,
Puisqu’il faut la quitter
Dans le bois de merveilles
Fut la reconsoler.
3
Quand ils furent au Piémont
Prêts à monter la garde :
« Bonjour mon capitaine,
Donnez-moi un congé
Pour aller voir ma maîtresse,
Celle que j’ai tant aimé ».
4
Le capitaine répond,
Comme un brave gendarme :
« Voilà la carte blanche
Et un joli passeport.
Va t’en voir ta maîtresse
Et reviens tout d’abord ».
5
Quand il fut au pays
Demande à voir la belle.
« Va ta maîtresse est morte
Et enterrée aussi.
Son corps est sous la terre
Son âme au paradis ».
6
Battez, battez tambours,
Sonnez, sonnez trompettes,
Sonnez, sonnez trompettes,
Puisque ma maîtresse est morte
Je retourne au régiment.
7
Que maudit soit l’amour
Que bénie soit la guerre,
Que bénie soit la guerre
Et celui qui la fait.
Tout le temps de ma vie
Je la regretterai.
Mes cinquante ans venus, passés,
J’étais assis, solitaire,
Parmi la foule d’un magasin de Londres,
Livre ouvert, tasse vide
Sur le marbre d’une table.
Mon regard errait du magasin à la rue
Quand soudain tout mon corps s’embrasa
Et pendant près de vingt minutes
Il me sembla, tel était mon bonheur,
Que j’étais béni, que je pouvais bénir.
***
My fiftieth year had come and gone,
I sat, a solitary man,
In a crowded London shop,
An open book and empty cup
On the marble table-top.
While on the shop and street I gazed
My body of a sudden blazed;
And twenty minutes more or less
It seemed, so great my happiness,
That I was blessèd and could bless.
(William Butler Yeats)
Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS
Je ferai chansonnette neuve
Avant qu’il vente, gèle ou pleuve.
Ma dame me tente et m’épreuve
Pour savoir quel amour me tient.
Malgré les peines qui m’émeuvent
Je ne dénoue pas ses liens.
Je me rends à elle et me livre,
Elle peut m’inscrire en ses livres,
Ne croyez pas que je sois ivre,
Désir de ma Dame me tient.
Sans elle je ne peux pas vivre.
De son amour j’ai si grand faim !
Vous êtes plus blanche qu’ivoire,
Je vous adore et vous veux boire,
Je veux bien mourir de mort noire
Si je n’ai secours d’amour vrai.
Par la tête de saint Grégoire
Au lit ou sous l’arbre, un baiser !
Que gagnerez-vous jolie Dame
A me tenir loin de votre âme ?
Ne jouez pas la sainte femme !
Sachez donc, tant je vous chéris,
Que je crains dur tourment de larmes
Si vous n’entendez pas mon cri.
Je sombrerai en patenôtres
Si vous ne me tenez pour vôtre.
Toute la joie du monde est nôtre
Bonne dame, si vous m’aimez.
Je te prie, mon ami Daurostre
De chanter ces vers sans bramer !
Car pour elle j’ai froid, je tremble
Tout amour en elle s’assemble,
Il n’en est point qui lui ressemble
Dans la lignée du père Adam.
Chanson
Dans la douceur du temps nouveau
Les bois verdissent, les oiseaux,
Chacun dans son langage, chantent
Les vers plaisants du renouveau.
Il faut bien que tout être cherche
À satisfaire son désir !
Ne me viennent du lieu béni
Ni message ni lettre close,
Et mon coeur ne dort ni ne rit.
Accourir vers elle je n’ose
Tant que j’ignore en vérité
Si nos cœurs sont bien accordés.
Ainsi va-t-il de notre amour
Comme la branche d’aubépine
Tout au long de la nuit, tremblante
Elle endure le froid, la pluie,
Le lendemain vient le soleil
Sur la feuille et le rameau vert.
Je me souviens d’un beau matin
Où nous mîmes fin à la guerre.
Elle me fit le don, ce jour-là
De son amour, de son anneau.
Dieu veuille que je vive assez
Pour passer les mains sous sa cape !
Peu m’importe ce que l’on dit
Pour me pousser à fuir Voisine.
Je sais ce que valent les mots,
Et comment ils vont çà et là.
D’autres d’amour se gargarisent
Moi j’en ai la chair et le dard.
(Guillaume de Poitiers)
Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points
J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j’ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant
Comme au passé
J’ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l’arbre
Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs
J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l’odeur des mûres écrasées
C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas
Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?
(Monique Serf)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON