Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘béni’

Hymne au soleil (Edmond Rostand)

Posted by arbrealettres sur 16 février 2024




    
Hymne au soleil

Je t’adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l’amour maternel !

Je te chante, et tu peux m’accepter pour ton prêtre,
Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu
Et qui choisis, souvent, quand tu veux disparaître,
L’humble vitre d’une fenêtre
Pour lancer ton dernier adieu !

Tu fais tourner les tournesols du presbytère,
Luire le frère d’or que j’ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu’on n’ose plus marcher !

Gloire à toi sur les prés! Gloire à toi dans les vignes !
Sois béni parmi l’herbe et contre les portails !
Dans les yeux des lézards et sur l’aile des cygnes !
Ô toi qui fais les grandes lignes
Et qui fais les petits détails!

C’est toi qui, découpant la Sœur jumelle et sombre
Qui se couche et s’allonge au pied de ce qui luit,
De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre,
A chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui !

Je t’adore, Soleil ! Tu mets dans l’air des roses,
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson !
Tu prends un arbre obscur et tu l’apothéoses !
Ô Soleil ! toi sans qui les choses
Ne seraient que ce qu’elles sont !

(Edmond Rostand)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Taverne bénie (Kate Chopin)

Posted by arbrealettres sur 7 février 2024



    

Taverne bénie

Taverne bénie, pourquoi te cacher?
perdue de frayeurs j’ai longtemps marché.
Je rêvais d’abri, de repos.
Si je te supplie resteras-tu close?

***

0! Blessed Tavern

O! blessed tavern wherefore art thou hidden
I’ve journeyed far with fears and cares beridden,
Longing to find a shelter and a rest.
Wilt thou not open thy door if kindly bidden?

(Kate Chopin)

Recueil: Sous le ciel de l’été
Traduction: Gérard Gâcon
Editions: Université de Saint-Étienne

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

LE SOLDAT QUI TROUVE SA MIE MORTE (Chansons du XVIIIè)

Posted by arbrealettres sur 18 novembre 2023




    
LE SOLDAT QUI TROUVE SA MIE MORTE

1

Ils étions trois soldats
S’en allaient à la guerre,
S’en allaient à la guerre
Sans pouvoir l’éviter.
Et leurs chères maîtresses
Ne faisaient que pleurer.

2

Le plus jeune des trois
Regrettait bien la sienne,
Regrettait bien la sienne.
Puisqu’il faut la quitter,
Puisqu’il faut la quitter
Dans le bois de merveilles
Fut la reconsoler.

3

Quand ils furent au Piémont
Prêts à monter la garde :
« Bonjour mon capitaine,
Donnez-moi un congé
Pour aller voir ma maîtresse,
Celle que j’ai tant aimé ».

4

Le capitaine répond,
Comme un brave gendarme :
« Voilà la carte blanche
Et un joli passeport.
Va t’en voir ta maîtresse
Et reviens tout d’abord ».

5

Quand il fut au pays
Demande à voir la belle.
« Va ta maîtresse est morte
Et enterrée aussi.
Son corps est sous la terre
Son âme au paradis ».

6

Battez, battez tambours,
Sonnez, sonnez trompettes,
Sonnez, sonnez trompettes,
Puisque ma maîtresse est morte
Je retourne au régiment.

7

Que maudit soit l’amour
Que bénie soit la guerre,
Que bénie soit la guerre
Et celui qui la fait.
Tout le temps de ma vie
Je la regretterai.

(Chansons du XVIIIè)

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

AU COUCOU (William Wordsworth)

Posted by arbrealettres sur 25 octobre 2023




    
AU COUCOU

Je t’entends, je t’entends partout,
Joyeux Revenant qui m’enchantes !
T’appellerai-je Oiseau, Coucou,
Ou simple Voix errante ?

Allongé dans l’herbe j’entends
Voler ton double cri
De butte en butte, en même temps
Tout près et loin d’ici.

Bien qu’au Vallon seul tu racontes
Le soleil et les fleurs,
À moi tu apportes un conte
De visionnaires heures.

Trois fois bienvenu, Printanier
Chéri ! bien que pour moi
Pas oiseau mais objet caché,
Un mystère, une voix,

La même que dans mon enfance
J’écoutais ; celle qui
Me faisait fouiller en tous sens
Ciel, arbres et taillis.

Bien souvent à ta poursuivance
Je courais bois et prés ;
Tu étais amour, espérance,
Jamais vu, toujours désiré.

Je puis me coucher dans la plaine
Pour t’écouter encor;
Et, t’écoutant, faire que vienne
À nouveau l’Âge d’or.

Oiseau béni ! sur cette terre
Où nous marchons, tu dois
— Sur elle, féerique et légère
— Être vraiment chez Toi !

***

TO THE CUCKOO

O blithe New-comer! I have heard,
I hear thee and rejoice.
O Cuckoo ! shall I call thee Bird,
Or but a wandering Voice ?

While I am lying on the grass
Thy twofold shout I hear;
From hill to hill it seems to pass
At once far off, and near.

Though babbling only to the Vale,
Of sunshine and of flowers,
Thou bringest unto me a tale
Of visionary hours.

Thrice welcome, darling of the Spring!
Even yet thou art to me
No bird, but an invisible thing,
A voice, a mystery;

The same whom in my schoolboy days
I listened to ; that Cry
Which made me look a thousand ways
In bush, and tree, and sky.

To seek thee did I often rove
Through woods and on the green ;
And thou wert still a hope, a love;
Still longed for, never seen.

And I can listen to thee yet;
Can lie upon the plain
And listen, till I do beget
That golden time again.

O blessed Bird ! the earth we pace
Again appears to be
An unsubstantial, faery place;
That is fit home for Thee !

(William Wordsworth)

Recueil: Poèmes
Traduction: François-René Daillie
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 2 Comments »

À MA SŒUR (William Wordsworth)

Posted by arbrealettres sur 25 octobre 2023



Illustration: Albert Lynch
    
À MA SŒUR

Jour de mars où l’hiver s’apaise :
Il fait à chaque instant plus doux,
Le rouge-gorge du mélèze
Chante là, tout près de chez nous.

Quel bonheur se répand dans l’air,
Quelle joie immense illumine
L’herbe nouvelle du pré vert
Et les arbres nus, les collines !

Viens, ma soeur! (telle est ma prière)
Fini le repas du matin,
Hâte-toi, laisse tes affaires,
Viens prendre le soleil un brin.

Edward nous accompagne; — vite,
Je te prie, vêts-toi pour les champs ;
Viens sans livre car je t’invite
Au loisir exclusivement.

Nulle nonne ne réglera
Notre vivant calendrier :
Notre année, Amie, datera
De ce jour-ci son jour premier.

L’amour, naissance universelle,
D’un cœur à l’autre se répand,
La terre à l’homme, l’homme à elle :
— C’est l’aurore du sentiment.

L’instant présent nous donne encore
Plus que tant d’efforts de raison :
Et nos êtres par chaque pore
Boiront l’esprit de la saison.

Nos cœurs feront des lois muettes
Et leur obéiront toujours :
Et nous, pour l’année qui s’apprête,
Suivrons notre humeur de ce jour.

Et dans la puissance bénie
En bas comme en haut, alentour,
Nos âmes puisant l’harmonie,
Seront accordées à l’amour.

Allons, ma Sœur, viens donc ! et vite,
Je te prie, vêts-toi pour les champs ;
Viens sans livre car je t’invite
Au loisir exclusivement.

***

TO MY SISTER

It is the first mild day of March :
Each minute sweeter than before,
The redbreast sings from the tall larch
That stands beside our door.

There is a blessing in the air,
Which seems a sense of joy to yield
To the bare trees, and mountains bare,
And grass in the green field.

My sister ! (’tis a wish of mine)
Now that our morning meal is done,
Make haste, your morning task resign ;
Come forth and feel the sun.

Edward will come with you; — and, pray,
Put on with speed your woodland dress;
And bring no book; for this one day
We’ll give to idleness.

No joyless forms shall regulate
Our living calendar :
We from to-day, my Friend, will date
The opening of the year.

Love, now a universal birth,
From heart to heart is stealing,
From earth to man, from man to earth :
— It is the hour of feeling.

One moment now may give us more
Than years of toiling reason :
Our minds shall drink at every pore
The spirit of the season.

Some silent laws our hearts will make,
Which they shall long obey :
We for the year to come may take
Our temper from to-day.

And from the blessed power that rolls
About, below, above,
We’ll frame the measure of our souls :
They shall be tuned to love.

Then come, my Sister! come,
I pray, With speed put on your woodland dress;
And bring no book : for this one day
We’ll give to idleness.

(William Wordsworth)

Recueil: Poèmes
Traduction: François-René Daillie
Editions: Gallimard

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Mes cinquante ans venus (William Butler Yeats)

Posted by arbrealettres sur 17 octobre 2023



Illustration: William Butler Yeats

    

Mes cinquante ans venus, passés,
J’étais assis, solitaire,
Parmi la foule d’un magasin de Londres,
Livre ouvert, tasse vide
Sur le marbre d’une table.

Mon regard errait du magasin à la rue
Quand soudain tout mon corps s’embrasa
Et pendant près de vingt minutes
Il me sembla, tel était mon bonheur,
Que j’étais béni, que je pouvais bénir.

***

My fiftieth year had come and gone,
I sat, a solitary man,
In a crowded London shop,
An open book and empty cup
On the marble table-top.

While on the shop and street I gazed
My body of a sudden blazed;
And twenty minutes more or less
It seemed, so great my happiness,
That I was blessèd and could bless.

(William Butler Yeats)

Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction; de l’anglais (Irlande) par Jean Briat
Editions: POINTS

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Chanson (Guillaume de Poitiers)

Posted by arbrealettres sur 18 septembre 2023




    
Chanson

Je ferai chansonnette neuve
Avant qu’il vente, gèle ou pleuve.
Ma dame me tente et m’épreuve
Pour savoir quel amour me tient.
Malgré les peines qui m’émeuvent
Je ne dénoue pas ses liens.

Je me rends à elle et me livre,
Elle peut m’inscrire en ses livres,
Ne croyez pas que je sois ivre,
Désir de ma Dame me tient.
Sans elle je ne peux pas vivre.
De son amour j’ai si grand faim !

Vous êtes plus blanche qu’ivoire,
Je vous adore et vous veux boire,
Je veux bien mourir de mort noire
Si je n’ai secours d’amour vrai.
Par la tête de saint Grégoire
Au lit ou sous l’arbre, un baiser !

Que gagnerez-vous jolie Dame
A me tenir loin de votre âme ?
Ne jouez pas la sainte femme !
Sachez donc, tant je vous chéris,
Que je crains dur tourment de larmes
Si vous n’entendez pas mon cri.

Je sombrerai en patenôtres
Si vous ne me tenez pour vôtre.
Toute la joie du monde est nôtre
Bonne dame, si vous m’aimez.
Je te prie, mon ami Daurostre
De chanter ces vers sans bramer !

Car pour elle j’ai froid, je tremble
Tout amour en elle s’assemble,
Il n’en est point qui lui ressemble
Dans la lignée du père Adam.

Chanson

Dans la douceur du temps nouveau
Les bois verdissent, les oiseaux,
Chacun dans son langage, chantent
Les vers plaisants du renouveau.
Il faut bien que tout être cherche
À satisfaire son désir !

Ne me viennent du lieu béni
Ni message ni lettre close,
Et mon coeur ne dort ni ne rit.
Accourir vers elle je n’ose
Tant que j’ignore en vérité
Si nos cœurs sont bien accordés.

Ainsi va-t-il de notre amour
Comme la branche d’aubépine
Tout au long de la nuit, tremblante
Elle endure le froid, la pluie,
Le lendemain vient le soleil
Sur la feuille et le rameau vert.

Je me souviens d’un beau matin
Où nous mîmes fin à la guerre.
Elle me fit le don, ce jour-là
De son amour, de son anneau.
Dieu veuille que je vive assez
Pour passer les mains sous sa cape !

Peu m’importe ce que l’on dit
Pour me pousser à fuir Voisine.
Je sais ce que valent les mots,
Et comment ils vont çà et là.
D’autres d’amour se gargarisent
Moi j’en ai la chair et le dard.

(Guillaume de Poitiers)

Recueil: Poésie des troubadours
Traduction: Texte français de René Nelli, René Lavaud et Henri Gougaud
Editions: Points

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Je suis musique (Colette Rioche)

Posted by arbrealettres sur 4 juin 2023




    
Je suis musique

Dans le silence de mon coeur,
S’élève la voix de mon âme,
Suivant le chemin des lueurs
De mon amour et de ses flammes.

Par grandes vagues successives,
Elle fait déborder ma chanson
Dans le lit des secrètes rives
Des Hommes, don pur de mes moissons.

J’écoute la musique claire
Venant de mon être profond.
Comme un soleil crépusculaire,
Je me noie dans eaux sans fond.

Les sons jaillissent de mon être
Sous forme d’un rayonnement Intérieur
Qui me fait naître
Dans des yeux pleins d’étonnement,

Les éblouit comme un soleil
Au zénith, brûlant et vivant.
Je suis mélodie qui s’éveille,
Entité de moi-même au vent.

De doux trémolos s’échappent
De mes yeux, écrins des beautés
Que j’ai vues, tiares de pape
Bénies, couleurs d’Humanité.

En offrant aux gens mes regards,
Je fais don des sites noyés
Dans mes prunelles où règne l’Art,
Où des merveilles ont leur Foyer.

Je lance des éclairs sonores
Bâtissant un pont lumineux,
Layon de mes rêveries d’or,
Entre les esprits sinueux.

Je projette mes vibrations,
Secrètes orgues de cathédrales.
Sur cet air, Avec émotion,
Je danse ma vie d’Idéal.

(Colette Rioche)

Recueil:
Editions:

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Mon enfance (Monique Serf)

Posted by arbrealettres sur 9 Mai 2023




Illustration
    
Mon enfance

J’ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j’avais passé mon enfance
J’ai eu tort, j’ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j’ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l’arbre se dressant
Comme au passé

J’ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voies du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l’arbre
Et c’était les mêmes odeurs
Et j’ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs

J’ai mis mon dos nu à l’écorce, l’arbre m’a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j’ai fermé les yeux, je crois que j’ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J’ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J’ai voulu voir
Le jardin où nos cris d’enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l’allée
Le puits, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas

La guerre nous avait jeté là, d’autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jeté là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j’aimais cela quand j’y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j’ai mal d’être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l’odeur des mûres écrasées
C’est fou, tout, j’ai tout retrouvé
Hélas

Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires
Ceux de l’enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd’hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas

Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J’ai froid, j’ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?

(Monique Serf)

Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

CHOSES (Gabriela Mistral)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2023



Gabriela Mistral
    
CHOSES
A Max Daireaux.

J’aime les choses jamais eues,
avec celles que je n’ai plus.

Je palpe une eau silencieuse,
étale sur des prés frileux,
frissonnant sans la moindre brise,
dans un clos qui fut mon enclos.

Je la vois comme la voyais,
une étrange pensée me vient
et je joue, lente, avec cette eau,
comme avec poisson ou mystère.

Je pense au lieu où j’ai laissé
des pas joyeux que je n’ai plus
et sur le seuil, vois une plaie,
pleine de mousse et de silence.

Je cherche un vers que j’ai perdu
et que m’avait dit à sept ans
une femme faisant le pain,
dont je vois la bouche bénie.

Un parfum défait en rafales
m’apporte bonheur quand il vient,
si ténu qu’il n’est pas parfum,
et c’est l’odeur des amandiers.

Il redonne enfance à mes sens,
je lui cherche un nom et ne trouve
et flaire l’air et les villages,
en quête d’amandiers absents.

J’entends tout près une rivière;
je l’entends depuis quarante ans :
c’est le murmure de mon sang,
ou quelque rythme à moi donné;

ou bien l’Elqui de mon enfance,
que je remonte et passe à gué,
jamais perdu, coeur contre coeur,
nous allons comme deux enfants.

Lorsque je rêve de mes Andes,
j’avance par des défilés
où me parvient un sifflement,
presque une conjuration.

Je vois à ras de Pacifique
mon archipel violet sombre,
avec l’île qui m’a laissé
une âcre odeur d’alcyon mort.

Un dos, un dos grave et paisible
au bout du rêve que je fais
marque la fin de mon chemin;
je m’y repose quand j’arrive.

Tronc d’arbre mort ou bien mon père
est ce vague dos couleur cendre;
je ne l’interroge ni trouble,
je me couche à côté et dors.

J’aime une pierre d’Oaxaca
ou Guatemala; j’en approche;
fixe et rouge, elle me ressemble;
la crevasse en expire un souffle.

Dans son sommeil, je la vois nue,
et ne sais pourquoi la retourne.
Je ne l’ai pas eue peut-être :
c’est mon sépulcre que je vois.

(Gabriela Mistral)

Recueil: Poèmes choisis Prix Nobel de littérature 1945
Editions: Rombaldi

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »